Intervention de Jean-Baptiste Carpentier

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 3 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Jean-Baptiste Carpentier directeur du service traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins et yves ulmann directeur adjoint

Jean-Baptiste Carpentier, directeur du service Traitement de l'information et action contre les circuits financiers clandestins :

Pour la TVA, les mécanismes étaient plutôt plus simples, mais j'y reviendrai si vous le souhaitez.

La troisième étape du blanchiment est celle de l'intégration dans l'économie : elle consiste, pour le blanchisseur, à réaliser des investissements, par exemple l'achat d'une villa sur la Côte d'Azur pour couler ses vieux jours ; l'argent est « lavé », d'apparence propre, car il reste toujours sale en fait.

En ce qui concerne la montée en charge du service et son lien éventuel avec une explosion du phénomène, il est toujours très difficile de vouloir chiffrer le blanchiment. J'ai eu l'occasion de le dire devant la Cour des comptes, et je l'assume tout à fait, TRACFIN ne dispose pas des moyens permettant de procéder à une telle évaluation. Des chiffres sont évoqués par un certain nombre de revues, je ne suis pas capable de les confirmer ni de les invalider. On peut me dire que le blanchiment représente 5 % de l'économie mondiale, 3 % ou 1 %, je n'ai pas les moyens de me prononcer et ce chiffrage suppose un travail extrêmement difficile.

En effet, pour chiffrer le blanchiment, il faut chiffrer la délinquance : je n'ai pas besoin de vous expliquer qu'il s'agit d'un sujet de polémiques. De surcroît, il faudrait pouvoir chiffrer une délinquance particulière, la délinquance à production financière : il peut s'agir du produit de braquages, mais aussi d'abus de biens sociaux ou de fraude fiscale. Il est donc extraordinairement difficile d'appréhender cette délinquance, car elle est souvent occulte. Dernière difficulté, qui n'est pas la moindre, il s'agit non seulement de chiffrer la délinquance française, mais aussi la délinquance internationale dont les fonds sont blanchis en France : nous sommes parfaitement incapables de nous prononcer sur ce point.

Je sais en revanche que le travail mené par les différentes équipes de l'administration et par le service que j'ai le plaisir de diriger depuis trois ans a conduit à sensibiliser davantage les différentes professions assujetties. Cette sensibilisation se traduit par une amélioration des procédures, notamment au sein du secteur bancaire : rien n'est parfait, mais un certain nombre de pratiques, courantes il y dix ans ou quinze ans, ne le sont plus ou sont devenues très difficiles à mettre en oeuvre.

Nous travaillons quotidiennement, avec Yves Ulmann, à la sensibilisation de l'ensemble des autres professions : nous rencontrons parfois des difficultés, notamment avec les avocats, qui sont censés être assujettis au dispositif. Avec d'autres professionnels plus récemment assujettis, il est également plus ou moins facile de faire admettre la finalité de notre action, mais je crois que l'augmentation du nombre des déclarations résulte autant de ce travail de sensibilisation et d'acceptation par les professionnels d'un dispositif assez nouveau et contre-intuitif pour eux que d'une réelle explosion du phénomène de blanchiment. Telle est du moins mon analyse.

Dans un article que j'ai signé à titre personnel dans le dernier Rapport moral sur l'argent dans le monde, j'ai eu l'occasion d'expliquer pourquoi je ne pense pas que la France soit une place forte du blanchiment mondial, ce qui ne signifie pas que nous soyons totalement à l'abri. En effet, notre pays est riche, il produit donc de la délinquance ; il est accueillant et constitue donc une cible tentante pour ceux qui veulent couler leurs vieux jours en dépensant leur argent, fût-il mal acquis. Néanmoins, je ne pense pas que la France soit, à ce jour, le pays le plus accueillant pour les blanchisseurs, mais « au royaume des aveugles, les borgnes sont rois » !

Le phénomène de blanchiment est-il en croissance ? Je l'ignore, mais je sais que toute délinquance qui produit un flux financier produit du blanchiment, sauf cas exceptionnel : tant que l'on n'aura pas totalement éradiqué la délinquance en France, et je ne pense pas ce soit demain la veille, le blanchiment existera.

En matière de fraude fiscale, j'ai omis de vous dire lors de mon exposé liminaire que les personnes assujetties au dispositif doivent établir une déclaration de soupçon. Néanmoins, les différentes professions déclarantes ont appelé l'attention de l'administration, lors de la mise en place du dispositif, sur le fait qu'un banquier, un expert-comptable ou un notaire n'avaient souvent pas la possibilité de juger si une somme provenait ou non de la fraude fiscale et qu'il ne fallait pas leur assigner une mission impossible, sinon ils risquaient, dans le doute, de faire des déclarations de soupçon systématiques, au risque d'engorger notre service.

Je ne me prononcerai pas sur ces arguments, mais la loi a prévu qu'un décret fixerait un certain nombre de critères objectifs permettant d'établir un soupçon de fraude fiscale. Le décret du 16 juillet 2009 fixe seize critères, comme la sous-évaluation ou la surévaluation d'un bien, qui permettent aux professionnels d'étayer leurs déclarations.

De vous à moi, ce décret n'a fait qu'objectiver ce qui constitue un soupçon en général. En effet, l'une des principales difficultés que nous rencontrons en matière de blanchiment tient au fait que, si l'on demande à la personne qui vient déposer une somme importante en liquide de déclarer l'origine de ces fonds, elle ne va pas nécessairement dévoiler leur origine délictuelle, mais tenter de donner une explication crédible. Elle ne va pas afficher que l'argent provient de la corruption ou du trafic de drogue ! Le fait qu'un ou plusieurs des critères déterminés par le décret de 2009 soient satisfaits est donc censé créer un doute dans l'esprit du professionnel. Depuis la parution de ce décret, nous constatons une augmentation très sensible du nombre de déclarations de soupçon qui envisagent une hypothèse de fraude fiscale : celles-ci ont représenté plus de 10 % des déclarations de soupçon reçues en 2011. Cette information est à prendre avec précaution, car beaucoup de déclarants se refusent à qualifier l'infraction sous-jacente.

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