Intervention de Sylvie Goy-Chavent

Mission commune d'information sur la filière viande en France et en Europe — Réunion du 17 juillet 2013 : 1ère réunion
Examen du rapport de la mission

Photo de Sylvie Goy-ChaventSylvie Goy-Chavent, rapporteure :

Nos travaux, qui se sont déroulés sur une durée très courte, ont été particulièrement denses. Je remercie Mme la présidente et l'ensemble de nos collègues pour leur travail, leur disponibilité et pour la qualité de nos échanges, qui avaient pour objectif la pérennité de nos filières viande et l'intérêt général.

Cette mission a été créée à la suite du scandale de la viande de cheval vendue pour du boeuf, fraude qui a révélé que la viande est aussi une industrie de masse et une activité commerciale internationale. Ce sont 50 000 tonnes de viande de cheval qui ont fait l'objet de cette fraude, soit l'équivalent de 3 % de la production annuelle française de viande bovine. Des entreprises françaises ont participé plus ou moins volontairement au recyclage frauduleux de viande de cheval, comme Spanghero ou Comigel. D'autres, comme Fraisnord, ont été victimes de l'effondrement du marché des lasagnes surgelées. Cette affaire, fraude et non scandale sanitaire, n'était toutefois pour nous qu'un prétexte à une réflexion plus large sur la filière viande. D'autant que si le consommateur a été trompé, il n'a pas été empoisonné.

La première question abordée par la mission a été celle du niveau de sécurité sanitaire des produits carnés en France et en Europe. La circulation non contrôlée des produits alimentaires n'est pas sans risques, or le consommateur exige un haut degré de sécurité sanitaire. Les alertes sanitaires ont des effets économiques dévastateurs, comme l'a montré la crise du concombre il y a deux ans. Dans le doute, les consommateurs se détournent du produit. Les dommages se comptent en centaines de millions d'euros, les producteurs étant les premiers touchés.

Nos constats sont toutefois rassurants. La réglementation a été renforcée depuis une quinzaine d'années, à la suite de la crise de la vache folle, et unifiée au niveau européen avec le paquet Hygiène de 2005. Le maître mot est la traçabilité, du pré à l'assiette. La sécurité repose d'une part sur les entreprises du secteur, qui doivent mettre en oeuvre des démarches qualité et contrôler leur approvisionnement et leur production, d'autre part sur l'État, en charge de l'agrément sanitaire et du contrôle des entreprises. L'abattage-découpe est particulièrement surveillé. Outre l'obligation de se doter de plans de maîtrise des risques, les abattoirs accueillent les services vétérinaires qui contrôlent les carcasses.

La crise de la viande de cheval a montré que la traçabilité fonctionne : le parcours des lots de viande incriminés a été identifié très rapidement. Mais elle a aussi montré la fragilité du système : alors que les cartons de viande, fraîche ou congelée, circulent librement en Europe, on manque de moyens financiers et humains pour renforcer les contrôles, et les escrocs sauront toujours contourner la loi... Nous avons découvert un commerce massif de viande en vrac sous forme de minerai, vendu comme une matière première banale via des circuits économiques complexes faisant intervenir des intermédiaires sur lesquels pèsent des obligations très légères, voire inexistantes.

Comment améliorer la confiance dans notre système ? Nos propositions s'articulent autour de l'idée de coproduction de la sécurité alimentaire, qui suppose une action combinée des entreprises et des pouvoirs publics, mais aussi du consommateur. Celui-ci doit être mieux informé par un étiquetage de l'origine de tous les produits carnés qu'il consomme, bruts ou transformés. C'est un combat à mener à l'échelle européenne.

Je propose aussi d'instaurer un dispositif d'agrément pour les opérateurs commerciaux purs comme les traders ; renforcer les contrôles sur l'aval de la chaîne, sur les établissements de quatrième transformation ou de remise directe ; durcir les sanctions en cas de tromperie. Cela suppose de mettre fin à l'hémorragie des services de contrôle officiel de l'État. Il faut aussi être vigilant sur les pratiques de nos voisins, car le laxisme d'un seul tire tout le monde vers le bas.

La deuxième question que nous nous sommes posée est celle de l'état économique de la filière viande. Jamais la situation n'a été aussi difficile. Les filières sont pourtant très diverses : le poulet est très intégré, les aviculteurs ont une visibilité complète sur leurs débouchés ; le porc est bien organisé, dans un jeu concurrentiel très ouvert ; la filière ovine, plus modeste, a fait des progrès en matière d'organisation ; enfin, la filière bovine est très atomisée, avec des cycles de production longs et un poids croissant de l'élevage spécialisé de bovins de race à viande par rapport à la vache de réforme. Quoi qu'il en soit, malgré une hausse des prix, les revenus des éleveurs restent faibles, du fait du renchérissement de l'alimentation animale et de la hausse générale des charges. En conséquence, le cheptel ne cesse de se réduire, et les jeunes hésitent à s'engager dans un métier difficile et peu rémunérateur. Ce déclin fragilise toute la chaîne, à commencer par le maillon industriel qui a besoin de tourner à plein régime pour être rentable face à la concurrence de pays qui, comme l'Allemagne, pratiquent le dumping social.

À en croire l'observatoire des prix et des marges, plus personne ne gagne sa vie dans la filière bovine. Pour inverser la tendance, les professionnels et les pouvoirs publics ont proposé un plan pour la méthanisation, un autre pour la filière volaille, un troisième pour la filière porcine, des contrats de filière dans l'agroalimentaire, des états généraux de la viande... Nous proposons pour notre part un plan global pour sortir la filière viande de l'ornière.

L'étiquetage doit permettre au consommateur de distinguer produit standard et produit de qualité, avec mention du pays d'origine sur les cartes des restaurants et en restauration collective, y compris pour la viande transformée. Pour faire du consommateur un allié, il faut l'informer des pratiques abusives des distributeurs et expérimenter le double étiquetage des prix. Enfin, supprimons les promotions abusives qui effondrent les prix psychologiques de la viande et entretiennent la course folle aux prix bas.

Pour améliorer la compétitivité des acteurs de la filière, la mission recommande une réorientation de la PAC en direction des éleveurs, une politique volontariste d'installation de jeunes éleveurs, une nouvelle prime à l'engraissement, des aides aux investissements. Le maillon industriel doit aussi être soutenu, en organisant mieux le secteur de l'abattage, en favorisant l'exportation ou encore en maintenant les restitutions dans le secteur du poulet.

La simplification est un levier de compétitivité : je propose de subordonner toute norme nationale plus sévère que les normes européennes à une étude d'impact, de ne pas imposer de contraintes inutiles en matière d'épandage, d'alléger et d'accélérer les procédures pour les éleveurs porcins. Nous devons aller plus vite, sans sacrifier nos exigences environnementales, car le temps de l'économie n'est pas le temps de l'administration : on ne peut demander à un jeune d'attendre plusieurs années les autorisations administratives avant de s'installer. Enfin, nous proposons de demander à Bruxelles la révision des conditions d'application de la directive sur le détachement des travailleurs, qui pénalise la France.

La troisième problématique abordée par la mission concerne les réponses de la filière viande aux enjeux sociétaux. La consommation de viande est de plus en plus contestée, au nom de la santé, de l'environnement ou encore du bien-être animal. Or la viande fait partie de notre patrimoine gastronomique et l'élevage est indispensable à l'entretien de nos territoires ruraux. La défiance ne cessera que si l'on rapproche le consommateur du terroir, en privilégiant circuits courts et produits de qualité. Il faut rappeler les avantages environnementaux de l'élevage à l'herbe et ne pas stigmatiser la viande par un étiquetage environnemental partiel et partial. La filière doit aussi former les professionnels et améliorer les conditions de travail.

Nous nous sommes intéressés au bien-être animal, en particulier au moment critique du passage de la vie à la mort. Si nous sommes moins sensibles à cette question que les anglais ou les scandinave, les révélations médiatiques sur certaines pratiques ont choqué. L'Europe a imposé l'étourdissement préalable des animaux de boucherie, sauf pour ce qui concerne l'abattage rituel. Ainsi, 14 % du tonnage de viande et 26 % des animaux de boucherie seraient abattus sans étourdissement, mais nous manquons de chiffres fiables. Le décret de décembre 2011 réserve l'abattage sans étourdissement aux seuls animaux destinés au circuit rituel répondant à des commandes. L'absence d'insensibilisation lors de l'abattage rituel présente un risque sanitaire mal évalué, sans parler de la souffrance des bêtes. Certains bovins mettraient 14 minutes pour mourir. Les témoignages sont horrifiants.

Les pratiques en abattoir doivent être améliorées. Le décret de 2011 impose des formations, mais il faut mieux contrôler son application. Les services de l'État doivent inspecter plus régulièrement les pratiques. Si l'on ne peut interdire l'abattage rituel, informons du moins le consommateur via un étiquetage clair et non stigmatisant. Secondons les Pays-Bas, qui plaident en ce sens au niveau européen.

Nous sommes tous fiers de la qualité de l'élevage français, premier maillon d'une longue chaîne qui va jusqu'au consommateur. De nombreux emplois sont en jeu. À nous de tout mettre en oeuvre pour assurer l'avenir de nos filières viande.

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