Intervention de Philippe Bock

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 3 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe Bock co-secrétaire général du syndicat solidaires douanes

Philippe Bock, co-secrétaire général du syndicat Solidaires douanes :

S'agissant de la question des ports francs suisses, je n'ai pas connaissance d'instruction donnée aux services français. J'en donne acte à mon administration : aucune instruction en ce sens n'a été donnée. Il s'agit en tout cas d'une question extrêmement complexe. Des oeuvres continuent de circuler et la situation juridique devient parfois, au fil du temps, inextricable. Elle peut aussi aboutir à la découverte d'un possesseur de bonne foi, ce qui rend l'affaire encore plus complexe.

Tout le monde est embêté mais, de façon hypocrite - j'emploie beaucoup ce mot ! -, craint la mauvaise publicité. Une galerie et a fortiori un musée ne veulent pas être pris dans une telle affaire. Tout le monde regarde cela d'un oeil de plus en plus distant. Certains objets sont encore laissés en déshérence, dans un contexte lourd de charge émotive et historique.

D'autres trafics prennent actuellement le relais. Je veux parler des pillages : c'est un sujet sur lequel on peut se poser beaucoup de questions. De plus en plus d'Etats pillés nous appellent au secours et nous demandent de faire quelque chose. Là encore, je suis tenté d'utiliser le mot « hypocrisie ». On brandit la convention UNESCO de 1970 et les engagements qui y figurent. Mais la mise en place d'outils opérationnels de droit positif est beaucoup plus délicate. Une personne pourrait entrer dans un pays avec un objet pillé dans un autre Etat, passer devant un poste communautaire ou français en indiquant d'où provient l'objet, mais le douanier serait désarmé. Même si une action est théoriquement possible en droit commun, elle est, en pratique, compliquée. Le douanier a besoin d'une infraction, d'une entrée en contrebande ou d'une fausse déclaration comme fondement pour agir. La gamme d'outils à sa disposition n'est parfois pas satisfaisante. La question du bien culturel se situe ainsi en arrière-plan de ce contexte général.

Sur ce point, heureusement, le code des douanes existe ! Certains trouvent l'outil un peu vieillot, mais - je vais me livrer à un plaidoyer pro domo ! - il ne faut surtout pas s'en défaire. C'est le dernier rempart de notre action : s'il saute, c'est fini ! Et je sais que certains nourrissent, à son égard, des tentations assez mortifères

J'en viens à votre question sur la déclaration, monsieur le rapporteur. En effet, si la somme est déclarée, l'argent est totalement « clean ». La déclaration fait l'objet d'une saisie dans une banque de données. L'administration peut éventuellement se pencher dessus par la suite, mais ce n'est pas une obligation. Le montant peut être énorme : il n'y a pas de plafond. Nous ne sommes pas censés nous poser systématiquement des questions. Nous le faisons parce que nous avons cette « fibre » professionnelle, mais les fondements du système ne sont pas pensés pour cela.

Il faut surtout rappeler que la déclaration de capitaux et l'information fiscale sont des sujets très sensibles. Sans vouloir refaire l'histoire, il m'a toujours paru assez ahurissant que l'on attende 2009 pour créer des passerelles entre les services fiscaux et TRACFIN, service administratif, puis centrale de renseignement. Le lien n'est pas très ancien et cela me laisse un arrière-goût désagréable.

Si la douane intercepte un « client » détenant des contrefaçons, elle peut lui infliger des sanctions sévères. Si on attrape une personne avec de l'argent, cela va être beaucoup plus compliqué, même si l'affaire montre que l'origine des fonds fait peu de doutes. Lorsqu'on les interroge, certaines personnes finissent par nous dire que ce qu'elles ont fait n'est pas bien grave, qu'elles ont gagné leur argent par le travail. Du travail, oui, sans doute, mais est-il déclaré et fiscalisé ? C'est la faiblesse de leur raisonnement.

Il y a un artisanat, pour ne pas dire une « épicerie », de la fraude, qui peut aller jusqu'à un degré de raffinement assez élevé. J'ai vu des systèmes bien construits d'évasion de produits d'assurance vie, qui s'appuyaient sur des réseaux d'officines et d'inspecteurs régionaux. C'est effarant ! Lors des auditions conclusives, les personnes responsables avaient bien conscience de ne pas être tout à fait dans les clous, mais n'y voyaient pas grand mal ! C'est assez révélateur, non pas d'une mentalité à la française - ce serait réducteur de l'affirmer- mais de la perception que l'on a de ce secteur, qui me fait penser que le travail de votre commission tombe plus qu'à propos.

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