Intervention de Philippe Bock

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 3 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe Bock co-secrétaire général du syndicat solidaires douanes

Philippe Bock, co-secrétaire général du syndicat Solidaires douanes :

Je suis également très préoccupé par le sujet des ports francs. Les ports francs, suisses notamment, ont suscité beaucoup d'interrogations en ce qui concerne les objets d'art. Je vais tenter de ne pas trop noircir le tableau ! Les galeries d'art parisiennes voulaient parfois se livrer à des opérations discrètes, et les ports francs - puisque chaque ville, ou peu s'en faut, en est dotée - leur servaient de réceptacle, Genève en premier.

Tout n'est pas forcément sulfureux dans le port franc. Il a aussi une vocation logistique, ou de discrétion des affaires. Mais il revêt aussi des aspects fiscalement discutables. On peut saluer une initiative de nos amis helvétiques : des textes tendant à exclure les objets archéologiques des ports francs ont été pris. La situation s'est donc améliorée. On trouvera sûrement encore quelques belles toiles de maitre dans les ports francs suisses, sur lesquelles la France ou d'autres pays européens pourraient vouloir se pencher, mais les choses ont changé.

Comme vous l'avez signalé, monsieur le rapporteur, un déplacement du monde des affaires, des objets d'art et de la finance vers l'Orient et le Pacifique peut être discerné. Singapour ou Dubaï, par exemple, sont en train de prendre le relais. Nous pouvons désormais faire aux ports francs émergents, qui évoluent très vite, le reproche que nous faisions aux autorités suisses. Il faut en outre compter avec un élément matériel : ces ports francs émergents sont géographiquement encore plus éloignés de nous et les modalités d'intervention et de coopération y sont ardues. Elles existent, mais nous allons buter sur de sérieux obstacles, et l'histoire, à mon avis, va se répéter. Mais cela apparaîtra avec plus d'évidence dans quelques années.

Selon moi, la clémence vis-à-vis de certains « opérateurs » existe bel et bien. Quand des investisseurs sont interceptés avec des objets ou de l'argent, la situation est parfois très délicate. Je vais vous livrer un souvenir, en préservant, conformément à la règle du secret, l'identité des personnes. Le contrôle d'un voyageur empruntant les passages privatifs à l'aéroport de Roissy avait permis de découvrir que ce dernier transportait des objets d'art et de l'argent : une vraie caverne d'Ali Baba ! L'affaire a tout de suite pris un tournant diplomatique et s'est terminée par une transaction, dont je n'ai pas su grand-chose. Nous étions clairement « comme sur des oeufs ». C'est arrivé, cela arrive, et cela arrivera demain.

En ce qui concerne la répartition des compétences en matière de transaction, je pourrai vous fournir les modalités précises. Le seuil de transaction local est assez bas, et les dossiers montent très rapidement à la direction générale. Au-delà d'un certain montant c'est le ministre qui est compétent.

J'en viens à votre question relative à l'absence de mention des cas de fraude financière dans le bilan d'activité de l'administration des douanes. Je vous ai rappelé que la douane s'était convertie aux critères de performance. Les priorités mises en place sont tout à fait admissibles. L'accent mis sur la lutte contre les stupéfiants, et en particulier sur les drogues « dures », me semble tout à fait normal. Cela dit, ce faisant, on « gomme » les autres missions.

La douane a une caractéristique, qui contribue à l'intérêt du travail de ses agents et au sentiment d'attachement qu'ils éprouvent à l'égard de leur administration : ses missions sont extrêmement variées. Nous avons parlé tout à l'heure des biens culturels, domaine qui m'est cher. Mais l'action visant à faire respecter la convention de Washington sur les espèces protégées a subi, elle aussi, un grand coup de gomme ! On arrivera toujours à montrer une saisie douanière à la télévision, à trouver un spécialiste pour en discuter, à passer de belles images, mais la réalité, derrière l'écran, est nettement moins joyeuse. Il y a quelque temps, il a été demandé au douanier de Roissy spécialisé en matière de convention de Washington de changer de fonction. Ce petit exemple vaut ce qu'il vaut, mais il est assez révélateur. On demande à l'administration de concentrer ses forces, qui, parfois, se réduisent : elle s'exécute ; elle est même trop « bon soldat ».

Le problème est posé en termes de détermination des missions prioritaires. Personnellement, je ne suis pas favorable à une telle approche. En effet, je dois, en tant que fonctionnaire, appliquer le code des douanes. Le législateur m'envoie remplir une mission, et il me faut la remplir dans sa totalité. Le tri des missions - je reprends là ma casquette syndicale, même si l'agent n'est pas très loin - m'est insupportable. Ce n'est pas pour cela que j'ai choisi ce métier !

En outre, quand un danger apparaît sur un terrain qu'elle avait abandonné et qu'il faut réinvestir, l'administration doit se réarmer. Or le temps à consacrer pour qu'elle le maîtrise à nouveau est assez long. À force d'abandonner des domaines d'action, qui sont en évolution constante et rapide, l'administration complique sa tâche.

Je voudrais dire un mot sur le système déclaratif douanier. À mon entrée dans les cadres, des factures et de nombreux autres documents étaient présentés au douanier. Le « flair » du douanier n'est pas un vain mot : il existe, je l'ai rencontré ! Or, aujourd'hui, il est presque au musée ! Désormais, on fonctionne avec des écrans, des dédouanements en un clic, des systèmes de feux rouge, vert ou orange. La tâche est beaucoup plus dématérialisée et difficile. Nous parlons tout de même de fraude financière, de trafic de stupéfiants ou d'autres phénomènes en marge de la légalité ! C'est presque un appel au secours que je lance et mon directeur général pourrait d'ailleurs sans doute le cosigner. Au cours d'une discussion un peu libre, le 1er janvier, il m'a confié être étonné de la conversion de sa propre administration et de l'oubli de certains terrains. Il avait l'air de le regretter aussi. Avis partagé pour identité de motifs, dirions-nous dans l'administration.

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