Intervention de Christian Decocq

Commission d'enquête Pollution des sols — Réunion du 16 juin 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur la reconversion des friches industrielles en région lilloise en téléconférence

Christian Decocq, ancien rapporteur de la mission « Friches industrielles et pollutions historiques » mise en place par la Métropole européenne de Lille :

Je vais essayer de vous rappeler le contexte local et national dans lequel nous avons été amenés à produire ce rapport. Dix ans plus tard, il permet à votre commission d'observer ses recommandations, de façon à essayer de comprendre leur évolution dans le temps, au niveau local, mais également dans leur dimension nationale.

Ce rapport avait pour support juridique une mission d'évaluation et d'information, demandée par un groupe d'élus de la communauté urbaine n'appartenant pas à la majorité. Il a été accepté par la présidente, qui nous a nommés, Michel Pacaux et moi-même, président et rapporteur.

Nous nous trouvions dans le contexte d'une politique très active connue à l'époque sous le vocable de « ville renouvelée ». Son vice-président en charge de l'habitat, René Vandierendonck, était également maire de Roubaix. Sa politique avait pour objectif de lutter contre l'étalement urbain, de requalifier des territoires entiers de notre métropole, défigurés par les traces du passé, et de réduire la fracture urbaine, pour ne pas dire sociale, de ce territoire métropolitain.

Nous étions soucieux de réussir cette politique et de la garantir, par rapport à un second contexte national. À cette époque, la conscience de la relation entre la santé et l'environnement se consolidait. Cette prise de conscience est récente. Durant des années, ces questions n'ont été abordées que sous l'angle des milieux eux-mêmes et de leur interférence, et non pas de l'impact sur la santé.

En 2004, vous avez sans doute connu l'appel de Paris. Cette réunion, sous l'égide de l'Unesco, établissait de façon très péremptoire et affirmative le lien entre la santé et les conditions de l'environnement. Le professeur Belpomme, président fondateur d'une association qui traitait de ces questions, y prenait part parmi de nombreux scientifiques.

Dans ce double contexte de politique très active au niveau local et de prise de conscience, nous avons travaillé pendant de longs mois, et avons abouti à ce document, le rapport sur les friches. Il comportait 53 recommandations, regroupées en quatre thèmes principaux :

- mieux connaître ce dont nous parlions : les friches, les sols pollués, leur nature ;

- créer de la confiance auprès des habitants : l'objectif de la ville renouvelée est de reconstruire la ville sur elle-même, et donc de faire habiter des individus sur d'anciennes friches ;

- pérenniser cette démarche dans un processus intégré au sein des documents d'urbanisme ;

- réfléchir à des financements possibles.

Ces recommandations et ce rapport ont été approuvés. Ils ont fait l'objet d'une délibération-cadre le 1er juillet 2011.

Aujourd'hui, vous nous demandez à juste titre le bilan de nos travaux. Sur un plan qualitatif, je crois que cette initiative est une réussite. Elle se poursuit d'ailleurs aujourd'hui, sous des formes que j'ignore puisque je n'ai plus aucune fonction depuis 2014. Nous avons assisté à une prise de conscience et à la conduite de réflexions, d'une étude, de recherches. Certes, Mme Lafeuille vous dira que les formations ne sont pas toujours au rendez-vous sur le plan de l'université. Je pense tout de même que c'était un succès.

Sur le plan quantitatif en revanche, bien que nous ayons assisté à des réussites, le constat pourrait être cruel. Sur les 650 hectares de friches parfaitement identifiées, nous n'en comptons aujourd'hui que 17 recyclés. 230 hectares sont en projet, et 400 ne font même pas l'objet d'un projet.

Intellectuellement et juridiquement, la réalité du terrain est tout de même très modeste, nous l'évoquerons sans doute tout à l'heure.

Ce dossier est très complexe à tout point de vue : juridique, intellectuel, politique, mais également financier. Dans un premier temps, nous sommes confrontés à une pollution de stock. Elle est inverse à une pollution de flux. C'est une pollution du passé. Les friches industrielles ne sont pas les seules concernées. Le fonds des cours d'eau l'est également. Toujours est-il que cette pollution est caractérisée par le fait que nous ne puissions plus lui trouver d'acteurs contemporains, d'usagers, de financeurs ou de contributeurs potentiels. Il n'est plus possible de mettre en chaîne tout un système, comme nous l'avions fait à l'origine de la loi sur l'eau en 1964. J'insiste, car à cette époque, un corpus réglementaire, constitué entre autres du code rural, sanctionnait déjà les pollutions. Vous ne pouviez pas polluer de manière innocente. Les condamnations étaient possibles. Les pères fondateurs de cette loi ont ensuite organisé les fondamentaux de la loi de 1964. Ils ont considéré qu'il existait, en plus d'une solidarité physique, une solidarité financière donnant naissance aux agences de bassins, aujourd'hui nommées « agences de l'eau ». Pour une pollution de stock, nous ne pouvons même pas imaginer de mise en perspective ou en cohérence d'un système permettant à la fois de traiter les questions de pollution, de trouver des financements et de rendre les gens solidaires. J'imagine que vous y réfléchirez.

Dans un deuxième temps, les sols sont différents des autres milieux. Le fond ou le bord des rivières ne nous appartiennent pas. L'air n'appartient à personne. Tous ces milieux ayant fait l'objet de grandes lois sont des biens communs. Ce n'est pas le cas des sols. Ces derniers se partagent, mais sont toujours la propriété de quelqu'un, qu'ils soient publics ou privés. En résultent d'énormes difficultés.

Dans un troisième temps, le temps de la réhabilitation est long. Or le temps long est souvent confronté à des changements d'équipe, à la vie démocratique. Par conséquent, il est souvent heurté par des équipes moins dynamiques, des orientations différentes, des financements à trouver... Les aléas de la vie républicaine et démocratique normale peuvent compliquer la situation.

En conclusion, il nous manque une grande loi, un cadre législatif qui permettrait d'organiser ce débat pour essayer de le décomplexifier. Toutes les avancées ne sont pas négligeables. Je pense notamment au tiers demandeur, que j'ai redécouvert, et à l'intervention de René Vandierendonck dans la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur).

Je me souviens d'une audition de Jacques Vernier, à l'époque président de l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). J'en étais sorti très ébranlé. Je connaissais bien cet homme et son parcours. Son ressenti face à cette politique de recyclage des friches, ses incertitudes, sans normes et garanties, m'avait beaucoup préoccupé. J'ai l'impression que nous en sommes toujours à peu près au même stade.

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