Je parlerai brièvement de l'assurance, cette question ayant été soulevée. Sommes-nous bien assurés en cas de catastrophe nucléaire ?
Sur le plan de la théorie, il est très difficile de calculer une prime d'assurance contre un phénomène pour lequel il n'existe pas de série statistique significative.
Trois catastrophes nucléaires ont eu lieu à ce jour.
L'accident de Three Miles Island s'est circonscrit à l'enceinte de confinement, sans provoquer de réels dégâts à l'extérieur. Son coût peut être estimé entre 1 milliard et 2 milliards de dollars.
Il y a eu ensuite la catastrophe de Tchernobyl. L'évaluation de son coût suscite des débats sur lesquels je suis incapable de me prononcer. Les dégâts se chiffrent en centaines de milliards de dollars, mais il est très difficile de préciser davantage.
Enfin, la catastrophe de Fukushima est due autant au tsunami et au tremblement de terre consécutif qu'à l'accident nucléaire lui-même. L'évaluation du coût de ce dernier n'est pas terminée. Le Japon remettra-t-il en route ses autres centrales ou pas ? S'il ne le fait pas, l'accident de Fukushima concernera l'ensemble des centrales et le coût sera totalement différent. L'incertitude est forte sur ce point.
On m'objectera naturellement que les situations ne sont pas comparables. En particulier, il est habituel de faire observer que Tchernobyl est un accident soviétique autant qu'un accident nucléaire : la centrale était dépourvue d'enceinte de confinement, les équipes n'étaient pas suffisamment formées, etc. C'est possible. Cela étant, le risque zéro n'existe pas.
En conclusion, ce que l'on peut simplement dire, c'est qu'il est techniquement difficile de calculer le montant d'une prime d'assurance contre un risque très important qui s'est réalisé très rarement dans le passé.
Les assurances ont joué pour d'autres types de catastrophes, notamment certains tremblements de terre, en particulier celui de Californie et, dans une moindre mesure, celui de Kobé, ainsi que certains cyclones, tel Katrina. L'ordre de grandeur est la centaine de milliards de dollars.
Sur le plan factuel, voici ce que couvrent aujourd'hui les assurances, aux termes des conventions en vigueur : en cas d'accident, les exploitants sont engagés à hauteur de 91 millions d'euros, l'État de l'exploitant à concurrence d'un peu moins de 110 millions d'euros et les autres États parties à la convention à hauteur de 143 millions d'euros, soit un montant total de 340 millions d'euros, qui pèse pour plus des deux tiers sur les États.
Le protocole de 2004, qui n'a pas encore été ratifié par tous les États et qui n'est donc pas encore juridiquement en vigueur, prévoit une augmentation significative des montants que j'ai cités : les exploitants seront engagés à hauteur de 700 millions d'euros, l'État de l'exploitant à concurrence de 500 millions d'euros et les autres États parties à hauteur de 300 millions d'euros, soit un total de 1,5 milliard d'euros.
C'est l'ordre de grandeur du coût de l'accident de Three Miles Island, mais sûrement pas celui du coût de l'accident de Fukushima ou, a fortiori, de la catastrophe de Tchernobyl.
Il faut être extrêmement prudent lorsque l'on avance une estimation d'une provision dans ce domaine, car il ne faudrait pas que le public y voit l'annonce d'une catastrophe à venir. L'IRSN a estimé, à titre purement indicatif - ce n'est que le résultat du travail de deux personnes -, le coût d'un accident nucléaire grave, mais pas totalement incontrôlé, à 70 milliards d'euros. Pour couvrir ce montant, la Cour des comptes a simplement calculé qu'il faudrait provisionner 1,75 milliard d'euros par an pendant quarante années - durée de vie théorique et comptable d'une centrale nucléaire aujourd'hui. Cela s'ajouterait aux quelque 10 milliards d'euros de dépenses d'exploitation et, selon la façon dont on compte, aux 2,5 milliards à 9 milliards d'euros pour la prise en compte du capital, soit un peu moins de 2 milliards d'euros de provision par an rapportés à un total d'une vingtaine de milliards d'euros : la prime d'assurance serait donc de l'ordre de 8 %. Bien entendu, on ne constitue pas une telle provision pour se prémunir contre les conséquences d'un tremblement de terre ou d'un cyclone, par exemple. Voilà ce que l'on peut dire sur ce sujet.
En conclusion, permettez-moi de faire quatre commentaires et trois remarques.
Schématiquement, la question posée à la Cour des comptes était : les coûts de la filière électronucléaire sont-ils à peu près tous connus ? La réponse est globalement positive, sauf en ce qui concerne la prime d'assurance, au sujet de laquelle nous n'avons pas de bonne réponse.
Deuxièmement, les dépenses financées par des crédits publics ne sont pas du premier ordre si on les rapporte aux coûts pris en charge par les exploitants. Ces dépenses ont atteint 644 millions d'euros en 2010, répartis entre dépenses de recherche et coûts liés à la sécurité, à la sûreté et à la transparence. Un tel montant n'est pas négligeable, mais il n'est pas de première grandeur au regard des coûts totaux, qui s'élèvent à une vingtaine de milliards d'euros.
Troisièmement, le nucléaire, à l'évidence, est un domaine dans lequel subsistent de nombreuses incertitudes industrielles et scientifiques, d'autant plus difficiles à gérer que l'on se projette à long terme.
Quatrièmement, nous avons déjà évoqué les investissements supplémentaires demandés par l'Autorité de sûreté nucléaire à la suite de l'accident de Fukushima. Ces investissements ne sont pas marginaux, mais ils ne sont pas non plus d'un ordre de grandeur radicalement différent de ceux qui étaient prévus. Leur coût s'élèverait à une dizaine de milliards d'euros, montant à comparer à la cinquantaine de milliards d'euros d'investissements envisagés sur les quinze prochaines années.
J'en viens maintenant aux trois remarques annoncées, qui vont au-delà du calcul des coûts.
En premier lieu, la durée de vie effective des centrales pose véritablement question. En tout état de cause, sauf à réduire de manière significative notre consommation d'électricité, compte tenu des délais de mise en oeuvre des solutions alternatives - économies d'énergie, construction d'EPR ou recours aux énergies renouvelables -, ne pas décider, c'est décider de prolonger la durée de vie des centrales.
En deuxième lieu, dans tous les cas, un volume considérable d'investissements sera nécessaire. Les seuls coûts de la maintenance, qui étaient inférieurs à 1 milliard d'euros par an, sont en voie de passer à quelque 4 milliards d'euros, soit 20 % des 20 milliards d'euros calculés sur la base du coût courant économique, le CCE. Cette évolution a une incidence plus significative que la prise en compte d'une incertitude forte sur le coût du démantèlement ou sur celui de la gestion des déchets.
En troisième lieu, je tiens à souligner que nous n'avons pas travaillé significativement sur la prise en compte des externalités, qu'elles soient positives ou négatives, c'est-à-dire sur les quotas de CO2 économisés ou dépensés, sur les devises économisées ou dépensées, sur les emplois créés ou supprimés, etc. Ces sujets méritent d'être étudiés mais ne faisaient pas l'objet du présent rapport.
Voilà ce que je voulais vous dire pour résumer le travail de la Cour des comptes, madame, messieurs les sénateurs. Je vous remercie de votre attention.