Intervention de Laurent Cros

Mission commune d'information sur le système scolaire — Réunion du 1er mars 2011 : 3ème réunion
Audition de Mm. Laurent Bigorgne directeur de l'institut montaigne et laurent cros délégué général de l'association « agir pour l'école »

Laurent Cros, délégué général de l'association « Agir pour l'école » :

Concernant les moyens alloués au système éducatif, une étude intéressante de l'OCDE a montré que le coût d'un élève dans le primaire est très faible. Le coût d'encadrement est très faible : nous manquons d'enseignants. C'est le contraire au lycée, par l'intermédiaire des options. Nous avons donc misé sur le lycée, alors qu'une bonne partie de la génération s'est déjà évaporée. Miser au début de la scolarité permettrait d'obtenir les plus grands bénéfices. Je ne pense pas que nous ayons fait le bon choix historiquement. Il faut envisager une redistribution des moyens. Nous devons nous intéresser à trois dimensions : le salaire des enseignants, la taille des classes et le nombre d'heures d'enseignement par an. Nous atteignons des records en termes de temps d'enseignement, ce qui permet de compenser le manque d'enseignants.

S'agissant de la généralisation des expérimentations à une plus grande échelle, nous avions esquissé une étape intermédiaire à 100 classes. Nous devons évaluer les résultats de l'expérimentation par étape de généralisation. Toutes les maternelles de France travaillent déjà en petits groupes. Or aucun CP ne travaille selon cette méthode. Les enseignants enseignent comme les professeurs d'université, devant la classe. Il faut continuer à travailler en atelier au-delà de la maternelle, au rythme de deux heures par jour. Les enseignants savent le faire lorsqu'ils sont formés en ce sens. Les bénéfices du travail en petits groupes sont importants notamment pour les classes hétérogènes.

Nous devons déployer ces dispositifs à plus grande échelle en investissant dans la formation continue qui ne représente aujourd'hui qu'un à deux jours par an par enseignant. La demande de formation continue des enseignants est extrêmement forte. En effet, plus des deux tiers des enseignants demandent des outils nouveaux pour traiter les difficultés scolaires. Il faut donc former les enseignants aux contenus issus des nouvelles expérimentations pour faire progresser le système éducatif. La crédibilité du système éducatif repose sur celle de ses enseignants.

Les recherches ont bel et bien démontré qu'il n'existait aucun lien entre être savant dans sa discipline et être un très bon pédagogue. Or nous recherchons de très bons pédagogues, en particulier dans l'enseignement primaire. Seule l'expérience permet de savoir si un savant est bon pédagogue. Par conséquent, une formation en alternance des enseignants serait adaptée. La formation continue améliore la capacité à être un bon pédagogue. Par ailleurs, certains enseignants ne sont pas faits pour ce métier et doivent en prendre conscience.

S'agissant de l'autonomie des établissements, il ne faut pas réinventer tous les jours la manière d'enseigner mais conserver des pratiques validées. Les initiatives des établissements peuvent s'avérer intéressantes pour l'innovation si elles restent marginales. Dès lors qu'une expérimentation semble porter ses fruits, il faut rapidement la tester à plus grande échelle pour vérifier ses résultats.

Par ailleurs, l'hétérogénéité constitue sans doute un handicap pour une classe mais peut être gérée dès lors que de petits groupes de travail sont constitués. Il faut se poser une question fondamentale : peut-on réellement enseigner dans une classe qui comporte dix élèves en grande difficulté scolaire ? La réponse est négative. Si un travail important a été fourni en amont, c'est-à-dire en maternelle, il serait peut-être possible de réduire la proportion d'élèves en difficulté au CP. Dans le cas contraire, la solution est peut-être celle proposée par Luc Ferry qui consiste à donner aux enseignants un nombre d'élèves en difficulté raisonnable, à savoir trois ou quatre. Il faut donc constituer des classes plus petites lorsque les élèves sont majoritairement en difficulté. La dernière solution envisagée par les États-Unis est le busing qui consiste à amener les élèves en difficulté dans les classes des centres villes. Cette initiative a été tentée à petite échelle dans la politique de la ville mais est compliquée à mettre en oeuvre. En effet, ces élèves sont stigmatisés à leur arrivée dans l'école. C'est pourquoi cette solution est difficilement envisageable à grande échelle.

Par conséquent, il faut confier un nombre raisonnable d'élèves en difficulté aux enseignants et ne pas constituer des classes homogènes d'élèves faibles car cela diminue le niveau général d'ambition de l'école. L'enseignant qui n'a que des élèves en difficulté n'a pas d'ambition et c'est normal. Il s'habitue à la difficulté scolaire et n'atteindra plus la moyenne nationale. L'hétérogénéité est essentielle et il faut limiter le nombre d'élèves dans les classes en grande difficulté pour que leur cas puisse être traité.

La variable immigration est souvent rapportée comme un frein à la réussite scolaire dans la mesure où les élèves n'ont pas le français comme langue maternelle. Or les études contredisent cet a priori puisqu'elles montrent que la variable catégorie socio-professionnelle (CSP) est déterminante. C'est la CSP qui explique les difficultés scolaires et non l'immigration. Lorsque nous essayons de discerner les effets spécifiques de la langue parlée à la maison ou de l'origine, nous observons parfois des effets contre-intuitifs. Par exemple, les enfants d'origine maghrébine en CP progressent plus lorsqu'ils sont fils d'ouvriers que les fils d'ouvriers français de souche. Il ne faut donc pas surestimer la variable immigration. Cette variable n'apporte rien à condition d'arriver tôt dans le système scolaire. La maternelle vient contrer le fait que le français n'est pas la langue maternelle de ces enfants. Dès lors, aucune difficulté spécifique ne se posera par la suite.

Lorsque l'on évoque les CSP en difficulté, nous parlons rarement des enfants arrivés en cours de scolarité qui représentent une faible proportion des élèves en difficultés scolaires. Or tous les établissements ne sont pas suffisamment équipés pour accueillir les élèves en cours d'année.

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