Je suis d'accord avec vous, Monsieur le président. Je représente l'institution, je suis médecin hospitalier et j'ai auparavant exercé des fonctions de soin. Ce discours n'est pas nouveau, je le comprends. Je n'ai pas employé les mots « perte de sens » dans mon intervention liminaire, mais lorsque je parle de donner un pouvoir décisionnel à l'équipe, de lui attribuer un budget, d'investir dans son quotidien, d'accroître les rémunérations, de sortir de la logique administrative et financière, de lui ôter la pression comptable liée à la T2A, de revaloriser la charge liée à la permanence des soins, de permettre d'évoluer dans ses métiers et ses compétences, je ne dis pas autre chose. Cependant, entre l'annonce et la réalisation, il s'écoule du temps.
Faites-moi confiance : le Ségur ne joue pas uniquement sur la feuille de paie. Certaines actions sont immédiatement visibles, alors que d'autres démarches prennent cependant un peu plus de temps. Lorsque l'on rénove des structures hospitalières, il faut trois à quatre ans pour réaliser les travaux. Ce temps de réorganisation interne des hôpitaux et de changement de la gouvernance est incompressible. Existe-t-il des éléments déterminants non mis en place susceptibles de changer radicalement la donne à très court terme ? Il convient d'accroître le personnel, de former davantage de personnel et d'embaucher 15 000 soignants supplémentaires, de remplir les postes non pourvus et d'ouvrir 4 000 lits à la demande. Lorsqu'une infirmière est rappelée chez elle, le soir, pour lui demander de venir travailler le lendemain, ainsi que le week-end suivant, il en résulte un sentiment de violence institutionnelle. Vous mettez la personne sous pression. Ce constat est encore plus manifeste dans les gros hôpitaux. Il faut s'appuyer sur des équipes bien dimensionnées.
En tant que ministre, ma première décision a consisté à demander qu'aucun départ anticipable de plus de 48 heures ne soit pas remplacé. Lorsqu'une infirmière part en congé pendant dix jours et ne peut pas être remplacée, ce n'est pas tolérable. Cela fait partie des mesures qui comptent, de la qualité de vie au travail.
Il faut aussi traiter la question des conflits. Je constate de nombreux conflits au sein des équipes, qu'il faut apaiser. Plus la pression est grande, plus il y a de conflits, et inversement. Ce travail d'apaisement est fondamental.
Comment expliquer le fait que l'année dernière, le nombre de soignants a diminué, alors même qu'on a augmenté les salaires et que nous essayons de recruter ? De nombreux établissements ont indiqué que de nombreux départs ont été différés. Les soignants ont préféré ne pas partir en pleine crise sanitaire. Une fois la vague passée, ils sont partis. Le renouvellement des effectifs est insuffisant. Cela explique notre volonté de développer la formation. Avec Amélie de Montchalin, nous déployons l'apprentissage, l'alternance et la VAE.
Enfin, concernant la crise des vocations, il apparaît que sur Parcoursup, la formation la plus demandée est celle d'infirmière (687 000 demandes), suivie de la formation de médecin (660 000 demandes). Si ce problème de vocation existait, nous le constaterions à ce niveau. En revanche, nous observons de nombreuses sorties, parce que le métier est trop dur. Il faut y ajouter le rapport au travail, puisque lorsqu'on fait un métier du soin, on travaille la nuit et le week-end. Cela fait partie des engagements indispensables, qui doivent être rappelés aux jeunes. Il faut reconnaître ce travail et faire en sorte que ces heures ne soient pas excessives. Le risque d'épuisement existe, mais nous ne souhaitons plus de telles situations. Avec Frédérique Vidal, nous avons pris l'engagement total de la tolérance zéro sur toutes les dérives rencontrées par les étudiants en santé.
Ces mesures sont une réponse à cette crise de sens. S'agit-il d'une situation franco-française ? Je ne le pense pas. À titre d'exemple, une moitié de maternité sont en cours de fermeture en Suède. Les difficultés en matière de ressources humaines sont considérables en Angleterre. Le ministre allemand de la santé estime que la situation est catastrophique dans les établissements allemands. Il ne faut pas imaginer que ce problème ne concerne que la France. C'est une tendance que l'on observe dans tous les pays de l'OCDE depuis environ vingt ans, marquée par une tentation de l'économie persistante.