Je représente l'association loi de 1901 « Agir pour l'école », créée à la suite des travaux de l'Institut Montaigne sur l'éducation, dont les conclusions ont été rappelées à l'instant par son directeur.
Nous voulons détecter les bons leviers de changement du système éducatif français grâce à une expérimentation locale bien évaluée. Il s'agit de diffuser les bonnes pratiques d'enseignement et, en particulier, soutenir la recherche en psychologie cognitive et en économie de l'éducation. Tout ceci n'est possible qu'en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale. Nous avons donc commencé à tisser des liens avec la direction générale de l'enseignement scolaire, que vous receviez tout à l'heure. Notre travail consiste à répondre à la question suivante : quelle(s) réforme(s) permettraient de diviser par deux la grande difficulté scolaire en CM2 ? Rappelons que la difficulté scolaire est acquise très tôt.
L'expérimentation en matière d'éducation est une matière relativement récente puisqu'elle date d'une vingtaine d'années. Elle s'inspire toutefois d'une matière plus ancienne qui est l'expérimentation médicale. La méthodologie est similaire :
- il s'agit de constituer deux groupes d'élèves identiques au départ (par tirage au sort) ;
- nous modifions une dimension, par exemple la taille des classes ou la pédagogie, dans le groupe d'intervention. Dans l'autre groupe, nous ne modifions rien ; c'est le groupe témoin ;
- nous comparons les résultats des élèves à la fin de l'expérimentation, au bout d'un à trois ans.
Nous mesurons l'ampleur de l'effet. Si nous rapportons l'ampleur de cet effet à ce que l'on attend d'une grande réforme nationale de l'éducation, nous pouvons évaluer si cette réforme est à la hauteur des enjeux. Il convient de noter que le passage à grande échelle risque de diminuer l'effet, donc nous devons nous attacher à des réformes qui, dans le cadre de l'expérimentation, donnaient lieu à des résultats supérieurs à ceux dont nous avons besoin dans des réformes à grande échelle. L'évaluation des projets porte sur une vingtaine de classes. Une fois l'expérimentation déployée sur une centaine de classes, nous pouvons la généraliser progressivement sur la base des résultats obtenus et des moyens définis au cours de l'expérimentation.
Le programme « Parler bambin » de Michel Zorman, pratiqué dans les zones d'éducation prioritaire (ZEP) de l'académie de Grenoble sur la fin de maternelle et le début de primaire dans huit classes entre 2005 et 2008, a permis de réduire l'échec scolaire par deux par rapport aux classes témoins. La proportion d'élèves en grandes difficultés scolaires était extrêmement élevée ; elle a été réduite de 25 à 12 %. Quant aux élèves forts, leur nombre a doublé en volume dans l'échantillon. Les élèves avaient rattrapé la moyenne nationale, fait rare pour des élèves de ZEP. Certains ont trouvé ces résultats miraculeux : or, ils sont fondés sur vingt ans de recherches en psychologie cognitive. Le Docteur Michel Zorman s'est inspiré fortement de la plus grande synthèse de la recherche mondiale sur les compétences clés à développer chez l'enfant pour le mettre dans de meilleures conditions d'apprentissage. Cette recherche avait été menée par le National Institute of Child Health and Human Development (NICHD) à la demande du Congrès américain et faisait la synthèse de plus de 100 000 recherches sur les politiques de lutte contre l'illettrisme.
Nous pouvons beaucoup apprendre de ces recherches anglo-saxonnes car le passage de l'oral à l'écrit en français au CP est très proche de l'anglais. Le programme « Parler » montre que les recherches donnent toujours les mêmes résultats sur :
- les compétences à travailler de façon prioritaire : la phonologie, le code alphabétique et la compréhension des textes ;
- la façon de travailler la plus performante : une approche structurée et le travail en petits groupes de niveaux homogènes.
Il faut intervenir le plus tôt possible. L'important est de bien réussir son CP et son CE1. Il faut donc axer le travail sur la prévention et non sur le remède. Une recherche américaine a montré qu'avec le même protocole, il fallait trois fois plus de moyens en CM2 qu'en CE1 pour parvenir aux mêmes résultats, ce qui est inaccessible à grande échelle. En France, il faut donc intervenir dès la maternelle ou le CP, voire la crèche.
Une autre recherche française a montré que les niveaux de langage pouvaient fortement évoluer grâce à une action intensive sur le langage dès l'âge de 2 ans.
Cependant une expérimentation plus ancienne est allée dans le sens contraire. Il s'agit du projet ECLEC (Action en éCriture LECture), développé en 1989 par un chercheur renommé, J. Fijalkow dans l'Aude et la Haute-Garonne. Ce projet centré sur la lecture et l'écriture reposait sur une approche hybride :
- de petits groupes d'élèves hétérogènes. Les enfants étaient regroupés en fonction de leur capacité à travailler ensemble ;
- une pédagogie fondée sur l'accompagnement plutôt que sur l'enseignement.
Ce programme a été expérimenté sur 48 classes de CP, dont 19 classes d'intervention et 29 classes témoins. Or ce dispositif, qui avait remporté une large adhésion auprès des enseignants, n'a eu que peu d'impact en dictée et en compréhension écrite. Bien qu'il n'ait pas donné de résultats probants sur les dimensions centrales de la recherche, il a montré des résultats intéressants en matière de production écrite, sur laquelle la recherche se focalise peu. Par ailleurs, ce programme a mis en évidence un résultat intéressant : les enseignants, comme les parents, ont des difficultés à évaluer le niveau des élèves. En effet, la corrélation entre l'avis des acteurs et la réalité est faible. Il est difficile d'évaluer le niveau des élèves. C'est pourquoi il faut doter les enseignants d'outils d'évaluation fidèles au niveau des élèves.