Intervention de Valérie November

Mission commune d'information Inondations dans le Var — Réunion du 5 juin 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Valérie November géographe directrice de recherche au cnrs

Valérie November :

Je dois tout d'abord préciser que je m'intéresse aux risques collectifs -dont ceux liés aux inondations. Je ne suis donc pas spécialiste des risques d'inondations mais travaille également sur les risques industriels, environnementaux, sociaux, comme la vidéosurveillance.

J'étudie plus particulièrement la relation entre les risques, les territoires et les acteurs concernés par l'identification et la gestion de cette problématique. Mon travail porte sur l'identification et l'évaluation des risques ainsi que sur les aspects de surveillance, de monitoring et de gestion. J'étudie également la question de leur visualisation ; c'est pourquoi j'ai essayé de dresser un tableau de bord afin de les identifier différemment.

Je prendrais comme point de départ une inondation que j'ai étudiée et qui remonte à dix ans. Même si elle s'est révélée de faible ampleur, elle a touché une zone qui, de mémoire d'habitant, n'avait jamais été inondée.

Les inondations mettent en jeu des eaux de ruissellement intenses, des remontées de nappes superficielles ; beaucoup de choses se passent donc d'un point de vue hydrologique. Cette zone est située en périphérie de Genève, dans le petit village de Lully, habité par des rurbains. Cet événement n'a fait aucune victime mais a beaucoup marqué les esprits car il est survenu la nuit et s'est déroulé dans un endroit censé être sûr.

L'inondation a eu lieu en 2002, sur un terrain initialement classé agricole. Il s'agit d'une histoire classique, avec une zone qui se développe à partir des années 1990 et un vieux village situé sur le coteau qui ne peut être touché par les inondations.

On a des connaissances historiques sur le développement du lieu : cet ancien marécage a connu des améliorations foncières ; il a été drainé et a subi un remaniement considérable. Le tracé de la rivière l'Aire a été corrigée maintes fois ; celui de Dufour remonte ainsi à 1837.

La situation est cependant connue : une carte de danger a en effet été publiée en 2000. Elle identifie le risque dû aux crues et la zone est classée en zone bleue.

Le lopin inondé a été identifié à risques en 1982 grâce au plan Ortis. En 2001, le nouveau plan directeur du canton de Genève -les prérogatives étant passées de la commune au canton- ne fait pourtant plus du tout référence aux risques d'inondations.

Les connaissances sont donc disponibles mais ne sont pas toujours activées. Il existait cependant des indices morphologiques territoriaux : des travaux de corrections ont été entrepris après de fortes crues, ainsi que des travaux de drainage. La toponymie est en outre caractéristique des zones humides.

On pouvait également faire appel à la mémoire des maraîchers qui ont vendu ces terrains agricoles déclassés en zones à bâtir. Chaque hiver, ils racontaient qu'ils se rendaient en barque sur les lieux mais on n'en a pas tenu compte. Une galerie de décharge a même été construite en 1981 après des épisodes de crues.

Des signaux faibles existaient également, notamment du fait d'inondations dues à des eaux de ruissellement en 1983 et en 2001, huit ou neuf mois avant la catastrophe. Les fondations des maisons en construction avaient alors été inondées et les futurs propriétaires avaient posé des questions à l'architecte, qui leur avait répondu que le problème allait être réglé. Il existait donc bien là des indices selon lesquels les lieux étaient à fort potentiel inondable.

Il existait également des documents relatifs à l'aménagement du territoire et des plans localisés remontant à 1982, comme le plan Ortis, qui établissaient le risque, ainsi que des cartes recensant les dangers de l'Aire. Cependant, celles-ci ont été publiées par le service de l'eau et n'ont pas été consultées par le service de l'aménagement du territoire qui délivre le permis de construire : à l'époque, lorsque la distance entre la rivière et l'habitation était supérieure à 100 mètres, il n'était en effet pas réglementaire de faire analyser les documents par le service de l'eau ! Ceci a été ensuite corrigé.

Cette catastrophe, même si elle a été limitée, a conduit à une réévaluation du risque et à un changement des pratiques -comme souvent en pareil cas- ainsi qu'à de nouvelles normes institutionnelles et organisationnelles.

Cette inondation est donc à l'origine d'une série d'innovations et d'opportunités. Sur le plan de la réorganisation des connaissances, elle a contribué, à l'échelon cantonal, à la création du DomEau, regroupement de tous les services liés à l'eau, de l'eau potable jusqu'aux eaux usées. Ceci a permis de donner une vision plus globale des problèmes hydrologiques du canton et surtout de clarifier les compétences des services. On a ainsi initié une nouvelle fonction chargée d'étudier la problématique de l'eau dans son ensemble, les risques dus aux eaux de ruissellement n'étant jusqu'alors pas pris en compte ni même cartographiés.

On a également établi un système d'alerte. La météo suisse n'ayant pas lancé d'alerte particulière ce jour-là, il a été décidé d'induire une réduction spécifique du seuil pluviométrique à cet endroit. Il a d'autre part été décidé de créer un répondeur téléphonique destiné à l'information du public ainsi qu'une cellule d'intempéries genevoise qui regroupe les différents acteurs devant intervenir lors d'intempéries. Depuis lors, Genève a mis sur pied un certain nombre d'autres cellules (canicule, etc.).

L'Aire étant une rivière franco-suisse, une réforme de la loi sur l'eau a conduit à l'adoption du Schéma de Protection, d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SPAGE) qui préconise la gestion intégrée avec les Français et à la création d'une association locale de citoyens qui vérifient l'état de la rivière. Celle-ci existe toujours et participe à la réalisation des mesures de sécurisation du tronçon d'eau. C'est un interlocuteur crédible qui sert à transmettre le ressenti des habitants que les services experts ne peuvent posséder.

On a pu noter une grande réactivité ; des projets en cours ont été réactivés ou accélérés. Il existait ainsi un projet de renaturation de l'Aire avant l'inondation. Après la catastrophe, il est devenu légitime d'intégrer la question des inondations dans ce projet ; la vitesse a été réévaluée et le tronçon où a eu lieu l'inondation a été le premier à être réévalué. On a également réalisé de nouveaux documents, comme la carte des ruissellements, qui n'existait pas.

Cet événement a donc constitué un électrochoc qui a favorisé le partage des connaissances et à leur réactualisation.

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