J'aborderai maintenant la question de la compétitivité électrique de la France.
Si l'on regarde avec un oeil acéré certaines régions du monde - les plus pertinentes à nos yeux sont celles où se situent souvent les centres de production des industries électro-intensives -, à savoir l'Amérique du Nord, la Chine, les pays du Golfe, l'Australie, force est de constater que des décisions politiques ont été prises dans toutes ces régions pour favoriser le développement et/ou le maintien d'industries électro-intensives. Ce sont des arbitrages politiques qui ont été retenus.
En Amérique du Nord, il y a des valeurs publiques. Ainsi, aux États-Unis et au Québec, il existe des tarifs ou des prix de gré à gré réservés aux industries visant à les faire bénéficier du patrimoine énergétique local quand elles sont très sensibles au prix de l'électricité. Il existe un tarif patrimonial au Québec. Je ne cite pas son prix, qui est basé sur l'hydroélectrique du Québec ; il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une décision politique tendant à favoriser le maintien ou le développement d'activités industrielles sur ce territoire.
Il en est de même en Chine, grâce à l'accès à un prix de charbon très compétitif, que j'appellerai aussi « patrimonial ». Mentionnons, au passage, que les consommateurs chinois ne paient pas de composante C02. Toute la production de l'aluminium en Chine se développe pour l'essentiel avec des centrales au charbon.
C'est aussi le cas dans certains pays du Golfe, grâce à une production d'électricité à partir de gaz patrimonial. Le prix du gaz facturé aux industriels est de 1,5 dollar par million de Btu, alors que l'Europe achète son gaz entre 8 et 10 dollars par million de Btu. Les pays du Golfe ne paient pas de composante C02. Il y a donc bien un arbitrage entre le fait de vendre du gaz sur les marchés des pays développés et celui de développer une industrie locale. Ils pourraient parfaitement vendre le gaz, le liquéfier, le transporter, le regazéifier et obtenir un prix du gaz supérieur à 1,5 dollar. Ils procèdent autrement, en développant une industrie locale.
Pour notre part, nous souhaitons pouvoir accéder durablement aux prix de l'ARENH, avec des perspectives qui soient clarifiées, même si ces prix sont supérieurs aux prix pratiqués dans les zones que je viens de mentionner.
En effet, en fonction de l'électro-intensivité de nos activités, le prix de la fourniture électrique n'est pas le seul critère pour un groupe industriel qui décide d'implanter une usine, d'investir dans des installations existantes, voire de suspendre ou de reprendre la production. Au-delà du prix, il existe d'autres critères tels que la non-sensibilité au risque carbone, la disponibilité d'une production électrique de base de forte puissance et la prévisibilité du tout. Ces critères ont aussi, à nos yeux, de la valeur.
La production d'électricité nucléaire française répond à chacune de ces exigences. C'est pourquoi nos industries, dont la consommation électrique est à la fois prévisible à moyen et long terme et souvent « plate », sans à-coup, constituent un partenaire économique et stratégique idéal pour le parc nucléaire en France, comme elles le sont de la production hydroélectrique à très grande échelle au Canada ou dans certains pays du nord de l'Europe, telles la Norvège et l'Islande.
La production électronucléaire est essentielle à la compétitivité électrique de la France. Le pire des signaux qui puisse être envoyé aux industriels est que la France envisage de réduire sa production nucléaire. Les dividendes du choix nucléaire sont encore devant nous. Ainsi, la Cour des comptes a conclu « que la durée de fonctionnement des centrales du parc actuel constitue une donnée majeure de la politique énergétique. Elle a un impact significatif sur le coût de la filière en permettant d'amortir les investissements sur un plus grand nombre d'années. D'autre part, elle repousse dans le temps les dépenses de démantèlement et le besoin d'investissement dans de nouvelles installations de production. »
Je ne vous surprendrai pas en disant que l'UNIDEN souhaite la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires de quarante à soixante ans. C'est la décision la plus rationnelle dans la situation énergétique et économique de notre pays.
Je pense avoir évoqué tous les points en réponse à la première question que vous m'avez posée, monsieur le rapporteur. Mais si vous voulez aborder d'autres points, j'essaierai de vous répondre.
J'en viens à votre deuxième question : pensez-vous que les différents coûts de l'électricité soient correctement imputés aux différents agents économiques, afin que ceux-ci se voient adresser le bon signal-prix ? En particulier, certains coûts vous semblent-ils reposer de façon inappropriée sur les industriels électro-intensifs ?
Je répéterai un peu ce que j'ai déjà dit : la politique énergétique est une clé essentielle de la politique économique et industrielle d'un pays. Elle devrait donc être tournée vers la recherche de la meilleure combinaison entre compétitivité et risques du site France.
Il est très important que soient proposés aux différents acteurs des mécanismes adaptés à leur situation propre et aux objectifs industriels et écologiques du pays.
Les industriels électro-intensifs ont quatre particularités, que j'ai déjà mentionnées : le prix de l'électricité est une composante essentielle de leurs coûts ; ils ont un profil de consommation prévisible et régulier ; ils sont soumis à une concurrence mondiale et ils sont donc délocalisables.
Toute décision de politique énergétique et fiscale les concernant devrait tenir compte de ces particularités.
On cite souvent l'exemple allemand, en mettant en valeur sa réussite industrielle malgré un prix de l'électricité plus élevé qu'en France. À cet égard, je voudrais vous donner quelques informations parce que nous avons approfondi ce sujet pour qu'il ne donne pas lieu à des discours quelque peu évanescents et qu'on en parle au contraire en se fondant sur des faits précis.
Nous avons donc étudié la situation de nos homologues allemands, dont certaines usines appartiennent aux mêmes groupes que les nôtres. Il en ressort qu'une batterie de dispositifs permet d'amortir très largement la facture électrique des industries consommatrices allemandes.
S'agissant du coût du transport - part fixe et part variable, hors taxes et contribution -, les sites industriels allemands petits et moyens, c'est-à-dire de 5 à 20 mégawatts, paient en moyenne la moitié de ce que paient leurs homologues français.