Madame, messieurs, je vous ai écoutés avec beaucoup d'attention. Me référant à des auditions qui ont eu lieu précédemment, je sens poindre certaines contradictions. L'objectif de notre commission est d'essayer d'y voir plus clair pour ensuite être efficace.
Tout d'abord, j'aimerais savoir ce que vous pensez du livre d'Antoine Peillon - Ces 600 milliards qui manquent à la France -, paru voilà quelques mois.
Par ailleurs, sur un plan plus général, j'ai le sentiment en vous écoutant que, même si vous êtes auditionnés en tant qu'avocats fiscalistes, vous vous exprimez également en tant que citoyens, ce qui est bien sûr votre droit. Mais, de ce fait, je me sens autorisé à vous interrogez au-delà de votre qualité d'avocat fiscaliste.
Plusieurs d'entre vous ont soulevé la question de savoir si l'impôt n'était pas trop lourd, trop dissuasif, sous-entendant : trop d'impôt ne risque-t-il pas de tuer l'impôt ?
Je ferai d'abord remarquer que, proportionnellement, ceux qui payent le plus d'impôt ne sont pas forcément ceux qui gagnent le plus. Le revenu médian en France est d'environ 1 600 euros ; on sait très bien qu'en pourcentage ceux qui perçoivent ce revenu médian sont plus imposés que ceux qui gagnent, par exemple - c'était le cas d'une des personnes que nous avons auditionnées la semaine dernière -, plus de 1 million d'euros par an. Je dis bien « proportionnellement » en incluant la TVA. Il y a là une injustice profonde.
Dès lors, la question qui doit collectivement se poser est la suivante : y a-t-il une équité devant l'impôt ? La réponse est non. Cela signifie qu'il y a une forme d'insécurité sociale très forte, car s'il y a moins d'impôt, il y aura nécessairement moins à distribuer à ceux qui sont éventuellement en situation d'exclusion. Cela pose donc un problème de fond, de civisme fiscal notamment.
Mme Manon Sieraczek a tout à l'heure évoqué un certain nombre de points auxquels je souscris tout à fait.
Restaurer la lisibilité fiscale est un effort qui, à l'évidence, doit intéresser tout un chacun, quels que soient ses engagements politiques par ailleurs.
Créer un lien de confiance avec l'administration fiscale, j'en suis tout à fait d'accord.
Communiquer sur l'utilité de l'impôt, oui, dix fois oui !
Réhabiliter le rôle de l'impôt afin de développer le civisme et inverser la démarche qui consiste à vouloir par systématisme y échapper, oui !
Évoquer la nécessité d'une éthique fiscale, cent fois oui également !
Parmi les solutions, vous avez évoqué, madame, comme d'ailleurs M. Monsellato, l'harmonisation fiscale européenne. Mais on sait très bien qu'on n'y arrivera pas du jour au lendemain. La question qui nous est donc posée à tous aujourd'hui est de savoir comment on peut lutter contre la fraude fiscale - mais parfois aussi contre l'optimisation fiscale, qui ne profite qu'à quelques-uns et non à la grande majorité - et réduire le déficit de l'État afin de ne pas obliger les générations futures à payer à notre place. Car telle est bien la question de fond.
L'harmonisation fiscale européenne ne sera pas effective l'an prochain ni même dans deux ou trois ans, d'autant que certains pays de l'Union sont peu coopératifs à cet égard.
Une autre issue, qu'a évoquée M. Monsellato, est la compétitivité. Mais dès lors qu'on parle de compétitivité, cela signifie-t-il que les pays les moins compétitifs seraient ceux qui auraient les taux d'imposition les plus élevés ou, si ce n'est pas le cas, dans l'hypothèse d'une harmonisation fiscale européenne, l'absence de compétitivité serait-elle due à une protection sociale plus forte ou à des salaires plus élevés ?
Cela nous ramène à une autre question sur laquelle j'aimerais avoir votre sentiment même si, pour moi, la réponse est évidente : un pays qui a adhéré à l'Organisation mondiale du commerce doit-il respecter les normes du Bureau international du travail ? En effet, dès lors que l'on évoque la compétitivité, il faut aller au fond du problème. Dans une économie totalement mondialisée, les normes ne sont pas toujours respectées. Elles le sont parfois au sens de la libéralisation du commerce mais elles ne le sont pas en termes d'acceptation du minimum social dans l'ensemble des pays qui ont accepté la libéralisation du commerce.
Certains pays ayant adhéré à l'Organisation mondiale du commerce acceptent encore le travail des enfants, ou même parfois, par principe, l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes.
Donc, on ne peut pas se limiter à ces deux solutions : soit l'harmonisation européenne, soit la compétitivité ; on doit aller un peu plus loin dans la réflexion. On voit bien où cela nous mène, et c'est complexe.
Curieusement, j'ai cru comprendre, mais peut-être me suis-je trompé, que, finalement, les paradis fiscaux n'existaient pas ou plus ou qu'ils étaient très peu nombreux. J'ai le sentiment qu'ils existent encore et qu'ils sont extraordinairement nuisibles. S'ils existent, c'est qu'ils permettent au minimum l'optimisation fiscale et beaucoup plus souvent la fraude fiscale. Cela permet de dissimuler du patrimoine, des oeuvres d'art, des héritages, autant de financements supplémentaires qui n'entrent pas dans les caisses de l'État. C'est donc un problème très important.
Je ne conclurai pas mon intervention sur l'impôt « acceptable » : en effet, le niveau des prélèvements obligatoires dans les pays d'Europe du Nord est sensiblement supérieur au nôtre. Pour autant, les économies ne fonctionnent pas si mal que cela et la solidarité entre les citoyens de ces pays n'est pas parmi les plus mauvaises.
En revanche, j'aimerais, pour terminer, revenir sur l'une de vos remarques, qui m'a interpellé, M. Combe. Vous avez indiqué qu'un dispositif trop répressif était source d'insécurité. Mais peut-être ai-je mal compris.