Intervention de Manon Sieraczek

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 5 juin 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Manon Sieraczek avocate fiscaliste et de Mm. éric Ginter associé au cabinet stc partners kpmg gianmarco monsellato managing partner de taj société d'avocats membre de deloitte et touche tohmatsu limited pierre-sébastien thill président du directoire de cms francis lefebvre et michel combe associé responsable de landwell et associés

Manon Sieraczek, avocate fiscaliste :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les sénateurs, je tiens, tout d'abord, à vous dire que je suis très honorée d'être auditionnée par votre commission d'enquête.

À titre liminaire, j'évoquerai la profession des avocats fiscalistes, et d'abord pour lever un fâcheux malentendu selon lequel - on a pu l'entendre ici ou là - l'avocat fiscaliste faciliterait l'évasion et la fraude fiscales. En fait, on s'aperçoit souvent - je parle en mon nom personnel, mais mes confrères me rejoindront certainement sur ce point - que les avocats fiscalistes participent pleinement au recouvrement de l'impôt.

J'en viens maintenant à la description de l'activité de mon cabinet.

Entourée de deux collaborateurs, j'exerce, à titre individuel, l'activité d'avocat fiscaliste. Je suis spécialisée en contrôle fiscal et en contentieux fiscal ; mon domaine d'activité ne couvre donc pas le conseil fiscal à proprement parler.

En matière de contrôle, mon travail consiste, en pratique, à assister les personnes physiques faisant l'objet de ce que l'on appelle dans notre jargon un ESFP, un examen de la situation fiscale personnelle, et à suivre toutes les étapes de la procédure d'imposition. Ces contrôles sont très souvent diligentés par la Direction nationale des vérifications de situations fiscales, la DNVSF.

Par ailleurs, je traite les contrôles déclenchés à la suite de la transmission, en général par un juge d'instruction, appartenant notamment au pôle financier, de documents à l'administration fiscale. Je réalise alors parfois - et même souvent ! - des transactions.

Mon activité porte également sur le contentieux fiscal administratif, sur le contentieux fiscal pénal, c'est-à-dire la fraude fiscale, sur le contentieux lié aux perquisitions fiscales - les recours effectués contre les ordonnances du juge des libertés et de la détention devant le premier président de la cour d'appel -, ainsi que sur le recouvrement.

Depuis 2009, je suis également intervenue dans le cadre de la « cellule de dégrisement » mise en place à Bercy, et je procède régulièrement à la régularisation de dossiers portant sur des comptes HSBC qui n'ont pas été déclarés et font l'objet d'un contrôle par la DNVSF.

Enfin, j'ai eu récemment à examiner des dossiers confiés à la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, créée en 2010, la fameuse police fiscale.

Vous l'aurez compris, mes activités ne couvrent pas l'optimisation fiscale à proprement parler, pas plus que les délocalisations.

D'ailleurs, compte tenu de la liberté d'établissement et de la libre circulation des personnes et des capitaux, l'optimisation fiscale est parfaitement légale. Au demeurant, l'accroissement de la pression fiscale a pu conduire à une augmentation du nombre de délocalisations.

À cet égard, permettez-moi de formuler une réflexion.

Si la mise en place d'une politique fiscale répressive - et elle l'est d'ailleurs de plus en plus -, avec la création de brigades spéciales, un durcissement des sanctions et le développement d'outils visant à favoriser la coopération administrative internationale, au travers de l'institution d'une nouvelle directive de recouvrement en 2011, sont susceptibles de limiter l'évasion et la fraude fiscales, d'autres pistes de réflexion doivent aussi, à mon sens, être envisagées, car il faut aller bien plus loin.

Tout d'abord, il convient de restaurer la lisibilité fiscale. On le sait, la complexification de la matière fiscale crée et favorise l'évasion et la fraude fiscales. À force de multiplier les dérogations et les niches fiscales sur tous les impôts, on aboutit à un accroissement des possibilités de délocalisation.

Ensuite, pourrait être envisagée une politique d'ouverture de l'administration fiscale. Même si cette dernière a fait beaucoup de progrès au cours de ces dix dernières années, elle doit être plus à l'écoute des contribuables, en instaurant un lien de confiance qui fait actuellement défaut. Les agents des impôts ne sont pas là que pour prélever l'impôt, ils doivent aussi être les accompagnants des contribuables. Il faudrait tendre plus nettement vers une administration de services.

J'ajoute que la communication doit être modifiée, notamment pour ce qui concerne la perception de la fraude et de l'évasion fiscales. Puisque frauder est considéré comme un sport national, il conviendrait, à rebours, de communiquer sur l'utilité de l'impôt, en évoquant tout simplement le financement des infrastructures et des services publics. Communiquer sur le coût de l'incivisme me paraît également important.

Par ailleurs, il faudrait intégrer au concept de la RSE, la responsabilité sociale des entreprises, la matière fiscale. Les grandes entreprises doivent non plus se contenter de respecter la loi, mais aller au-delà. Indépendamment du fait d'adopter des standards clairs en matière fiscale, à l'instar de ce qui se fait dans les chartes sociales et environnementales, elles devraient aller plus loin, en proposant la création d'un label d'optimisation fiscale équitable avec les États, les actionnaires, les administrations fiscales, en mettant en place un principe de responsabilité dans les groupes et en définissant une véritable éthique fiscale.

En outre, il faudrait harmoniser, au niveau européen, la fiscalité des personnes physiques. Selon l'un de nos confrères, Jean-Yves Mercier, auteur d'un excellent article à ce sujet, l'harmonisation européenne est la seule issue.

Enfin, il faut sensibiliser les jeunes et le grand public aux questions fiscales. L'enjeu, c'est l'éducation et non pas uniquement la répression. D'ailleurs, la Cour des comptes a récemment souligné les carences de la France en matière de sensibilisation des jeunes sur les questions fiscales.

La France est très en retard dans ce domaine ; de nombreux pays européens, tels que l'Espagne, le Portugal et la Belgique, mais aussi les États-Unis et le Canada ont déjà mis en place des outils pédagogiques et des supports ludiques pour sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge au rôle de l'impôt et, d'une façon générale, aux questions fiscales.

Comme le souligne la Cour des comptes, il est nécessaire, pour ce faire, d'encourager le tissu associatif. Voilà un an et demi, je me suis personnellement engagée dans cette voie en créant l'association Trésor Académie, qui multiplie les actions de terrain pour sensibiliser les jeunes générations aux questions fiscales. Il s'agit de faire de la prévention plutôt que de s'intéresser uniquement à la répression.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les sénateurs, je vous remercie de toute l'attention que vous m'avez accordée et je serai, bien évidemment, ravie de répondre à vos questions.

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