Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les sénateurs, il est normalement difficile de faire la synthèse des points de vue de différents avocats, mais la tâche que vous me confiez me paraît presque facile, dans la mesure où les interventions successives avaient un fil conducteur, un fil d'Ariane que nous partageons tous. Je vais d'abord essayer d'ajouter quelques éléments personnels, avant de résumer ces interventions telles que je les ai comprises.
Nous sommes tous d'accord sur le rôle de l'avocat ; je pense qu'on n'a peut-être pas assez insisté sur ce point. Nous ne cherchons pas à favoriser l'optimisation irraisonnée. N'oubliez pas que nos clients sont des entreprises ou des personnes qui ont besoin de sécurité. Cette sécurité passe par la qualité du conseil et par le caractère durable du cadre par rapport auquel ce conseil est pertinent. L'insécurité peut apparaître subitement : vous pouvez être une cause d'insécurité, en modifiant les textes applicables ; l'administration peut, elle aussi, être une cause d'insécurité, en interprétant différemment un texte. Mais ce n'est pas le conseil donné à l'origine qui crée l'insécurité, bien au contraire.
La demande la plus importante de nos clients est cette sécurité, cette certitude. En effet, la fiscalité est une charge comme une autre : elle n'est pas l'objectif, la raison d'être d'une entreprise ; c'est un élément que l'on doit gérer professionnellement, avec intelligence. Il serait irresponsable, de la part de la direction d'une entreprise, de ne pas gérer la charge fiscale comme elle gère les autres charges. Nous sommes là pour accompagner nos clients dans cette démarche.
Le deuxième élément, c'est que nos cabinets ont tous une éthique. Celle-ci a été évoquée sous différentes formes, à travers la typologie des clients ou celle des missions, par exemple. C'est une véritable nécessité, car la sécurité est également importante pour nous, pour notre avenir en tant qu'entreprises. Le fait que nous ayons des collaborateurs et collaboratrices, que nous soyons installés à différents endroits, est lié à la qualité et à l'intelligence des conseils que nous donnons.
Il ne doit donc pas y avoir de doute : nous sommes un acteur de la loi, qui participe aux débats, en vous exposant aujourd'hui nos points de vue ou en nous exprimant lors de forums de l'Union européenne, de l'OCDE ou d'autres organisations. Nous essayons de faire évoluer les choses. Nos objectifs ne sont pas forcément ceux des autorités fiscales. Nous devons dialoguer, partager nos idées. Il me semble important que chacun comprenne notre rôle et notre responsabilité vis-à-vis de nos clients, mais aussi de la communauté que vous représentez et dont, à la place qui est la nôtre, nous sommes aussi des relais.
Le troisième élément, c'est le débat sur le poids de l'impôt. Il est évident que, plus l'impôt est acceptable, moins il y a d'intérêt à réfléchir à son sujet ; je n'en dirai pas plus.
Le quatrième élément, c'est la complexité de la loi. Comptons les lois de finances rectificative adoptées cette année en France, et multiplions-les par 180 pays... Une entreprise internationale est nécessairement confrontée à une importante complexité normative. Dans de nombreux forums, on parle de l'uniformité de la loi, de grands principes que nous sommes censés partager, mais en pratique les interprétations diffèrent. Je vous invite donc à ne pas créer de nouveaux textes : demandons plutôt aux autorités fiscales d'utiliser les textes existants. Un arsenal est à leur disposition ; il est parfois incompris, il peut être répressif le cas échéant. Ne créons pas davantage d'outils, mais utilisons ceux qui existent déjà.
L'administration fiscale vous a sans doute dit combien d'informations elle peut collecter. Utilise-t-elle ces informations aussi bien qu'il le faudrait ? Je pense qu'il n'est pas utile de créer de nouvelles dispositions : le plus important est d'exploiter les informations que l'administration possède déjà.
J'en viens aux outils de contrôle. Le contrôle doit également intervenir en amont, à travers un dialogue entre les entreprises et l'administration fiscale. On a parlé du rescrit, des accords préalables ; ce ne sont pas des éléments d'évasion ni d'optimisation mais de sécurisation, tant pour l'entreprise que pour l'État, qui peut mieux prévoir ses recettes futures.
Le contrôle est aussi l'occasion pour les entreprises de dialoguer avec l'administration. Ce dialogue nourrit probablement une partie des mythes, des fantasmes, des craintes qui existent aujourd'hui. C'est une des raisons pour lesquelles la notion de « substance économique » est parfois mal comprise par les autorités de contrôle fiscal et le monde extérieur. Si on passe beaucoup de temps avec un client, on s'imprègne de sa réalité, on comprend l'importance de la fiscalité et la relation entre cette dernière et les autres activités de l'entreprise. On comprend surtout - pour revenir à la notion de « substance économique » - le poids de chacun des éléments. On saisit alors pourquoi un ou des hommes clés déterminent la réussite ou l'échec d'une entreprise, et pourquoi la délocalisation d'une personne physique ou d'une entreprise peut correspondre à une véritable réalité économique que la fiscalité ne fait que traduire.
Le dialogue doit être permanent. Il peut prendre de nombreuses formes en amont, avec par exemple des outils de sécurisation comme les accords préalables ou les rescrits. La France a avancé, certes pas autant que d'autres pays qui sont bien plus actifs, mais nous allons tout de même dans le bon sens.
Le contrôle fiscal peut bien entendu être répressif ; il doit sûrement l'être à certains moments. Mais il faut qu'il soit aussi un dialogue de confiance, il faut que l'autorité fiscale comprenne ce que fait l'entreprise. Peut-être la sanction devrait-elle être davantage prospective : tout en affirmant qu'elle refusera certaines pratiques à l'avenir, l'administration pourrait considérer que, le passé étant ce qu'il est, le texte n'étant pas forcément aussi compréhensible qu'il devrait l'être et l'autorité fiscale ayant elle-même tardé à donner des signes aux entreprises, la sanction devrait être moins forte que si l'entreprise concernée avait persévéré dans un comportement jugé inacceptable.
Là encore, un tel dialogue est source de sécurité. Je crois que nous pouvons tous accepter des décisions pour l'avenir ; en revanche, le côté répressif et rétrospectif crée de l'insécurité. Bien entendu, les propositions que je formule concernent les contribuables normaux, qui ont de bons comportements ; nos clients en font partie. Nous n'avons donc aucune difficulté à dire que c'est ce que nous souhaitons pour tous nos clients.
Enfin, j'évoquerai le rôle que l'on peut attendre de vous. On voit bien que la multiplication des lois laisse peu de temps à l'explication de leur opportunité : dans quel contexte souhaite-t-on légiférer et quel est l'objectif recherché ? Je pense qu'il est important pour nous tous, du point de vue de la sécurité juridique, de connaître le contexte d'élaboration des textes que nous devrons interpréter à l'avenir. Pour cela, il faut que la motivation soit mieux expliquée, qu'elle fasse l'objet d'un dialogue, de sorte que nous puissions tous - administrations, conseillers, entreprises - comprendre quel était l'objectif de la législation, et ainsi mieux nous accorder sur son interprétation. À la fin, le juge sera notre maître, mais, si on peut l'aider à prendre une décision comprise, assumée, je pense que cela sera beaucoup plus facile.
Il me semble que, sur tous ces thèmes, mes confrères et moi sommes d'accord. Que nous nous occupions de personnes physiques ou d'entreprises, et quelles que soient la taille et les spécificités de nos cabinets respectifs, nous poursuivons le même objectif : nous assurer que l'impôt est compris et normalement accepté par tous nos clients.