Intervention de Antoine Maucorps

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 4 février 2014 : 1ère réunion
Audition conjointe de Mm. Antoine Maucorps chef de la mission de la tarification et olivier quoy adjoint direction générale des infrastructures des transports et de la mer dgitm

Antoine Maucorps, chef de la mission de la tarification :

Je vais d'abord expliquer l'organisation de l'État et le rôle de la mission de la tarification. L'équipe projet pour la conduite de l'écotaxe poids lourds, qui n'est pas une structure administrative, est composée de la mission de la tarification, au sein de la DGITM du ministère de l'écologie, et de la mission taxe poids lourds, au sein de la sous-direction des droits indirects de la direction générale des douanes et droits indirects. Les deux directeurs généraux ont désigné un directeur de projet commun, moi-même. Je suis administrativement rattaché au ministère des transports en tant que chef de la mission de la tarification.

Pour la conduite de ce projet, je dispose de deux adjoints, Olivier Quoy, ici présent, et Anny Corail, chef de la mission taxe poids lourds au sein de la direction générale des douanes, que vous avez auditionnée la semaine dernière. Cette équipe a piloté les études préalables et la procédure d'attribution du contrat avec Écomouv' et pilote aujourd'hui la première phase de ce contrat, qui consiste en la conception et la réalisation du dispositif.

Pour compléter la description de l'organisation, il faut préciser que des cabinets de conseil ont assisté l'équipe projet. Tout d'abord, pendant la phase du dialogue compétitif, avant la signature du contrat, trois conseils différents sont intervenus, l'un technique, l'autre juridique et le dernier financier. Depuis la signature du contrat, un contrat d'assistance globale a été attribué à la société Capgemini.

Je voudrais également fixer quelques points de repères chronologiques. On peut dater le démarrage du projet de la taxe poids lourds au 1er janvier 2005 puisque c'est l'entrée en vigueur en Allemagne de la LKW-Maut, qui a entraîné un report de trafic sur le réseau routier français, en particulier sur l'autoroute le long du Rhin, en Alsace. Cet événement a conduit à instaurer, mi-2005, par la loi, la taxe poids lourds en Alsace.

Dès 2006, les premiers travaux ont porté sur la nature du prélèvement en droit national. En effet, au niveau communautaire, il n'y a pas d'ambiguïté, il relève du droit des redevances kilométriques, c'est-à-dire de la directive Eurovignette, comme l'a écrit, dès janvier 2006, la Commission européenne. En revanche, en droit national, la question n'est pas simple. Les analyses conduites pendant l'année 2006 ont toutes rapidement convergé sur le fait que ce devait être une taxe. La nature fiscale découle du fait que seuls les véhicules de transport de marchandises acquittent le prélèvement et qu'il n'est pas exclusivement affecté à l'entretien de la voirie routière. Ce n'est donc pas un péage en droit français.

En 2007, alors que les perspectives d'extension de l'expérimentation se précisent, l'analyse du projet, tant d'un point de vue technique que juridique, conduisent à s'interroger sur la possibilité de confier ou non à un ou plusieurs acteurs privés les missions de collecte et de contrôle de cette taxe. Cette année de réflexion conjointe entre le ministère des transports et la direction du budget se clôturera par l'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2007 qui va jeter les bases et le cadre de cette externalisation en l'autorisant sous de strictes conditions.

Se posera alors la question des modalités pratiques de cette externalisation, qui seront inscrites dans la loi de finances pour 2009, votée fin 2008. Ces choix vont résulter de l'analyse menée avec la mission d'appui aux partenariats public-privé - la Mappp -, et conduira au choix de recourir à un contrat de partenariat public-privé. Néanmoins, ce contrat, comme vous avez pu le constater lors de vos auditions, a certaines spécificités par rapport à d'autres contrats de partenariat ou avec les concessions autoroutières. En particulier, le montant de la rémunération prévisible d'Écomouv' et les conditions de versement de cette rémunération sont indépendants de la mise en oeuvre de la taxe et n'ont pas de lien direct avec le montant de la taxe collectée.

Ces éléments ont été fixés et exposés, dès le début de la procédure, en 2009. Ainsi, l'appel public à candidature du 5 mai 2009 indique que « la rémunération du titulaire du contrat de partenariat sera versée dès la réalisation complète du dispositif de perception et de contrôle de la taxe poids lourds nationale. Cette rémunération pourra être ajustée en fonction de l'évolution de certains paramètres et sera liée à des objectifs de performance, qui seront déterminés par l'État au cours du dialogue compétitif ». Le déclenchement du paiement de la rémunération au partenaire privé a donc été, dès le début, conditionné à la réalisation complète du dispositif. La rémunération apparaît liée, par ailleurs, à des objectifs de performance, qui est le moyen le plus efficace, pour l'État, de s'assurer que le partenaire privé remplira correctement ses obligations contractuelles, et à certains paramètres - le nombre de redevables, le nombre de véhicules, par exemple -, c'est-à-dire des indicateurs reflétant la volumétrie du contrat.

Concernant la technologie utilisée, l'État avait le choix entre la localisation par satellite ou l'utilisation d'ondes à courte portée, ces deux seules technologies étant autorisées par la directive européenne « Interopérabilité ». Les études préalables n'ont pas montré d'avantages certains entre ces deux technologies. Le choix a donc été fait de conduire la procédure de dialogue compétitif sans favoriser l'une ou l'autre de ces technologies, en laissant les industriels, acteurs les mieux à même d'en déterminer les avantages et inconvénients, de proposer dans leur solution celle qu'ils souhaitaient utiliser.

De fait, le choix d'une localisation par satellite s'est fait dans le cadre de l'établissement des offres en 2010.

S'agissant du montant du marché, sur lequel beaucoup de questions ont été posées, nous pouvons rappeler que l'avis de notification du marché du 16 novembre 2011 précise que la rémunération prévisible est de 52 millions d'euros par trimestre, en valeur constante, hors taxes et en moyenne, soit un peu moins de 210 millions d'euros par an.

Le montant total du marché était, quant à lui, plafonné à 3,41 milliards d'euros, comme indiqué dans le communiqué de presse de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) du 7 septembre 2011, suite à son conseil d'administration autorisant cet engagement. Cette somme correspond à une estimation en euros courants, TVA incluse, conformément aux règles de la comptabilité publique.

Pour remplir ses missions, la société Écomouv' a été créée le 7 mars 2011, c'est-à-dire peu après le choix du candidat le mieux placé, la société Autostrade, par cette seule société, comme l'indique son inscription au registre du commerce, accessible sous forme d'extrait Kbis. Les sociétés SFR, SNCF, Steria et Thales ont pris des participations, le 26 octobre 2011, dans le capital de la société Écomouv' après la signature du contrat de partenariat signé le 20 octobre 2011, conformément aux stipulations du règlement de la consultation et dudit contrat.

Enfin, nous souhaitons vous exposer les grands principes et le contexte qui ont guidé ce projet.

En France, la tarification de l'usage du réseau routier national par les poids lourds repose sur les péages autoroutiers pour les autoroutes concédées, la taxe spéciale sur les véhicules routiers - taxe acquittée par les véhicules français en France - et, enfin, d'autres recettes telles que les accises sur les carburants. L'évaluation de l'imputation des coûts d'usage, dont les premières études datent de 1997, a montré l'ampleur du différentiel entre les coûts occasionnés par les poids lourds et les recettes collectées à ce titre, de l'ordre d'un milliard d'euros par an pour le réseau national. Cet écart est de fait couvert, jusqu'à aujourd'hui, par le budget général, c'est-à-dire par la participation du contribuable à travers l'impôt. Ce constat a conduit à un premier projet de tarification kilométrique de l'usage du réseau, proposé en 2003 et examiné dans le cadre du débat sur les grandes infrastructures, mais qui n'a pas abouti.

Les principaux partenaires européens, notamment ceux de grand transit - la Suisse et l'Allemagne dès 1998, l'Autriche dès 2002, la République Tchèque dès 2004 puis, plus récemment, la Slovaquie, la Slovénie et la Belgique - ont mis en place des tarifications kilométriques afin, d'une part, de répondre aux besoins de financement de leurs infrastructures et, d'autre part, de tenter de réguler le trafic routier par une tarification adaptée. L'objectif de ces politiques est d'adopter un système qui soit le plus équitable possible, mettant en application le principe « utilisateur-payeur », notamment en faisant participer les véhicules étrangers circulant sur les réseaux nationaux.

Les questions de la tarification de l'usage des routes ne peuvent être abordées nationalement mais relèvent, par essence, d'un cadre européen. À cet égard, tous les candidats admis à participer au dialogue compétitif étaient européens, soit par l'association de partenaires - notamment pour la construction des équipements embarqués - soit par la composition de l'actionnariat des sociétés participantes. Il existe par ailleurs une certaine réciprocité, les acteurs français étant présents en Allemagne, Slovaquie ou Irlande.

La mise en place de la tarification de l'usage des réseaux routiers par les poids lourds est fortement encadrée au niveau communautaire, la Commission européenne s'attachant, d'une part, à garantir la libre circulation des marchandises par la directive Interopérabilité et, d'autre part, à orienter des politiques en faveur des modes non routiers avec la directive Eurovignette. L'Union européenne recherche la mise en place de systèmes unifiés de télépéage permettant aux transporteurs d'acquitter les différents péages à l'aide d'un équipement unique et d'un contrat unique. L'une des principales caractéristiques et différenciations du projet écotaxe, en comparaison de projets européens, éventuellement de taille similaire, est la prise en compte de cette interopérabilité.

Dans tous les pays, la mise en place de dispositifs de télépéage s'est révélée techniquement et juridiquement complexe, notamment en Allemagne, Autriche et Slovaquie. Dans d'autres pays, les projets n'ont pas abouti, comme au Danemark et au Pays-Bas. À l'exception de la Suisse, dont la géographie et la position juridique par rapport à l'Union européenne sont particulières, les systèmes ont été mis en place via des contrats de service très étendus, eu égard à cette complexité.

Pour prendre en compte les contraintes du système européen de télépéage - c'est-à-dire la mise en place de l'interopérabilité - la taxe doit pouvoir être acquittée via un abonnement à une société de télépéage qui est un acteur de droit privé. Cette complexité technique oriente les réflexions vers la recherche de l'externalisation d'une partie des missions de collecte. Concrètement, l'entité responsable de la collecte de l'écotaxe doit contractualiser avec des sociétés de télépéage européennes qui ne sont pas connues a priori. Là réside une des difficultés. Après avoir sollicité plusieurs avis, on a conclu sur le recours à l'externalisation, dont l'une des modalités les plus importantes est la délivrance d'une commission par l'administration des douanes et droits indirects. C'est pourquoi, aujourd'hui, l'équipe projet chargée de mettre en oeuvre le contrat a un aspect bicéphale avec, d'une part, un contrat de partenariat signé entre Écomouv' et le ministre de l'écologie, représenté par M. Daniel Bursaux et, d'autre part, une commission délivrée par l'administration des douanes et droits indirects.

A ce stade, il est important de distinguer l'externalisation de certaines missions du recours à un contrat de partenariat. L'évaluation préalable qui a été soumise à l'avis de la Mappp avait retenu une comparaison entre ce contrat de partenariat et un schéma de maîtrise d'ouvrage publique - marché public global -, pour lequel l'exploitation du dispositif était intégrée pour une durée équivalente à celle du contrat de partenariat et qui n'exclut pas de confier des missions de collecte et de contrôle à des prestataires privés.

L'externalisation de certaines missions a poursuivi un objectif de simplification de la gestion technique du dispositif dans un cadre européen interopérable. Elle permet aujourd'hui une garantie de recouvrement des sommes, en déchargeant l'État d'une partie de ses missions par la garantie des sommes facturées et en fournissant un appui au traitement des réclamations, les missions de recouvrement forcé étant conservées par l'État.

Le recours au contrat de partenariat assure la prise en compte des enjeux d'exploitation dès la conception du dispositif et vise à impliquer fortement les acteurs industriels en les rendant intégralement responsables de la conception et de la réalisation du dispositif - ce qui permet d'optimiser les délais de réalisation, le passage de la phase de réalisation à la phase d'exploitation se faisant immédiatement après la mise à disposition, sans changer d'acteurs. De même, le contrat de partenariat permet de recourir au préfinancement de la réalisation du dispositif. À ce propos, je rappelle qu'aujourd'hui, l'État n'a pas payé Écomouv' pour la réalisation du dispositif.

Enfin, lorsque la procédure a été lancée, le choix technologique n'était pas effectué et donc, a fortiori, l'État n'était pas en mesure de définir précisément un cahier des charges aux différents candidats. Dans cette situation, la procédure la plus adaptée pour choisir le contrat le plus favorable à l'État est le recours à un dialogue compétitif, qui a été organisé sous un contrôle étroit de l'administration. Pour cela, une équipe projet associant les deux ministères les plus impliqués a été mise en place. Un comité interministériel regroupant les différents ministères concernés s'est réuni régulièrement. Une commission consultative, créée par décret, est intervenue aux moments les plus importants de la procédure - choix des candidats, recevabilité des offres et classement des offres.

Les choix et les arbitrages arrêtés en cours de procédure, ou depuis lors, se font en réunion interministérielle. Le contrat a été signé après avoir obtenu l'ensemble des avis requis, en particulier ceux des ministres du budget et de l'économie.

L'avancement du projet a mis en exergue la nécessité d'ajuster la définition de la taxe poids lourds, au sein du code des douanes. Ces ajustements se sont opérés en lois de finances rectificatives pour 2009, 2010, 2011 et 2012, sous le contrôle du Parlement.

Par ailleurs, il convient de rappeler qu'Écomouv' est intégralement responsable de la maîtrise d'ouvrage du contrat, c'est-à-dire de la conception et de la réalisation du dispositif. L'État ne valide pas les spécifications détaillées du dispositif. Il a cependant formulé des remarques qu'Écomouv' a l'obligation de prendre en compte pendant toute la phase de conception-réalisation. En 2013, une fois le dispositif achevé, Écomouv' a fait la recette de son dispositif. L'État y a participé en observant les tests menés. Une fois la recette achevée, l'État effectue les vérifications d'aptitude au bon fonctionnement (VABF), consistant à contrôler que le dispositif permet de remplir les spécifications fonctionnelles du contrat dans le respect du cadre législatif et réglementaire. Cette phase de vérification d'aptitude s'est répétée plusieurs fois en 2013, en raison de la constatation de défauts majeurs dans le dispositif. À l'issue de cette phase, Écomouv' a la responsabilité de conduire des vérifications en service régulier (VSR), c'est-à-dire de faire des tests dans une situation représentative de la réalité, notamment en termes de volume et d'acteurs. A ce stade, interviennent, non plus des techniciens, mais les opérateurs d'Écomouv', afin de s'assurer que le dispositif est prêt à démarrer.

Aujourd'hui, le dispositif a subi de façon positive la dernière VABF qui a été prononcée le 16 janvier dernier. Le dispositif ayant mûri progressivement, Écomouv' a pu procéder, par anticipation, à des tests à l'usage de la VSR, contrairement aux clauses initiales du contrat, si bien qu'Écomouv' nous a remis son rapport de VSR, que nous avons reçu le 20 janvier dernier, les deux dernières phases de tests ayant été menées en parallèle. L'État est en phase de vérification de ce rapport et dispose d'un délai de deux mois. Le contrat, de ce point de vue technique, est conduit de façon nominale eu égard au fait qu'il y a un retard significatif, puisque la fin de vérification de ces tests aurait dû être faite avant le 20 juillet 2013.

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