Il suffit que je dise que les ratios n'étaient pas l'alpha et l'oméga de l'organisation des équipes. On m'a répondu « oh là, il faut mettre des ratios ». Je n'affirme pas qu'il ne faille pas donner les moyens aux équipes de soigner comme il faut, mais je dis qu'à chaque fois qu'on applique des critères normatifs au niveau national, on prive les équipes de la capacité de penser les organisations de façon différente. La flexibilité, la liberté et l'autonomie des établissements supposent de le faire en confiance et d'évaluer les résultats. Demander aux établissements d'expliquer comment ils seront autonomes ne relève plus de l'autonomie.
Même les partisans de l'autonomie prônent une autonomie bien contrôlée. Vous constatez l'ampleur du changement. C'est parce que les établissements l'ont fait pendant la crise sanitaire qu'on dit qu'ils savent faire. Ils l'ont démontré pendant la crise sanitaire. Ce n'est pas avec mes petites mains que j'ai doublé les lits de réanimation. Ce ne sont pas les médecins ou le directeur seuls qui ont décidé de transformer les blocs opératoires en unités de réanimation bis pour soigner les malades de la covid. C'est l'équipe tout entière. Ce que les établissements ont réussi dans ce contexte peut l'être hors de ce même contexte. C'est le seul moyen d'éviter que les mauvais réflexes du passé reviennent. Nous avons connu une période assez incroyable à l'hôpital, avec un regain de sens et la latitude d'agir, mais une fois la crise passée, le naturel revient au galop. Non, cela ne doit pas être le cas.
Madame Cohen, vous m'avez posé de nombreuses questions. La première porte sur les urgences, qui sont toujours de fait sous-dimensionnées. Entre la conception d'un service d'urgence et son ouverture, plusieurs années se sont écoulées. L'activité des urgences aura explosé dans l'intervalle, pressurisant ainsi ce service. Les urgences souffrent d'une augmentation massive, continue et régulière du nombre de passages par an. Vous en avez cité quelques causes : le fait de ne pas trouver de médecin en ville ou la nuit, le fait de ne pas savoir ce que l'on a. Les urgences souffrent ainsi d'une explosion de leur activité, constatée année après année. Des mesures correctives importantes ont ainsi été mises en oeuvre. Le service d'accès aux soins (SAS) est expérimenté dans 18 sites pilotes et génère des résultats probants. Il prévoit une régulation commune à la médecine de ville et l'hôpital, les patients étant orientés vers des médecins de ville qui peuvent accueillir des patients dont l'état ne justifie pas un passage aux urgences. Ce dispositif fonctionne.
Par ailleurs, les urgentistes ne doivent pas rester urgentistes à vie. Nous avons réformé l'internat en 2017, en créant une spécialité « médecine d'urgence », à la demande des acteurs, qui leur permet d'avoir de la formation continue et d'accéder à un deuxième DES. Par ailleurs, nous constatons parfois une mauvaise compréhension des choses. Il n'est pas obligatoire d'avoir un urgentiste par ligne aux urgences, mais un urgentiste par service. Les urgentistes peuvent être accompagnés par des médecins qui ne le sont pas. Parfois, il est compliqué de recruter des médecins qui ne sont pas urgentistes pour venir participer à la permanence des soins, parce que chacun doit réaliser ses propres gardes, a son propre rythme, mais les règles en la matière sont plus souples que ce que l'on imagine généralement.
Les hôpitaux de proximité sont en plein développement. Ce dispositif a été initié par Marisol Touraine, puis prolongé par Agnès Buzyn. Je l'accentue en développant des hôpitaux de proximité et en y intégrant des plateaux techniques, de la biologie et de la radiologie, afin de réinstaller ces établissements de proximité dans leur vocation première.
Sur la question des postes d'encadrants, nous augmentons le nombre de personnels hospitalo-universitaires de 250 en cinq ans, afin d'améliorer l'encadrement des étudiants. Les Assises ont permis la création supplémentaire de 12 postes hospitalo-universitaires en trois ans. Un sujet reste néanmoins fondamental, la péréquation des postes hospitalo-universitaires. Il y a de gros écarts entre universités, par exemple entre Paris-Descartes et Lille II. Il faut s'interroger sur la juste répartition de ces postes et leur corrélation à la charge en matière de formation.
Quant à la réforme de l'accès aux études de santé, nous avons augmenté les capacités d'accueil qui ont été accrues de 15 % en médecine. Nous avons prévu des locaux supplémentaires et nous développons les stages en ambulatoire. Six millions d'euros ont été engagés en 2021 dans l'enseignement par simulation, qui se déploie progressivement. Cet enjeu est important.
S'agissant des questions d'attractivité, je ne souhaite pas que l'on donne l'impression que les directeurs et personnels administratifs des hôpitaux seraient des bourreaux insensibles aux difficultés. Ils se trouvent en grande souffrance. Les contraintes médico-économiques auxquelles ils sont confrontés les empêchent parfois d'accompagner les projets qu'ils souhaiteraient. Les contraintes de gestion des personnels soignants sont aussi les leurs, et ils ne le vivent pas bien. C'est pourquoi je leur tire mon chapeau. Ils sont indispensables.
Je considère néanmoins qu'il faut proposer un CDI à tout le monde à l'hôpital. Je pense que les contrats intermittents, d'un mois ou de six mois, ne sont pas souhaitables. Le CDI doit être la règle d'emblée. Comment rompre un contrat de travail lorsque cela se passe mal ? S'agissant des médecins, les chiffres ne vous donnent pas complètement raison Madame Cohen. Le nombre de procédures disciplinaires à l'encontre des médecins est très faible, une vingtaine par an pour la France entière. Sous ce gouvernement, nous avons rendu possible la rupture conventionnelle dans la fonction publique, comme dans le secteur privé, mais ce dispositif n'est pas ouvert aux médecins hospitaliers, dont le statut est hybride.
Enfin, sur les questions de formation, on dit que les professions sont trop cloisonnées. Tout médecin que je suis, il me semble qu'il faudrait donner plus de compétences aux soignants et leur permettre d'évoluer au long de leur carrière. Une idée avait été émise par Lionel Jospin, la mise en place d'une première année de licence santé, commune aux différentes professions de santé, mais elle ne s'est pas concrétisée. Il s'agissait de faire acquérir aux différents acteurs des professions de santé (infirmiers, soignants et médecins) des rudiments de connaissances en anatomie, en physiologie, en sciences humaines et sociales, en éthique et en écoute. Des modules communs pourraient être institués, ainsi que des démarches d'apprentissage par des pairs. En deuxième année de médecine, une semaine de stage infirmier est prévue, pas plus. Cela ne permet pas de connaître la diversité des métiers à l'hôpital. Il faut créer plus de lien et de liant dans le début de carrière des futurs professionnels de santé. Dans le cadre de Parcoursup, un entretien motivationnel est indispensable. Il ne faut pas engager les jeunes dans des études qu'ils ne suivront pas. Il en résulterait du temps perdu pour ces étudiants et des soignants en moins dans notre pays. Tel est le travail de Frédérique Vidal.