Intervention de Gilles-Pierre Lévy

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 20 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Gilles-Pierre Lévy président de la deuxième chambre de la cour des comptes et de Mme Michèle Pappalardo conseillère-maître à la cour des comptes

Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes :

Aujourd'hui, l'assurance représente une petite dépense pour les exploitants, moins de 100 millions d'euros par an. Elle est prise en compte, mais à un niveau dont on peut débattre, et figure dans les dépenses d'exploitation. Nous y reviendrons ultérieurement.

J'en viens à la question des coûts futurs, lesquels peuvent être discutés.

S'agissant des coûts de démantèlement, aucun opérateur, à ce jour, n'a démantelé un parc de plusieurs dizaines de réacteurs du même type. Aujourd'hui, trois méthodes peuvent être envisagées pour évaluer ces coûts.

L'ancienne méthode des coûts de référence, dite PEON, consistait à appliquer un pourcentage au coût complet des investissements. Le montant des charges ainsi calculées représentait 16 % du coût, puis 15 %. On ne comprend pas très bien sur quoi elle était fondée.

Une deuxième méthode, appliquée par EDF, la méthode dite Dampierre, consistait à analyser, à partir du cas d'une centrale type, ce que coûterait chacune des opérations de démantèlement. Cette méthode nous a paru solide. Elle a déjà été actualisée, mais elle gagnerait à l'être une nouvelle fois, car les paramètres varient dans le temps. Sur le fond, c'est en tout cas une approche cohérente, contrairement à la précédente.

Enfin, comme personne ne sait réellement comment de telles opérations se dérouleraient dans la réalité, nous nous sommes penchés sur les études menées dans les autres pays.

L'extrapolation des études internationales au coût du démantèlement du parc d'EDF amène à situer l'évaluation d'EDF, soit 18,4 milliards d'euros, tout en bas de la fourchette. L'un des opérateurs allemands estime le coût du démantèlement à 62 milliards d'euros. D'autres évaluations sont proches de celle d'EDF, comme celle de la Suède -20 milliards d'euros -, qui est probablement l'un des pays ayant le plus exploré ce sujet. D'autres encore avancent des chiffres plus de deux fois supérieurs, soit 44 milliards d'euros ou 46 milliards d'euros.

Nous avons donc étudié, à titre indicatif, quel serait l'impact du doublement des charges de démantèlement sur le coût : il entraînerait une augmentation de 5 % de celui-ci.

Le stockage profond des déchets représente une deuxième source d'incertitudes.

Il existe des désaccords importants à ce sujet entre les exploitants, qui estiment le coût de ce stockage à une quinzaine de milliards d'euros, et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, en principe seul expert en la matière, qui l'évalue à quelque 35 milliards d'euros. Cet écart provient de différences d'appréciation de chaque coût, mais également d'une diversité d'approches, s'agissant notamment de la réversibilité.

La Cour des comptes n'est pas compétente pour donner un avis sur ce point. Elle évalue la sensibilité du coût à un doublement du devis du stockage profond des déchets à 1 %. En effet, la période considérée étant extrêmement longue, l'actualisation ramène le coût à un niveau peu élevé.

Enfin, nous nous sommes interrogés sur le taux d'actualisation. Si nous avons constaté que le taux retenu par EDF était dans la moyenne des autres opérateurs, cette moyenne n'est pas mathématique. Un point de variation du taux d'actualisation aurait un impact de 0,8 % sur les coûts.

Voilà ce que l'on peut dire, au total, sur les coûts futurs et leur sensibilité à une variation des paramètres.

Je voudrais à présent aborder la question importante de la durée de fonctionnement des réacteurs.

C'est l'un des sujets qui nous a le plus interpellés. En pratique, la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire d'autoriser la prolongation de trente à quarante ans de la durée de vie de deux réacteurs nucléaires a donné lieu à de vifs débats. L'âge moyen du parc actuel est de vingt-cinq ans ; vingt-deux réacteurs, soit 30 % de la puissance installée, auront quarante ans de fonctionnement avant la fin de 2022.

Si, juridiquement, les réacteurs, à deux exceptions près, ont une autorisation de fonctionnement pour trente ans, l'amortissement comptable que pratique EDF porte sur quarante ans, conformément aux règles de la comptabilité qui préconisent, à tort ou à raison, de retenir la durée de vie la plus probable. En réalité, EDF table, comme en témoignent des déclarations aux analystes financiers et certains articles parus récemment dans le quotidien Le Monde sous la signature d'Henri Proglio, sur une durée de vie de cinquante à soixante ans. À titre indicatif, aux États-Unis, le fonctionnement de ce type de réacteurs est autorisé pour soixante ans ; cela ne signifie pas que les Américains ont raison : c'est un constat.

Quoi qu'il en soit, si l'on devait remplacer les vingt-deux réacteurs que j'évoquais à l'instant avant la fin de 2022, compte tenu des délais de mise en oeuvre de sources d'énergie alternatives ou de réalisation d'économies d'énergie correspondantes, l'effort à fournir serait comparable à un effort de guerre. À supposer que l'on continue à recourir à l'énergie nucléaire, une dizaine d'années séparent la décision de construire un réacteur EPR de l'entrée en service de celui-ci. Nous sommes en 2012 : il faudrait donc construire une douzaine de réacteurs EPR - leur puissance étant plus élevée que celle des réacteurs actuels - d'ici à 2022. Cela me paraît hautement improbable, mais vous êtes mieux placés que moi pour en juger.

La mise en oeuvre de sources d'énergie alternative n'est pas non plus immédiate. C'est un élément important à garder à l'esprit.

Par conséquent, il est vraisemblable - mais pas certain : les Japonais ont arrêté l'essentiel de leur parc nucléaire sans préavis - que les dépenses de maintenance, qui s'assimileront à des dépenses de prolongation de la durée de vie, vont fortement augmenter. Leur incidence est supérieure à celle des dépenses futures.

Les dépenses pour investissements de maintenance d'EDF étaient en moyenne de 800 millions d'euros par an entre 2003 et 2008. En 2010, elles atteignaient 1,75 milliard d'euros. Le programme d'EDF, avant l'audit réalisé par l'ASN à la suite de l'accident de Fukushima, prévoyait un budget de 50 milliards d'euros à ce titre pour la période 2011-2025, soit 3,4 milliards d'euros par an. Je précise que les dépenses mises en oeuvre aboutissent à la fois à maintenir les équipements en bon état de fonctionnement et à prolonger de vingt ans leur durée de vie.

En même temps que le Gouvernement demandait à la Cour des comptes un rapport sur les coûts de l'électricité nucléaire, il chargeait l'Autorité de sûreté nucléaire d'étudier les précautions supplémentaires à prendre après l'accident de Fukushima. Le programme de l'ASN n'a pas été formellement chiffré. L'ordre de grandeur avancé par l'ASN comme par EDF est de 10 milliards d'euros. J'ai été frappé par leur convergence de vues au cours des auditions que nous avons menées. Ils s'accordent également sur le fait que la moitié de ces dépenses sont déjà plus ou moins prises en compte dans le programme de maintenance d'EDF. Le surcoût est donc de l'ordre de 5 milliards d'euros pour la période 2011-2025, sachant que ces dépenses seront concentrées en début de période.

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