Intervention de Christine Lafeuille

Commission d'enquête Pollution des sols — Réunion du 16 juin 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur la reconversion des friches industrielles en région lilloise en téléconférence

Christine Lafeuille, directrice adjointe « Stratégie et opérations foncières » et responsable de l'unité fonctionnelle « Stratégie foncière » de la Métropole européenne de Lille :

Depuis mon arrivée au service de stratégie foncière de la direction du foncier, j'ai découvert que certaines friches s'inséraient dans un marché. D'autres sont dans un milieu intermédiaire. Les dernières sont totalement hors marché. Avec mes collègues, nous avons dressé le profil foncier de la Métropole européenne de Lille en intégrant le foncier des friches, sur lequel nous asseyons nos opérations. Nous essayons d'évaluer la situation à l'échelle de nos 700 kilomètres carrés de territoire. Nous avons réalisé que nous avions un à trois ans de réserves de friches en territoire lillois, trois à sept ans de réserves de friches en territoire intermédiaire et, enfin, sur des zones telles que le territoire roubaisien, une vingtaine d'années de réserves de friches très industrielles et fortement touchées la crise. Le recyclage ne peut donc pas être effectué partout dans la même temporalité.

Ensuite, les documents des années 1990 indiquaient que nous aurions aujourd'hui terminé le recyclage de toutes les friches, pour un budget de 800 millions d'euros. Un début, une fin et une projection des travaux étaient donc établis à partir des éléments de l'époque. Évidemment, la vie économique a évolué. Des crises et changements de comportements ont eu lieu. Toutes ces accélérations des cycles économiques ont généré une obsolescence rapide de l'immobilier. Nous disposons de friches industrielles, mais également d'autres types, telles que les friches de services, ou la relocalisation d'un collège, ou même des friches d'habitats. Nous assistons à une concurrence entre certaines friches très complexes, soumises à des problématiques de pollution, et des friches plus simples à gérer.

Prenons l'exemple du site CPUK de Wattrelos, extrêmement pollué, sur un secteur hors marché. La pollution y était une telle contrainte que le projet ne pouvait consister qu'à gérer cette problématique à l'échelle du site, et à le renaturer pour améliorer le cadre de vie et l'aspect environnemental et sanitaire à proximité. Les typologies de projet ne sont pas les mêmes. Pour cette raison, les financements seront également différents.

J'en arrive à votre question concernant les EPF. Historiquement, ils sont intervenus pour maîtriser les friches lorsque la compétence d'urbanisme a été décentralisée aux collectivités, dans les années 1980. Avant cette époque, nous essayions d'avoir une vision nationale des friches avec le rapport Lacaze. C'est ensuite devenu une affaire de collectivités. Les EPF, et notamment les EPF d'État, sous tutelle de ce dernier mais soumis à une taxe régionale, ont été le bras armé permettant de maîtriser ces fonciers et de traiter ces chancres, et surtout les anciens grands sites industriels. À partir de 2005, nos EPF sont venus au service des politiques publiques de l'établissement : la production d'habitat, le renouvellement urbain ou le travail sur les habitats dégradés par exemple. Nous avons assisté à une certaine diversification lors du dernier plan particulier d'intervention (PPI) sur la métropole, avec un conventionnement fort d'environ 80 sites pour 119 millions d'euros, correspondant à un recyclage important de friches pour lesquelles les typologies de projets étaient identifiées.

Lorsque des dispositifs évoluent et recherchent une solvabilité, plusieurs questions peuvent se poser. La première concerne les friches sans projets. Certaines situations sont assez complexes. En l'absence de marché, nous ne chercherons pas forcément à revendre le site. Nous travaillons davantage sur un traitement et un assainissement du site. Il existe plusieurs moyens pour intervenir. À l'échelle du nombre de sites pouvant être identifiés, ils restent toutefois insuffisants.

De plus, ces interventions passent toujours par l'acquisition du foncier. Le système fonctionne lorsque la puissance publique achète un site à un propriétaire privé pour le remettre en état, et le sortir de sa situation de friche. Dans certains cas, elle a déjà un projet. Dans d'autres, elle compte le remettre sur le marché. Elle peut également souhaiter le conserver dans son patrimoine.

Le profil foncier que nous avons réalisé montre que sur le territoire, 40 % des friches sont en propriété publique. Nous sommes propriétaires de 80 % d'entre elles. C'est tout de même la collectivité qui fait du portage long sur ces sites compliqués.

Dans la répartition des différentes typologies de friches, nous pouvons être amenés à réfléchir sur les différentes missions, et sur celles que la collectivité est prête à prendre en charge. Nous évoquions le secteur privé dans le rapport. Il intervient sur des friches présentes dans le marché, sur lesquelles il pourra développer des opérations, et sur lesquelles son bilan financier sera équilibré. Se pose alors la question des subventions du secteur privé. L'Ademe le fait via le plan de relance, ce qui évite à la collectivité d'acheter les friches, sous réserve que le projet soit encadré et validé par cette dernière. La réflexion portant sur les typologies d'intervention mériterait d'être plus largement étudiée. Toutes les collectivités n'agissent pas de la même manière. Il pourrait être intéressant de dresser une revue de projet à ce stade. Le Grand Lyon, qui est également un acteur important de la requalification des friches, n'utilise pas d'EPF sur son territoire, par exemple.

Le fait que le marché de la dépollution soit assez atone peut s'expliquer par la faiblesse du système réglementaire existant. Nous évoquions précédemment l'OVAM, qui est selon moi un hybride entre l'Ademe et la Dreal. Il applique une réglementation de la région flamande, et met en place tous les outils à cet effet, en contrôlant par exemple les études. Un système s'est mis en place, regroupant des entreprises traitant les sites pollués et des bureaux d'études faisant l'objet d'accréditations, entre autres. En France, ce système n'existe pas. La réhabilitation des friches passe par un projet.

Nous constatons que les travaux se mettent en place lorsque nous avons l'autorisation de construire. Les techniques privilégiées sont bien souvent les plus rapides, répondant à la temporalité du projet. Les techniques plus longues seront plutôt mises en place par le secteur public. Celui-ci n'a pas toujours les moyens financiers d'entreprendre des actions de dépollution en temps voulu. La phytoremédiation peut être couplée à des projets de recherche. Ce type d'action est mis en oeuvre par endroit sur la métropole, mais reste expérimental.

Il serait compliqué de répliquer le modèle de l'OVAM en France. Cette structure est chargée de l'application d'un dispositif réglementaire. Notre méthodologie nationale des sites et sols pollués est réalisée par voie de circulaires. Elle n'est pas réglementaire. À titre d'anecdote, nous avons assisté à la situation d'un porteur de projet dont le bureau d'études belge appliquait la méthodologie belge. Nous n'avons pas pu l'en empêcher. L'investisseur a accepté la mise en place d'une tierce expertise montrant que si l'étude avait été réalisée selon la méthodologie française, nous serions arrivés au même résultat. Cet exemple démontre tout de même un certain manque de robustesse. Dans certaines situations, le maire doit prendre des arrêtés. Souvent, ils portent sur des interdictions, telles que celle de cultiver un potager ou de puiser l'eau.

Enfin, je me suis intéressée l'année dernière au dispositif tiers demandeur. Il me semble que nous n'avions pas, à l'époque, de projet concerné. Je peux me tromper. Nous pouvons peut-être l'expliquer par la forte intervention de la collectivité sur les secteurs en friche, via l'EPF. Je crois aussi que ceux qui mettent ce dispositif en oeuvre ont eu à constituer des équipes juridiques. Il avait en tout cas pour objectif d'éviter d'en arriver à une étape de friche.

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