Sur la situation spécifiquement française et le caractère déficitaire de notre commerce extérieur, je ne crois pas que ce soit un élément très déterminant ; ce qui est plus important, c'est le volume global du commerce, l'ouverture globale. Encore une fois, la France est un pays qui exporte et importe relativement peu non seulement par rapport à des pays de plus petite taille, mais également par rapport à l'Allemagne. Cela s'explique par le fait que nous sommes un peu moins insérés dans l'échelle des valeurs globales. C'est cela qui déterminerait essentiellement l'impact plus ou moins important sur le plan économique d'une sortie de Schengen.
La force symbolique de Schengen est par nature difficile à mesurer. J'ai le souvenir du premier jour où j'ai passé la frontière polonaise sans contrôle en atterrissant à l'aéroport de Varsovie, alors que les guérites avaient été démantelées. Je me suis alors dit que le Mur n'existait vraiment plus ! Cela a une valeur symbolique lorsque des segments - ils ne sont pas si nombreux - de la population, en particulier chez les jeunes, considèrent que traverser les frontières fait partie de leur mode de vie et de leur citoyenneté. Il faut donc faire attention à la valeur symbolique de ce type de mesures.
Au-delà, « la frontière qui protège » est une idée à très forte valeur symbolique chez nos concitoyens face à la menace actuelle, alors même que cette menace qui nous concerne, avant d'être extérieure à l'Union européenne, provient en partie de chez nous.
J'en viens à votre dernier point, Monsieur Vaugrenard, sur la capacité de l'Union européenne à répondre à une situation nouvelle. En dehors de la question spécifique de Schengen, c'est vraiment cela qui est en jeu. Les problèmes auxquels nous faisions face au moment de la création de la Communauté, ou même il y a vingt ans, n'étaient pas de même nature, et l'Union joue aujourd'hui sa légitimité dans sa capacité à répondre à une gamme de problèmes nouveaux. Une Union qui ne serait pas capable de traiter les problèmes d'aujourd'hui, seulement ceux d'hier, perdrait une part considérable de sa légitimité aux yeux de nos concitoyens, et à juste titre.
On peut appeler cela une refondation, on peut appeler cela de différentes manières. Nos concitoyens manifestent un certain agnosticisme, ce que traduisent bien les enquêtes d'opinion : certains ont a priori une position pro-européenne ou une position antieuropéenne, mais une grande masse de nos concitoyens considère que des problèmes relèvent plus naturellement du niveau européen parce qu'ils sont plus à la dimension de l'Union, et que d'autres problèmes relèvent plus naturellement du niveau national ou infranational - à chaque gamme de problèmes son échelle naturelle. Mais encore faut-il qu'il y ait une capacité à définir et à mettre en oeuvre des réponses à la mesure de ces problèmes.
La légitimité de l'Union européenne se joue donc sous nos yeux, dans sa capacité à répondre à cette nouvelle forme d'insécurité à laquelle nous sommes confrontés.