Intervention de Philippe Bock

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 3 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe Bock co-secrétaire général du syndicat solidaires douanes

Philippe Bock, co-secrétaire général du syndicat Solidaires douanes :

300 000 euros.

Même s'il est difficile d'établir une catégorisation des montants qui circulent, on pourrait dire que quand la somme se limite à quelques centaines de milliers d'euros, le trafic des stupéfiants est envisageable. Quand la somme représente deux ou trois millions d'euros, elle provient, non pas nécessairement du trafic des stupéfiants, mais peut-être plus vraisemblablement de la fraude fiscale. Pourtant, le texte qui s'applique est exactement le même.

Il est donc parfois difficile d'accepter que nos possibilités de saisie soient limitées à l'égard de sommes ayant totalement échappé à un impôt, français ou étranger.

Pourtant, bien que le douanier soit souvent considéré comme nécessairement intraitable, je ne prône pas la saisie systématique à 100 %. En revanche, disposer d'une gamme de sanctions plus large que celle qui existe aujourd'hui me paraît hautement souhaitable. Actuellement, ce n'est pas le cas. Il y a quelque temps, nous disposions pourtant d'un tel outil. Vous connaissez peut-être le système de transaction douanière, où la personne signe un quasi-contrat : ce système a l'avantage de décharger la justice. J'ai vu une personne transiger pour blanchiment avec une pénalité si élevée qu'elle représentait 500 ans de remboursement à sa charge. Le magistrat avait tout simplement appliqué le code des douanes : « Monsieur, puisque l'argent provient de la déforestation de l'Afrique, je prononce une amende de 100 %. » Cela ne paraît pas franchement disproportionné ! Je ne pense pas non plus que cela pose de problème quant au respect des droits de l'homme.

J'ai vu que M. Jean-Baptiste Carpentier, Directeur du Service traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), avait été entendu juste avant moi. Je ne vais critiquer le dispositif qu'il dirige car il pourrait croire que je lui en veux ! Il a dû vous parler du nombre croissant de déclarations qu'il reçoit et du nombre de signalements qu'il transmet, notamment, à mon administration, en augmentation lui aussi. Je suis assez d'accord avec lui : c'est un phénomène révélateur ! Il faut pousser la logique jusqu'au bout, sans pour autant tomber dans le cynisme. Le nombre de signalements est certes à considérer. Mais que s'est-il passé après leur transmission ? A quoi ont abouti les administrations et la justice ? Sur ce point, il y aurait beaucoup de choses à dire.

Je ne pense pas que le moral des services qui s'occupent de délinquance financière, qu'il s'agisse des douanes, de l'intérieur ou des services de la DGFiP, soit flamboyant ces temps-ci ! Et c'est vrai depuis quelques années.

Ce qui me fait peur, c'est qu'on se retrouve quasiment avec des structures « alibi ». Le terme est un peu méchant, j'en conviens. Nous disposons d'un système présentable, qui peut contenter le Groupe d'action financière internationale, le GAFI, mais le résultat de son action concrète, au regard de l'intérêt de sa mission, est assez douteux.

On le constate fréquemment, les banques ou les opérateurs financiers, sur lesquels il faut être strict, ont surtout peur d'une chose : la publicité ou la complicité. Ils vont donc dénoncer des personnes à TRACFIN, tout en se hâtant de fermer leur compte et de leur dire d'aller voir ailleurs. En la matière, règne donc, sinon une certaine hypocrisie, du moins quelque chose qui s'en approche.

La structure judiciaire fiscale qui a été créée est composée d'une petite équipe. M. Jean-Baptiste Carpentier, lorsqu'il occupait d'autres fonctions, m'avait dit que cette structure ne pourrait pas mettre tout le monde en garde à vue pour des motifs fiscaux. Je n'ai d'ailleurs pas de désaccord de fond sur ce point. En effet, les administrations doivent, à mon sens, rester dans leur rôle, en fonction des moyens dont elles disposent. En outre, leurs résultats sont loin d'être négligeables, et il faudrait les amplifier.

Je viens de me livrer à l'exercice le plus facile de mon intervention : exposer et critiquer : il est plus difficile de dégager des pistes d'amélioration.

Il faut, à mon sens, développer l'obligation déclarative et dépasser le stade de la simple déclaration des espèces ou quasi-espèces d'un montant égal ou supérieur 10 000 euros. Plutôt que d'imposer un carcan contraignant pour le service, qui aboutit parfois à des situations extrêmes, telles que celle que j'ai dépeinte tout à l'heure, je pense que disposer d'un éventail de sanctions, assez large pour tenir compte de la bonne foi - ou de la mauvaise ! -, est assez intéressant. Fixer une amende de 100 % des sommes concernées ne me paraît pas non plus outrancier.

En termes douaniers, il faut également en revenir à un délit plein, et non plus à un délit de « seconde zone ». Par exemple, un de nos pouvoirs spécifiques, prévu par le code des douanes, la visite domiciliaire - qui est l'équivalent d'une perquisition - existe en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ou de fraudes commerciale et fiscale. En revanche, nous ne disposons pas de ce pouvoir en matière de fraude financière ! On pourrait peut-être revenir sur cette différence de traitement.

Enfin, sans vouloir ouvrir un grand débat, bien que ce soit peut-être le moment, l'inversion de la charge de la preuve me semble souhaitable. Nous parlons d'argent illicite, non fiscalisé, qui représente, pour moi, le vol de la collectivité : ce n'est pas anodin. Il faudrait peut-être mener une réflexion, ouvrir un débat, sur ce point. Des pays aussi restrictifs et « communisants » que... le Canada et les Etats-Unis sont quasiment sur cette ligne, me semble-t-il. Ils commencent par saisir à 100 % en cas d'absence de justificatif : un passeur de fonds me l'a confirmé. Il m'a aussi confié que, si auparavant nous faisions peur, il craignait dorénavant beaucoup plus les Américains : il faut dire que leur méthode est extrêmement intrusive. Malgré tout, sur ce terrain, la donne a changé.

Pour conclure, je dirai que, alors que, comme je le disais en préambule, les enjeux se sont accrus, et à plus d'un titre, nos moyens, eux, aussi bien humains que juridiques, n'ont pas suivi le même chemin.

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