Intervention de Pierre Madec

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 30 mars 2021 à 14h30
Les apl comme instrument de lutte contre la paupérisation — Audition de Mm. François Adam directeur de l'habitat de l'urbanisme et des paysages du ministère de la transition écologique et pierre madec économiste à l'observatoire français des conjonctures économiques ofce

Pierre Madec, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) :

Je vous remercie pour votre invitation. Les revenus d'exclusion sont relativement bas. Pour une personne seule, les aides sont limitées à 1,1 SMIC. L'aide est très dégressive à partir de 0,5 SMIC. Chaque euro de revenu supplémentaire diminue le montant de l'APL. Les aides sont extrêmement bien ciblées sur les ménages les plus pauvres. La répartition des aides sociales en centile de niveau de vie permet de constater que les APL sont les aides les plus concentrées sur les centiles les plus bas. La grande majorité des 17 milliards d'euros versés au titre des APL est destinée aux ménages les plus pauvres. En tant de crise, les pouvoirs publics focalisent les aides sur ce public pour soutenir les plus pauvres.

Je ne reviens pas sur la question de l'impact des APL dans la lutte contre la pauvreté. J'ai les mêmes chiffres que la DHUP. Les APL réduisent très fortement le taux de pauvreté, mais ce n'est pas l'objectif initial. Leur objectif est la solvabilisation des ménages.

Un indicateur important est le taux d'effort des ménages, ou part de la dépense sur les revenus. Nous pouvons étudier le taux d'effort brut, le taux d'effort net et la différence entre les deux. L'objectif est de diminuer le taux d'effort des ménages. Le taux de pauvreté diminue de 2,4 points par l'aide au logement. Les minima sociaux réduisent la pauvreté de 2 points.

Les APL diminuent aussi l'intensité de la pauvreté, calculée en rapportant le niveau de vie moyen des ménages pauvres au seuil de pauvreté. Nous constatons que les APL sont l'aide sociale qui diminue le plus l'intensité de la pauvreté. Elle permet de sortir les ménages de la pauvreté et pour les ménages toujours pauvres, l'intensité de la pauvreté a été réduite. Il faut rappeler que ce n'est pas l'objectif initial de l'APL de lutter contre la pauvreté, alors que cet outil est très efficace.

Les 10 % des ménages les plus pauvres qui vivent dans le parc social ont un taux d'effort brut supérieur à 30 % avant versement des APL. Les loyers sont maîtrisés et encadrés, mais le poids du logement est très élevé. Les APL diminuent le taux d'effort à plus de 10 %. Le taux d'effort des personnes les plus pauvres qui vivent dans le parc privé est divisé par deux grâce aux APL, c'est-à-dire que la part de leur revenu consacrée au logement est divisée par deux. Si l'objectif de l'APL consiste à solvabiliser les ménages en diminuant leur taux d'effort, cet outil fonctionne clairement.

Les effets des APL sont différents dans le parc social et le parc privé. Dans le parc social, l'APL permet d'inverser la logique qui laisse penser que plus on est pauvre, plus le taux d'effort est élevé. Cette logique s'inverse avec cet outil qui diminue le taux d'effort et met en place de la justice sociale, le taux d'effort des très pauvres étant plus faible que celui de ceux qui sont plus riches qu'eux.

Dans le parc privé, l'APL divise par deux le taux d'effort des 10 % les plus pauvres, mais ne parvient pas à inverser cette logique. Même après versement des APL, les 10 % les plus pauvres ont un taux d'effort supérieur aux 10 % plus riches qu'eux, lui-même supérieur aux 10 % un peu plus riches qu'eux. Le gel ou la désindexation des plafonds et la déconnexion entre l'évolution des loyers et des APL ont cassé cet outil qui ne permet plus d'inverser la logique.

En ce qui concerne l'effet inflationniste très souvent évoqué dans le débat, notamment durant l'été 2017 et la baisse de 5 euros, ce sujet est évoqué depuis plusieurs années. Les articles parus sur ce sujet se sont intéressés à une période d'entrée massive des gens dans les APL. Un grand nombre de personnes ont été solvabilisées. Les aides ont augmenté. L'offre de logement est inélastique. On solvabilise la demande en aidant les étudiants ou les ménages qui reçoivent moins d'aides, ce qui a un effet inflationniste. La littérature est parue sur ce sujet surtout dans les années 1990.

Cela fait longtemps que les APL n'ont pas augmenté massivement et qu'aucune nouvelle population n'y entre. D'une manière générale, la dépense publique est restée autour d'un point de PIB dans les APL. La dépense en logement a fortement augmenté depuis 20 ans alors que la dépense APL a été maintenue à 1 point de PIB, notamment par le gel des loyers de référence. Le loyer moyen a augmenté de 35 % depuis 2000 alors que celui qui sert à calculer l'APL a deux fois moins augmenté. Nous avons massivement désolvabilisé des ménages.

Les loyers ont-ils cessé d'augmenter ? Non. Aucune littérature n'évoque une baisse des loyers en diminuant les APL. Les Britanniques ont tenté de le faire. Ils sont revenus dessus, cette décision entraînant une augmentation très importante de la pauvreté. Nous avons cassé le système des APL. 90 % des locataires du parc privé ont un loyer supérieur au loyer qui sert à calculer leur APL. Pour eux, toute augmentation de loyer se traduit par une augmentation du taux d'effort. Les loyers continuent d'augmenter.

On répond à ceux qui demandent une revalorisation des APL qu'il y a un effet inflationniste. Par ailleurs, toute aide à un effet inflationniste dès lors que vous solvabilisez des personnes qui avant perception de l'aide sociale n'étaient pas solvables. Vous augmentez la demande et créez un effet inflationniste. Un doublement du RSA aurait aussi un tel effet.

Depuis 2012, un décret encadre les loyers. En cours de bail ou lors du renouvellement de la location, vous n'avez pas le droit d'augmenter le loyer comme vous le souhaitez et plus que l'indice de référence des loyers (IRL) sauf cas particuliers. L'IRL a augmenté de 0,2 % de la fin 2019 à la fin de l'année 2020. Une augmentation de l'APL sert directement la solvabilisation des ménages. Un encadrement des loyers en vigueur dans plus de 22 agglomérations depuis presque dix ans protège beaucoup de l'effet inflationniste. Aucune littérature n'affirme que la baisse des APL ne diminue les loyers. Le chef de l'État demandait aux propriétaires de diminuer leur loyer de 5 euros, ce qui est la preuve que ce n'est pas automatique.

Une question a été posée sur l'impact de la baisse des APL de 5 euros sur le taux de pauvreté. Sur les 400 millions d'euros d'économies engendrées par la baisse de 5 euros, la moitié a été portée par les deux premiers déciles ou les 20 % de ménages les plus modestes, qui de fait perçoivent le plus les APL. Pour les 10 % de ménages les plus pauvres, cette baisse a réduit leur niveau de vie de 0,5 %.

Les APL représentent 16,9 milliards d'euros de dépenses publiques. A partir de 2017, des coupes massives ont eu lieu dans le budget des APL, inédites depuis 1984. Durant les années 90, les APL ont crû moins vite que le PIB. Il y a eu une légère remontée du fait de la crise économique de 2008, puis une très forte baisse des APL en points de PIB depuis 2017.

Certains prétendent que les économies budgétaires proviennent principalement de la réduction du loyer de solidarité, sans impact sur les locataires. Les locataires du parc social sont mieux solvabilisés par les APL. La part des aides dans les loyers payés par les locataires du parc social a diminué, ce qui justifie l'argument selon lequel la réforme a principalement concerné la réduction du loyer de solidarité (RLS).

Il n'existe pas d'étude à ma connaissance sur la « contemporanéisation » des ressources. Il est surprenant qu'aucune étude d'impact n'ait eu lieu sur une réforme censée réduire de 10 % le montant versé d'aides personnelles, correspondant aux économies attendues au début. Cette réforme a été retardée à plusieurs reprises. Il aurait fallu préciser les économies ou dépenses supplémentaires générées par ces mesures. Il serait intéressant d'indiquer qui est réellement impacté sachant que cette réforme était censée générer plus d'1 milliard d'euros d'économies.

Enfin, certains se demandent s'il faut intégrer l'APL au revenu universel d'activité. Je n'ai pas de point de vue sur ce sujet.

Il faut préciser si la mesure prise sur les APL est un objectif de lutte contre le non-recours. Si c'est le cas, il faut préciser ce qui est mis en oeuvre pour lutter contre le non recours et si on raisonne à budget constant. L'éradication du non-recours générera un certain nombre de perdants qu'il faut identifier. Où sont-ils ? Ils sont plutôt dans le haut de la distribution des aides sociales et les personnes qui perçoivent l'APL, mais rien n'est certain.

De nombreuses personnes prétendent que l'APL ne fonctionne plus, que le calcul d'aide est quasiment forfaitaire sans tenir compte de la dépense en logement. Ces personnes affirment que l'APL ne sert plus qu'à lutter contre la pauvreté et recommandent de la fusionner avec le revenu universel d'activité ou un revenu de base.

Je n'ai pas d'avis tranché. L'objectif initial des APL est de réduire le taux d'effort et non de lutter contre la pauvreté. Les différences de loyer sont très importantes entre les locataires du parc social et les locataires du parc privé. Il y a des différences de loyer très importantes au niveau territorial, entre Paris, Marseille, Bordeaux et les zones moins denses.

À Paris, des écarts de 30 à 40 % sont à constater entre les personnes présentes dans leur logement depuis plus de dix ans et ceux qui arrivent sur le marché. J'entends la proposition de création d'un forfait logement, puis de création de zones pour tenir compte des disparités. À l'intérieur des territoires, il y a des hétérogénéités très fortes. Il n'y a pas de réponse simple. Les APL sont une aide sociale, et non un minimum social. Par ailleurs, quel rapport entre les APL et l'activité, faudrait-il cesser de verser l'APL aux personnes qui ne cherchent pas véritablement d'emploi ?

Enfin, pour finir par une touche d'optimisme, un petit exercice consiste à calculer le coût de l'éradication de la pauvreté monétaire en France. On regarde le nombre de ménages pauvres et ce qui les sépare du seuil de pauvreté. Le coût serait de 18 milliards d'euros pour éradiquer la pauvreté. C'est évidemment plus complexe. Il faut étudier les effets sur la distribution au-dessus du seuil de pauvreté, mais c'est un nombre intéressant. Chacun jugera ce chiffre comme il le souhaite et se demandera si nous en avons les moyens, mais ce chiffre doit être mis dans le débat pour que nous nous rendions compte de l'effort à produire.

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