Intervention de Olivier Passet

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 7 mai 2014 à 15h45
Audition de M. Olivier Passet directeur des synthèses économiques du groupe xerfi

Olivier Passet, directeur des synthèses économiques du groupe Xerfi :

Nous avons beaucoup de connaissances sur ce sujet délicat, mais aussi beaucoup de méconnaissances et de subjectivité. Il y a des preuves empiriques, que j'ai décortiquées, presque torturées, pour en déceler les failles ; et suffisamment de travaux convergents pour adhérer à certains consensus. La question est de savoir si l'efficacité des allègements, prouvée pour certains secteurs, pour les TPE et pour les faibles qualifications, ne pénalise pas à long terme la croissance et la compétitivité de l'économie française.

Le long terme est difficile à appréhender : il est hors champ pour les spécialistes du marché de l'emploi et aucune maquette n'est fiable pour explorer cet horizon. Le groupe Xerfi travaille quant à lui avec les entreprises, ce qui lui donne un point de vue différent, une idée de la dynamique économique dans le temps. Pour ce qui est de l'évaluation de l'effet des exonérations, le travail de 2012 de la Dares est équilibré, dans un débat où l'idéologie suscite des surenchères : ainsi l'élasticité de l'emploi au coût du travail, autrefois évaluée à 0,7, serait maintenant de 2 ou 3 selon Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo ! Il est prudent de rester au milieu de la fourchette. Les travaux extrêmes ont des biais, ils procèdent d'analyses purement statistiques, portant sur des sous-périodes précises qui ne sont pas replacées dans le cycle économique.

Il est vrai que les baisses de charges ont un impact sur l'emploi, en particulier sur l'emploi peu qualifié. Mais ce qui est moins convaincant, c'est l'analyse qui sous-tend ces travaux, selon laquelle le chômage ne concernerait que les salariés en deçà d'1,3 Smic ; au-delà, la France serait au plein emploi. Cela est faux, caricatural, trompeur et nous éloigne de notre cible, le rétablissement du plein emploi et de la compétitivité.

En effet, la France n'a pas un problème de chômage plus aigu que les autres économies développées. L'écart entre le taux de chômage des non-diplômés et le taux de chômage général est de 6,5 points, mais on retrouve un tel écart partout. Ce sont toujours les derniers entrants, les jeunes, et singulièrement des moins qualifiés, qui sont les plus touchés. Les jeunes sont mieux protégés uniquement dans les pays où prévalent l'éducation duale et l'apprentissage.

Considérons le taux d'emploi des salariés peu qualifiés dans la tranche des 25-59 ans (au-delà, l'âge plus bas de la retraite est un biais, et en deçà, le système éducatif est en cause). Avec 63,2 %, le taux français est de 5,7 points au-dessus de la moyenne européenne et surpasse celui du Royaume-Uni et de l'Allemagne. Les jeunes, en revanche, y compris les plus diplômés, ont un taux d'activité singulièrement faible, ce qui demande des solutions spécifiques. Toucher au salaire ne suffit pas et ne donne pas d'effets automatiques, comme le montre le fait que des dérogations existent déjà, telles que l'apprentissage, les stages, les emplois aidés. Ce qu'il faut, c'est un système stable et cohérent comme en Allemagne, en Suisse ou aux Pays-Bas, au lieu de dispositifs qui changent d'un gouvernement à l'autre. De la simplicité : les entreprises rechignent aujourd'hui en France à recourir à l'apprentissage à cause de sa complexité, notamment réglementaire, et de son coût.

Il faut tordre le cou à l'idée que le chômage serait toujours situé en bas de l'échelle des salaires. Les Etats-Unis ont la même distribution que la France entre les différentes qualifications : la file d'attente en bas, universelle, se situe dans les mêmes secteurs, commerce, distribution, hôtellerie, construction. C'est qu'il y a des obstacles qui dépassent l'enjeu du salaire minimum, très bas aux Etats-Unis, en particulier le profil des personnes, difficulté à les intégrer. En France, nous constatons un déclassement qui concerne 30 % des emplois non qualifiés. Les emplois rémunérés jusqu'à 1,3 Smic sont occupés par des diplômés. Qu'on ne nous fasse pas croire qu'il n'est pas utile de créer des emplois qualifiés ! Les files d'attente sont en réalité partout, mais nous ne pouvons les mesurer qu'en bas de l'échelle. Le marché du travail est déséquilibré : il n'y a pas deux marchés du travail, dont un fonctionnerait bien et l'autre mal.

Une autre idée que l'on entend beaucoup est que la France n'a pas suffisamment développé d'emplois dans le commerce, la distribution, l'hôtellerie, dans les services à faible valeur ajoutée. Une étude de Thomas Piketty il y a quelques années montrait un décalage, ramené à notre population, de 2 à 3 millions d'emplois dans ces secteurs par rapport aux Etats-Unis ; on en a conclu qu'ils recélaient un gisement d'emplois et pourraient devenir la voiture-balai du chômage. J'ai donc refait l'exercice pour chaque pays européen. La comparaison avec l'Allemagne montre un décalage, ramené à notre population, de 2,5 millions d'emploi dans l'industrie, de 450 000 dans les services aux entreprises et de 200 000 dans la santé et l'action sociale. La comparaison avec le Royaume-Uni, pays des petits jobs, montre un décalage de 700 000 emplois dans le commerce, l'hôtellerie, la restauration, de 1 million dans l'enseignement et de 400 000 dans la santé et l'action sociale.

L'homothétie avec les Etats-Unis est une fausse évidence. La source principale de ces écarts réside dans l'usage important que ces secteurs font du temps partiel et des mini-jobs. Les écarts ne sont pas si grands si on les ramène à leur équivalent temps plein. Ces emplois peuvent être un appoint, notamment pour les jeunes, et je ferais volontiers mienne l'affirmation de Peter Hartz, selon laquelle il vaut mieux un petit job que rien. La France n'a pas ouvert la possibilité de travailler six à huit heures. Néanmoins, ces emplois d'appoint, fragmentés, n'empêchent nulle part les difficultés d'insertion des jeunes. Or ces idées sont nuisibles : on en déduit que la solution est de développer des emplois non qualifiés dans certains secteurs... Ainsi les dernières études qui concluent à une élasticité de l'emploi au coût du travail peu qualifié de 2 à 3 doivent être prises avec des pincettes. La part de l'emploi non qualifié dans l'emploi total en France s'est stabilisée, voire a augmenté, puis a diminué avec la crise. La politique de réduction des charges a modifié l'architecture de l'emploi en France.

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