Intervention de Gilles-Pierre Lévy

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 20 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Gilles-Pierre Lévy président de la deuxième chambre de la cour des comptes et de Mme Michèle Pappalardo conseillère-maître à la cour des comptes

Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous présenter brièvement le rapport public thématique de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, en m'appuyant sur la projection de documents Powerpoint. Mme Michèle Pappalardo et moi-même répondrons avec plaisir aux questions que vous nous poserez ; si nous ne sommes pas en mesure de le faire sur-le-champ, nous nous efforcerons de vous fournir les réponses ultérieurement.

Après avoir dressé un panorama global des dépenses prises en compte, j'évoquerai les incertitudes pesant sur les charges futures, les méthodes d'évaluation des coûts complets de production, la question stratégique de la durée de fonctionnement des centrales, les actifs dédiés et les perspectives de coût à court et à moyen terme. Je conclurai sur quelques éléments difficilement chiffrables.

L'élaboration du rapport de la Cour des comptes répond à une demande du Premier ministre en date du 17 mai 2011, faisant suite à un entretien entre le Président de la République et un groupe de représentants d'organisations non gouvernementales. Il s'agissait en particulier de déterminer si la production d'électricité nucléaire comportait des coûts cachés.

Le rapport a donc pour objet d'analyser les éléments constitutifs du coût de production - et non du prix - de l'électricité nucléaire en France. Le coût que nous avons étudié représente environ 40 % du prix, le reste étant constitué des coûts de distribution, à hauteur de 33 %, et des impôts et taxes, dont la contribution au service public de l'électricité, la CSPE.

Nous avons essayé de ramener tous les paramètres à l'année 2010, dernier exercice pour lequel nous disposons d'éléments factuels. La vocation de la Cour des comptes est d'abord d'essayer de cerner au maximum ce qui est, avant de s'interroger sur ce qui pourrait être. Nous avons ainsi étudié le parc actuel - et non le parc de réacteurs EPR, à supposer qu'il voie le jour -, composé de réacteurs PWR.

Il nous était par ailleurs demandé d'examiner la prise en compte des charges futures, les dépenses assumées par d'autres acteurs que les opérateurs - existe-t-il des dépenses qui ne sont pas intégrées dans les coûts ? -, ainsi que la question des assurances - quelle est la réalité de l'assurance implicite apportée par l'État en cas de catastrophe ? - et celle des actifs dédiés - tels qu'ils sont constitués, répondent-ils aux exigences des textes législatifs qui les définissent ?

Le délai qui nous était imparti était anormalement bref pour un travail aussi lourd. Nous avons constitué une formation réunissant des représentants des principales chambres de la Cour des comptes concernées, spécialistes de l'énergie, de l'environnement, de la recherche, du calcul économique, etc. Nous nous sommes fait assister par un groupe d'experts, en ayant soin de recruter des personnalités indépendantes. Cela s'est révélé très difficile, dans la mesure où, en pratique, la plupart des experts travaillent pour les acteurs du nucléaire ou sont fondamentalement hostiles à celui-ci. Nous sommes néanmoins parvenus à constituer ce groupe, qui nous a beaucoup apporté. Je précise que ces experts étaient de différentes sensibilités et de profils variés : pro- et anti-nucléaires, Français et étrangers - deux Belges et un Américain, ce dernier nous ayant malheureusement quittés à mi-parcours -, spécialistes de diverses disciplines, y compris du calcul économique, dans la mesure où nous cherchions notamment à apprécier des décisions de dépenses à très long terme : je pense en particulier à M. Grollier, directeur de recherche à l'Institut d'économie industrielle de Toulouse et éminent spécialiste de l'actualisation.

Les membres de ce comité nous ont aidés à « caler » le questionnement puis nous ont donné leur avis sur chaque partie du rapport avant sa présentation devant la formation concernée.

Nous avons par ailleurs demandé à une quinzaine de rapporteurs de travailler sur ces sujets dans le cadre de cinq sous-rapports. Bien entendu, nous avons appliqué les règles de contradiction inhérentes à la Cour des comptes : une première contradiction sur les sous-rapports, puis une contradiction finale.

Enfin, nous avons effectué de vingt-cinq à trente auditions et visites de sites, en nous efforçant d'entendre les principaux représentants du métier et des diverses sensibilités, c'est-à-dire les responsables des grands organismes travaillant dans le domaine de l'électricité nucléaire tels que EDF, AREVA, le CEA, etc., d'organisations non gouvernementales, pour la plupart hostiles ou réservées à l'égard de l'industrie nucléaire, des syndicats, de la Commission de régulation de l'énergie, de l'Autorité de sûreté nucléaire, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, de la direction générale de l'énergie et du climat.

Nous avons pris en compte trois catégories de dépenses : les dépenses passées, les coûts intégrés dans les comptes des exploitants ou les coûts de fonctionnement, les coûts supportés par les crédits publics.

En ce qui concerne tout d'abord les dépenses passées, la construction du parc électronucléaire a coûté au total - ce montant a été ramené à sa valeur en euros de 2010 - 188 milliards d'euros : 6 milliards d'euros pour le parc de première génération, qui n'est plus en fonction, 96 milliards d'euros pour les cinquante-huit réacteurs en activité, 19 milliards d'euros pour le cycle du combustible, 55 milliards d'euros pour la recherche. Il est étonnant de constater que la recherche coûte environ 1 milliard d'euros par an depuis cinquante ans, de manière constante. On peut en déduire que c'est plutôt la taille des équipes qui commande l'effort de recherche que le budget qui commande la taille des équipes. Enfin, il convient d'ajouter une dépense de 12 milliards d'euros pour Superphénix, située à mi-chemin entre recherche et industrie, même si elle est théoriquement industrielle. Réalisé par EDF, Superphénix n'a en pratique guère fonctionné - huit mois, si mes souvenirs sont bons - et a joué autant un rôle d'instrument de recherche que d'instrument de production - il consommait d'ailleurs autant, sinon plus, que ce qu'il produisait.

Cette dépense de 188 milliards d'euros permet d'assurer 70 % de l'approvisionnement en électricité d'un pays de 65 millions d'habitants. Ce montant n'est pas totalement disproportionné si on le compare au coût d'un réseau d'autoroutes ou de TGV, mais il reste considérable : le nucléaire est d'abord une industrie d'investissements.

En ce qui concerne ensuite les coûts d'exploitation d'EDF, ils s'élèvent à 8,95 milliards d'euros en « valeur 2010 », dont 2,68 milliards d'euros de dépenses de personnel, 2,13 milliards d'euros de combustible, 2,01 milliards d'euros de consommations externes. Nous avons expertisé ces coûts, qui ont été validés par les commissaires aux comptes. Globalement, en dépit de quelques retraitements, nous confirmons le chiffre annoncé par EDF, à savoir 9 milliards d'euros.

En ce qui concerne enfin les charges et provisions futures, ces deux catégories sont séparées par l'actualisation.

Les charges brutes, c'est-à-dire les dépenses totales, s'étalent sur des durées très longues, dépassant parfois le siècle pour la gestion des déchets ultimes. Elles doivent donc être actualisées. Nous avons constaté que les taux d'actualisation employés en France étaient dans la moyenne des autres pays, à savoir 5 %, inflation comprise.

Le démantèlement coûte 31,9 milliards d'euros en charges brutes et 17,3 milliards d'euros en charges actualisées. La gestion du combustible usé coûte 14,8 milliards d'euros et le dernier coeur 3,8 milliards d'euros bruts, soit respectivement 9,1 milliards d'euros et 1,9 milliard d'euros actualisés. Enfin, la gestion des déchets ultimes coûte 28,4 milliards d'euros bruts, soit 9,8 milliards d'euros actualisés. L'écart est d'autant plus grand que les dépenses s'étalent sur une longue période.

Au total, les charges brutes s'élèvent à 79,4 milliards d'euros et les provisions à 38,4 milliards d'euros.

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