Intervention de Eric Giacometti

Mission commune d'information sur le Mediator — Réunion du 3 mai 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Eric Giacometti journaliste chef de service au quotidien le parisien

Eric Giacometti, journaliste, chef de service au quotidien Le Parisien :

C'est un honneur et un privilège que d'être entendu par cette mission. Je suis actuellement chef du service Economie au Parisien - Aujourd'hui en France. En 1998, j'ai été embauché dans la cellule investigation du journal. Après l'affaire du sang contaminé, notre rédaction en chef pensait que d'autres affaires de santé publique allaient éclater. Or, les journalistes médicaux ne s'aventuraient pas souvent dans le domaine de l'investigation. Anne-Marie Casteret, qui travaillait pour l'Express, avait ouvert cette voie grâce à ses enquêtes sur le sang contaminé. J'ai donc été embauché pour traiter de ces affaires de santé publique. J'ai enquêté sur le sang contaminé, les hormones de croissance, l'amiante, le vaccin contre l'hépatite B, l'Isoméride, etc. J'ai une licence en biologie moléculaire, ce qui me permet, à un niveau modeste, de discerner le vrai du faux en matière médicale.

Je me suis progressivement intéressé aux laboratoires pharmaceutiques, en raison des affaires d'effets indésirables. J'ai traité le vaccin hépatite B puis l'Isoméride, ainsi que les anxiolytiques et les psychotropes. Je concentrerai mon propos sur l'Isoméride.

Nous étions généralement contactés par une personne qui se disait victime d'un médicament ou d'un vaccin particulier. Pour l'Isoméride, j'ai ainsi entendu une personne en contentieux avec un laboratoire. Nous avons détecté un scandale potentiel, en raison de l'inaction des pouvoirs publics. J'ai ensuite contacté les laboratoires Servier, ainsi que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), le ministère de la santé et les spécialistes médicaux qui avaient connaissance du dossier. Initialement, j'y voyais une affaire d'effets indésirables comme les autres, car tout médicament peut avoir des effets indésirables. Au cours de mon enquête, j'ai découvert des faits curieux. Les laboratoires sont peu enclins à coopérer avec les enquêteurs. Or, j'ai été confronté à une véritable paranoïa des personnes que je rencontrais, dès que Servier était mentionné. On m'a conseillé de faire très attention, en soulignant que Servier n'était pas un laboratoire comme les autres. En 1998, l'Isoméride avait déjà été retiré du marché. Les spécialistes médicaux, les pouvoirs publics, les membres de l'Afssaps m'ont mis en garde. J'ai ensuite rencontré les membres de Servier, qui se sont montrés tout à fait charmants. Ils ont soutenu qu'ils étaient victimes d'une cabale et que rien ne prouvait le lien de causalité entre l'Isoméride et l'HTAP (hypertension artérielle pulmonaire). En enquêtant, j'ai découvert des problèmes réels. Mon enquête a été publiée en 1998 sous la forme d'un dossier intitulé « L'Isoméride : 20 morts » incluant le témoignage d'une victime, un rapport d'expert concluant à un lien de causalité entre l'Isoméride et l'HTAP et annonçant d'autres cas mortels imputables au médicament.

Une telle enquête, publiée dans un journal grand public comme Le Parisien, qui exerce une influence sur les autres médias, avait à l'époque un impact bien plus fort qu'un article de la revue Prescrire. Le laboratoire a engagé un procès en diffamation. De mon côté, j'ai continué à enquêter sur plusieurs affaires et publié d'autres articles sur l'Isoméride. J'ai par la suite été attaqué une nouvelle fois par le laboratoire.

Pour un journaliste, un procès en diffamation n'est pas anodin, car il risque de faire « plonger » le journal, et les éventuels dommages et intérêts ont un effet dissuasif sur les actionnaires. L'avocate des laboratoires Servier était Nathalie Carrère. J'ai été traité de « honte du journalisme », alors que les journalistes médicaux étaient présentés comme des professionnels sérieux qui ne traitaient pas ce genre d'informations racoleuses. Mon enquête était présentée comme un tissu d'insanités. L'actionnaire principal, Philippe Amaury, s'est rendu au procès pour m'assurer de son soutien. Nous avons gagné ce procès, ainsi qu'un deuxième.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion