Monsieur le président, Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, vous m'invitez à faire un point sur la situation hospitalière, qui me préoccupe. J'ai toutefois la prétention d'en comprendre de nombreux tenants et aboutissants.
Si nous ne découvrons pas les problèmes à l'hôpital, la crise sanitaire a démontré plusieurs choses. En premier lieu, les problèmes sont aigus et chroniques, mais l'hôpital est capable de réagir et a conservé suffisamment de capacités de réaction pour faire face à l'impensable. J'en veux pour preuve le dédoublement des lits de réanimation et l'organisation des lits de rééducation. L'hôpital, bien qu'en difficulté sur le plan financier, après près de vingt ans de politique de réduction budgétaire, est un outil incroyable, grâce à ses soignants, que j'ai appelés Hussards blancs de la République. Ils ont réussi à tenir vague après vague. Les capacités en termes de lits ont augmenté progressivement. Après deux années de pandémie, il apparaît que l'hôpital a fait front. En France, nous n'avons pas vu certaines scènes observées dans d'autres pays dotés de systèmes sanitaires modernes, comme l'Italie. En outre-mer, confronté à une vague estivale particulièrement intense, des milliers de renforts ont été sollicités pour soutenir les équipes sur place. Le nombre de lits intensifs a été multiplié par quatre, cinq, voire six, sur place, en dépit de conditions très difficiles. Le premier enseignement est donc que l'hôpital a tenu.
Ayant dit cela, j'ai évoqué une politique de réduction budgétaire et de contraintes sur l'hôpital. Ce propos reposait sur deux constats. En premier lieu, les dépenses de santé prenaient une part croissante du PIB. Une politique de maîtrise médicalisée a donc été mise en place, avec l'instauration du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), pour quantifier les actes à l'hôpital, comparer la durée moyenne des séjours, évaluer les prises en charge hospitalières, afin de sortir d'un système de dotation globale qui ne tenait pas compte de la réalité de l'activité de l'établissement.
Deuxièmement, face à ce qu'ils percevaient comme de l'hospitalo-centrisme, pas forcément à mauvais titre, de nombreuses responsables politiques ont considéré que la médecine de ville devait prendre plus de place et prendre en charge davantage de malades. L'hôpital devait intervenir en second recours, en qualité de plateau technique. Le virage ambulatoire devait contribuer au développement de la médecine de ville, l'hôpital devant se consacrer à ses seules missions. Ce dernier a donc été privé de sa capacité à développer l'offre de premier recours et l'offre générale de soins pour les maladies chroniques. Une telle démarche aurait pu être valable s'il n'y avait eu, dans le même temps, un phénomène de désertification médicale. Deux hôpitaux distants de 100 kilomètres pouvaient ainsi se voir empêchés de soigner les patients diabétiques, alors qu'il n'y avait aucun diabétologue installé entre eux. Il en a résulté un recul de l'accès aux soins.
Cette prise de conscience ne date pas de la crise. À mi-chemin du mandat précédent déjà s'était forgée la conviction qu'il fallait arrêter d'assécher budgétairement l'hôpital et sortir progressivement du système de tarification à l'activité (T2A). En 2017, l'engagement du candidat Macron était ainsi de réduire à 50 % la part du financement par la T2A. Cela correspond à un bon niveau de T2A, dans la mesure où cette tarification demeure valable pour des actes techniques et reproductibles, mais il faut en sortir pour la prise en charge médicale, en particulier des maladies chroniques.
Il y a eu peu d'oxygène apporté lors du précédent mandat, malgré l'intention de la ministre de l'époque, faute d'arbitrage budgétaire en ce sens. En 2017, nous avons pris l'engagement d'avoir un objectif pluriannuel d'Ondam hospitalier. La croissance des dépenses hospitalières a ainsi été fixée à 2,3-2,4 %, soit environ 50 % de plus qu'au cours du mandat précédent. La crise sanitaire a bouleversé tout cela. L'hôpital est devenu une priorité aux yeux des Français. La part du PIB qui lui est consacrée n'a plus semblé exorbitante. Ainsi, dans un contexte de crise, nous avons pu libérer des budgets, soit 30 milliards d'euros lors de l'année de la crise sanitaire, ce qui n'avait jamais été fait par le passé. D'autres auraient probablement fait des choix similaires. Je ne vois pas un gouvernement de gauche ou de droite refuser de donner de l'argent à l'hôpital.
Nous l'avons fait avec une attention particulière portée aux hôpitaux des territoires. Nous avons d'abord mobilisé 19 milliards d'euros pour désendetter les hôpitaux et investir massivement dans le bâti et dans l'organisation des établissements, soit 3 000 hôpitaux et Ehpad. 75 % de l'enveloppe budgétaire est consacrée aux petits et moyens hôpitaux, alors que les plans précédents - Hôpital 2007 et Hôpital 2012 - portaient à 80 % sur les gros hôpitaux. Certains établissements de taille moyenne pensaient ne pas survivre à la décennie. Au contraire, ils survivront et seront reconstruits. C'est un signal très fort envoyé à la communauté hospitalière et il a été très bien reçu par cette dernière.
Quant à l'attractivité des métiers, les problèmes ne sont pas récents. Avant la crise, 300 000 infirmières diplômées n'exercent pas leur métier. Le passif date d'il y a 50, voire 60 ans. Ce sont des métiers féminins, donc historiquement mal payés. Je l'affirme pour le dénoncer. Or il convient de prendre soin de ceux qui prennent soin de nous. Nous avons pu déployer une politique massive lors du Ségur de la santé. Cinq semaines de travail intensif avec les syndicats ont permis de conclure des accords majoritaires dans la Fonction publique hospitalière.
La revalorisation des salaires représente 10 milliards d'euros pour 1,5 million de salariés. Elle était nécessaire. Ces augmentations (200, 250, 300 euros de plus par mois) comptent énormément et contribuent à relancer l'attractivité des métiers, mais elles ne suffisent pas.
L'aspect salarial est essentiel, comme le bâti et l'outil de travail, mais d'autres leviers doivent être actionnés.
En premier lieu, il faut revenir sur la gouvernance de l'hôpital. L'hôpital est-il gouvernable aujourd'hui ? Nicolas Sarkozy disait en 2007 qu'il ne devait y avoir qu'un seul patron à l'hôpital, son directeur. Il en a résulté la loi HPST. Auparavant, on affirmait que l'hôpital ne pouvait pas être gouverné.
J'ai souhaité que l'on ne rentre pas dans ce débat et préféré me fonder sur ce qui avait fonctionné pendant la crise. Les équipes médicales et de direction avaient toutes le regard tourné dans la même direction, sauver des vies et soigner la covid. Il n'y avait plus d'indicateurs, de critères, de paramètres, de normes ou de contre-arbitrage. Tout le monde a agi dans le même sens, ce qui signifie que c'est possible. Ce qui l'est pendant une période de crise doit l'être en dehors. Dans le cadre du Ségur, avec les médecins, les soignants, les directeurs d'hôpitaux, nous avons conçu une boîte à outils qui est à disposition de tous les établissements pour leur permettre de s'organiser comme ils le souhaitent. On rend non opposable une partie du code de la santé publique. S'ils le souhaitent, ils peuvent recréer des services, voter pour désigner leurs responsables, intégrer de nouveaux membres dans les commissions médicales d'établissement. Il convient de faire vivre la démocratie interne au sein de l'établissement, notamment dans le cadre des commissions médicales d'établissement. Les établissements doivent s'organiser dans cette optique. Il ne s'agit pas de dire qui, du médecin ou du directeur, doit décider. Les différents acteurs doivent travailler ensemble.
Il faut aussi renforcer les investissements du quotidien pour les équipes et leur attribuer des budgets, par exemple pour rénover les locaux, mettre en place une tisanerie, acheter des pousse-seringues ou des lève-malades. Des moyens leur seront donnés à cet effet.
On paie mieux, on reconstruit, on modernise, on donne plus d'argent aux équipes, on donne plus de flexibilité et de fluidité à la gouvernance en favorisant les accords au niveau local.
L'autre enjeu en matière d'attractivité pour l'hôpital est celui de la formation et de l'évolution des carrières et des métiers. Je souhaite que l'on arrive à ce qu'i n'y ait plus de retour à l'institut. Lorsqu'une aide-soignante veut devenir infirmière, et qu'elle dispose de l'expertise et de l'expérience requises, un tel retour est démotivant, voire insultant au regard des compétences acquises par ces personnels. Au ministère, nous prônons la médicalisation progressive de personnels paramédicaux, en attribuant le statut d'infirmier en pratique avancée (IPA) aux puéricultrices, aux infirmières anesthésistes, aux infirmières de bloc opératoire. Il s'agit aussi de reconnaître la place de l'apprentissage, de l'alternance, de la validation des acquis de l'expérience (VAE) et de la VAE inversée, afin de permettre aux soignants d'acquérir de nouvelles compétences et d'évoluer dans leur métier. Si une personne exerce le même métier à 60 ans qu'à 20 ans dans les mêmes conditions sans qu'il ait été tenu compte de l'expérience acquise, cela ne participe pas à l'attractivité des parcours.
Au cours des prochaines années, cet axe est prioritaire. Certes, le corporatisme existe. Des médecins considèrent que l'on donne trop de compétences aux infirmières. Je réponds que la France ne peut pas être le seul pays de l'OCDE ne prévoyant aucun statut intermédiaire entre bac+3 et bac+12. De même, il faut donner des perspectives d'évolution aux aides-soignantes.
Le système de santé est assez cloisonné et fonctionne en silos. J'ai néanmoins de bons rapports avec les partenaires sociaux et les corps intermédiaires. Nous parvenons à avancer. Je crois profondément à la possibilité de continuer à réformer.
S'agissant des lits fermés, quel est le bilan de la situation ? Un rapport du conseil scientifique en avait parlé. On cite beaucoup de chiffres sans toujours les maîtriser. Nous avons effectivement un problème de remontée d'indicateurs. Je souhaite néanmoins vous faire part des résultats de l'enquête que j'avais fait réaliser sur la situation des ressources humains à l'hôpital. Plus de 1 100 établissements y ont répondu. L'absentéisme a augmenté d'un point entre 2019 et 2021, pour atteindre 5 % du personnel médical, 10 % des infirmiers, 15 % des aides-soignantes, hors absences liées à la covid. Sur les mois d'octobre à novembre 2021, la baisse des effectifs représente 1 000 ETP sur le panel d'établissements. Elle fait suite aux départs de soignants, qui masquent des réalités différentes d'une profession à l'autre. Ce constat confirme les besoins d'une hausse des capacités de formation, telles que mises en place dans le cadre du Ségur de la Santé. 6 000 places supplémentaires ont été mises en place dans les IFSI et les IFAS, pour former 6 000 infirmiers et aides-soignants supplémentaires.
Sur le plan des capacités hospitalières, nous observons une légère diminution du nombre de lits par rapport à 2019, soit 2 %. On est loin des 20 % évoqués. Elle est plus marquée en chirurgie mais contrebalancée par un développement important de la chirurgie ambulatoire, en hausse de 8 %, et une hausse très importante de l'hospitalisation à domicile (+ 26 %). Cette diminution du nombre de lits est temporaire et liée à la désorganisation des services en raison de la gestion de la crise sanitaire. On a transformé des chambres doubles en chambres simples, et donc fermé des lits. Parmi les grands projets annoncés lors du Ségur de la santé, par exemple à Nancy, j'ai demandé que des ouvertures de lits soient mises en oeuvre là où des suppressions étaient prévues, en portant une attention particulière aux unités de soins critiques et de réanimation, parce que nous avons pu constater que nous en manquions.
Parmi ce qui a bien fonctionné pendant la crise sanitaire, on peut évoquer la sortie dérogatoire du code des marchés publics. Il s'agit parfois d'un boulet attaché à la cheville des hôpitaux et certains achats peuvent coûter plus cher. Cette sortie dérogatoire a permis aux établissements d'acheter de grandes tentes extérieures pour créer un service d'accueil d'urgences séparé. Dans le cadre du code des marchés publics, il aurait fallu suivre des procédures qui auraient duré plusieurs mois. Nous ne pouvons pas le faire, car cela relève du droit communautaire européen. Ces normes peuvent encore peser sur nos établissements.
Quant aux liens ville-hôpital et entre l'hôpital et le secteur médico-social, ils se sont avérés efficaces pendant la crise sanitaire, y compris entre le public et le privé. J'ai participé à des réunions de coordination dans les territoires, avec le président du Conseil de l'ordre, les présidents de syndicats, les directeurs d'hôpitaux, leurs présidents de CME, les directeurs de cliniques et d'Ehpad. Les acteurs se parlent, planifient et mettent en commun. Ces démarches ont été efficaces et ont permis à l'hôpital de tenir. C'est un autre enseignement de la crise que nous devons conserver pour la suite : arrêtons de diviser entre ville et hôpital, entre hôpital et clinique privée. Arrêtons de cloisonner les professions. Prônons la liberté et la flexibilité. Au fond, c'est une des principales demandes des professionnels.