Intervention de Gilles-Pierre Lévy

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 20 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Gilles-Pierre Lévy président de la deuxième chambre de la cour des comptes et de Mme Michèle Pappalardo conseillère-maître à la cour des comptes

Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes :

C'est l'une des vraies questions qui se posent. Dans la mesure où nous ne disposons pas de méthode absolue, nous avons beaucoup observé ce qui se pratiquait dans les sept principaux pays nucléaires autres que la France. Globalement, le taux retenu est dans la moyenne des taux employés par ces pays, à savoir 5 %, dont 2 % d'inflation.

Les dépenses telles qu'elles sont constatées sont d'abord celles qui sont prises en charge par les exploitants. Il convient à cet égard d'éviter les doubles comptes. En particulier, comment faut-il compter les dépenses prises en charge par EDF lorsqu'il s'agit d'achats de combustible ou de retraitement de combustible à AREVA ? Nous avons vérifié, en sachant que le marché n'est pas pur et parfait dans ce domaine, qu'il n'y avait pas d'anomalie. Nous sommes arrivés à la conclusion que, globalement, les prix appliqués étaient conformes à ce qui se pouvait se pratiquer sur un marché normal, et qu'il ne fallait pas les compter deux fois. Nous avons estimé, après avoir vérifié l'absence de subventions déguisées, que ces dépenses étaient bien prises en compte dans les comptes d'EDF.

J'en viens aux coûts supportés par les crédits publics.

Il existe deux types principaux de dépenses financées sur crédits publics : les dépenses de recherche et celles qui ont trait à la sécurité, à la sûreté et à la transparence.

Les dépenses de recherche, précédemment évoquées, s'élèvent à un peu plus de 1 milliard d'euros par an. Aujourd'hui, la majeure partie de ces dépenses est financée par les exploitants eux-mêmes ; nous ne devons pas les compter deux fois. Restent financés sur crédits publics 414 millions d'euros par an en 2010. À l'inverse, voilà dix ou quinze ans, la majorité des dépenses de recherche était financée sur crédits publics.

En ce qui concerne les dépenses relatives à la sécurité, à la sûreté et à la transparence, les principaux postes sont l'ASN et l'IRSN, pour la part de leurs activités concernant la production d'électricité nucléaire. Elles comprennent également les dépenses de gendarmerie, de transports, les subventions aux commissions de suivi de la transparence. Au total, 230 millions d'euros sont financés sur crédits publics dans ce cadre.

Par conséquent, s'ajoutent aux dépenses d'exploitation d'EDF et à l'ensemble des dépenses prises en compte par les exploitants 414 millions d'euros au titre de la recherche et 230 millions d'euros au titre des dépenses de sécurité, de sûreté et de transparence, soit au total, en 2010, 644 millions d'euros. Je ferai observer que ce montant est à peu près du même ordre de grandeur que le produit de la taxe sur les installations nucléaires de base pour 2010, à savoir 580 millions d'euros. L'écart était beaucoup plus marqué voilà dix ou vingt ans.

En résumé, les dépenses de fonctionnement à la charge de l'exploitant s'élèvent à quelque 9 milliards d'euros en supprimant les doubles comptes ; il convient d'y ajouter 644 millions d'euros de dépenses financées par la puissance publique.

S'agissant d'une activité fortement consommatrice de capital, il convient ensuite de s'interroger sur la prise en compte des coûts du capital. Les méthodes employées font l'objet d'intenses débats parmi les experts ; j'en citerai cinq.

La première consiste à prendre en compte l'annuité d'amortissement telle qu'elle est constatée. La deuxième considère l'amortissement linéaire sur quarante ans. Trois autres méthodes appliquent un loyer à un capital : l'approche selon le coût comptable complet de production, dite C3P, où l'on réévalue le capital en fonction de l'inflation ; celle de la commission Champsaur, qui applique un loyer au capital réévalué, en cherchant à amortir le capital restant dû pour la période 2011-2025 ; enfin, la méthode du coût courant économique, qui repose sur le calcul d'un loyer par application d'un taux constant équivalant au coût moyen pondéré du capital - les capitaux d'emprunt et les capitaux propres utilisés pour financer les opérateurs - sur une base d'investissement réévaluée de l'inflation.

L'application des trois principales méthodes pour le calcul du coût total donne les résultats suivants, sensiblement différents : 1,8 milliard d'euros pour la C3P; 2,4 milliards d'euros pour la méthode Champsaur, 8,3 milliards d'euros pour celle du coût courant économique. Il faut ajouter à ces chiffres, en 2010, des investissements de maintenance de 1,7 milliard d'euros et des dépenses d'exploitation de l'ordre de 10 milliards d'euros selon la méthode employée.

Au total, quand on rapporte ces montants aux 407 térawattheures produits en 2010, on obtient un coût de 33,4 euros ou de 33,1 euros par mégawattheure selon les deux premières méthodes, mais de 49,5 euros par mégawattheure selon la dernière méthode. L'écart est donc très significatif.

En réalité, une méthode n'est ni bonne ni mauvaise, tout dépend de ce que l'on en attend. Si l'on cherche une méthode pour comparer différentes énergies, celle du coût courant économique est probablement la plus adaptée. Si l'on souhaite définir un prix en permettant au consommateur de bénéficier des amortissements qui ont déjà été réalisés, la méthode Champsaur sera privilégiée. EDF préfère clairement la méthode du coût courant économique. Chacun peut adopter, en fonction de ce qu'il souhaite calculer, une méthode différente. Voilà ce que l'on peut constater sur ce sujet.

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