Intervention de Michèle Bellon

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 21 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Michèle Bellon président du directoire d'électricité réseau distribution france erdf

Michèle Bellon, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF) :

Oui.

Autre évolution possible : si, en matière d'énergies renouvelables, nous devions aller au-delà de la PPI ; aujourd'hui, notre pronostic est que, en ce qui concerne le photovoltaïque, nous sommes d'ores et déjà bien au-delà de la programmation pluriannuelle des investissements.

Concernant les évolutions réglementaires, je dirai que la multiplication des textes ces trois dernières années, concernant l'élagage ou les travaux sur l'espace public - le décret « DT DICT » -, pour légitime qu'elle soit, a conduit à une forte augmentation des coûts supportés par le distributeur pour répondre à ses nouvelles obligations. Elle va également conduire à une augmentation du temps de coupure pour travaux. Je plaiderai donc, si vous m'y autorisez, pour une meilleure prévisibilité du cadre réglementaire et une prise en compte de l'impact financier et technique sur le distributeur.

En ce qui concerne l'impact sur le niveau futur du TURPE - nous parlons de dix années, soit deux périodes et demie de TURPE -, d'une façon générale, ERDF ne souhaite pas s'écarter trop significativement de l'inflation, afin de ne pas alourdir exagérément la facture des consommateurs. L'écart souhaité ne peut pas aujourd'hui être estimé, puisque nous sommes au tout début des travaux du TURPE 4 et que cela dépendra à la fois de la structure du TURPE et du modèle tarifaire, ainsi que d'un certain nombre d'incertitudes qui restent à lever. Les travaux du TURPE 4 commencent, la Commission de régulation vient de lancer une consultation sur la structure, qui est la toute première étape de la détermination du TURPE.

Tout cela rend d'autant plus nécessaire de faire preuve de constance dans le niveau des investissements et des moyens alloués à ERDF, par une trajectoire tarifaire raisonnable pour les dix prochaines années. C'est indispensable pour maintenir sur l'ensemble du territoire le tissu industriel compétent et motivé que représentent nos nombreuses entreprises prestataires, entreprises créatrices d'emplois locaux. C'est également le cas pour renforcer la proximité des territoires.

En effet, pour la première fois depuis quinze ans, et après une baisse des effectifs de 30 % à périmètre constant depuis 2000, soit 14 000 suppressions d'emplois, ce qui a contribué à la dégradation du service public, ERDF est créateur net d'emplois en 2011, pour la première fois depuis quinze ans, avec plus de 1 700 embauches dans tous les métiers et dans tous les territoires. Parmi ces embauches, 460 sont issues de l'alternance.

Pour conclure, je dirai qu'il nous faut poursuivre et amplifier ce mouvement, tout en ayant à l'esprit que le prix de l'électricité en France constitue un facteur de compétitivité et d'indépendance nationale.

Je répondrai maintenant à votre deuxième question concernant la structure de la consommation et la « pointe ».

Tout d'abord, la notion de pointe nationale, je tiens à le souligner, est pertinente pour la gestion de l'équilibre entre l'offre et la demande à l'échelon national et pour le dimensionnement des parcs de production et du réseau de grand transport.

En ce qui concerne le réseau de distribution, globalement, les jours les plus chargés en consommation se trouvent en hiver, pour la majorité de nos 2 200 postes. Pour autant, les demandes de consommation et les productions sont réparties sur tout le territoire, ce qui conduit à chaque niveau du réseau, aussi bien pour les 2 200 postes sources qui sont les interfaces avec le réseau de transport que pour nos 750 000 postes de transformation moyenne et basse tension, à des pointes spécifiques et différenciées découlant de la diversité des usages des clients raccordés. Selon que vous vivez dans une région industrielle ou balnéaire, une station de sports d'hiver ou une zone très irriguée, les pointes ne sont pas concomitantes : la pointe nationale est la somme de toutes les courbes, ce qui signifie que nous n'avons pas une pointe nationale sur le réseau de distribution.

D'un point de vue statistique, je relève d'ailleurs que, sur les 22 jours de pointe nationale, seuls 12 jours coïncident avec des pointes constatées localement à partir des courbes de charge des postes sources, soit approximativement la moitié.

La notion de pointe a donc une réalité plus locale pour le réseau de distribution que pour le réseau de transport ou de production. Toute approche en la matière doit donc intégrer la complexité entre l'échelon national et l'échelon local.

Je souhaite par ailleurs attirer votre attention sur les conséquences possibles d'une vision purement nationale en la matière. Tout signal envoyé à l'échelle nationale à un nombre significatif de consommateurs peut engendrer des contraintes particulières sur le réseau de distribution.

En effet, dans les instants qui suivent le passage d'une plage durant laquelle le prix est élevé à une plage durant laquelle le prix est plus faible, le consommateur peut déclencher des usages flexibles qu'il peut décaler : chauffage, eau chaude sanitaire, machines à laver, véhicules électriques. Ce comportement peut être amorti sur un grand nombre de consommateurs à l'échelle nationale, ce qui permettra d'effacer la pointe nationale. Mais ce ne sera plus vrai à un niveau local, où la concentration des consommateurs asservis au signal pourrait être très dense sur une partie du réseau. C'est ce que nous appelons « l'effet rebond ».

Pour répondre à une problématique nationale, on peut alors avoir déplacé le problème à un échelon local, qui se traduira par des besoins de renforcement du réseau. Le niveau de cet effet rebond causé par le report de charge est, de plus, susceptible de s'intensifier à l'avenir avec le développement des usages intelligents asservis.

Que peut-on faire ?

Concernant les mécanismes d'effacement qui contribuent à l'ajustement - vous les abordez dans votre question, monsieur le rapporteur -, je suis favorable à leur développement, pour autant qu'ils prennent en compte la dimension locale des pointes.

Au-delà des mécanismes qui ont fait leurs preuves - heures pleines, heures creuses, par exemple -, qui permettent d'asservir un chauffe-eau ou un lave-linge et doivent être préservés, il est indispensable que les mécanismes futurs qui pourraient être envisagés impliquent bien les gestionnaires de réseaux de distribution.

À cet égard et dans le cadre du mécanisme de capacité qui doit être prochainement mis en place, ERDF a proposé des relations contractuelles tripartites entre, d'une part, RTE et ERDF qui déterminent les rôles de chacun, et, d'autre part, les fournisseurs de capacité : effacement ou production raccordée sur le réseau de distribution.

Enfin, je terminerai en rappelant que le déploiement du système Linky constitue un préalable indispensable au déploiement de masse des solutions évoquées, en donnant accès aux informations nécessaires à l'optimisation et en offrant les relais locaux pour d'éventuelles télécommandes.

Plus généralement, le développement de l'intelligence dans les réseaux, smart grids en anglais, devrait permettre de développer et de tester des systèmes évolués de pilotage de la charge, effacement en temps réel ou « horo-saisonnalité » avancée, afin de limiter les contributions aux pointes nationales et locales. C'est pourquoi ERDF participe à de nombreux démonstrateurs dans le cadre des appels à manifestations d'intérêt de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME.

Je suis donc favorable au développement de nouveaux outils de flexibilité, mais il me semble important de souligner devant la commission d'enquête qu'il convient de s'assurer de leur compatibilité avec les spécificités locales des réseaux de distribution, et qu'ils doivent permettent à chacun de jouer son rôle dans l'optimisation globale du système.

Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, concerne les avantages concrets du système Linky.

Ce système est composé d'un système informatique, d'une infrastructure de communications et de compteurs communicants.

Les avantages sont multiples, à l'égard tant de l'ensemble des consommateurs que des autres acteurs du marché de l'électricité et de la collectivité : le client bénéficiera d'une facture calculée sur la base de la consommation réelle et non plus d'une estimation ; de nombreuses interventions seront réalisées à distance et ne nécessiteront plus la présence du client, par exemple la relève des compteurs, le changement de puissance, de fournisseurs ou la mise en service ; les délais d'intervention seront beaucoup plus courts, puisqu'ils seront ramenés de cinq jours actuellement à moins de vingt-quatre heures.

Le système Linky permettra également aux fournisseurs d'électricité de développer de nouvelles offres : grilles tarifaires modulant les journées, les semaines ou les saisons. En outre, Linky est un outil essentiel pour développer les outils de la maîtrise de la demande, la MDE. Il permettra aux clients de disposer d'une information de leur consommation, soit sur internet, soit par l'intermédiaire de leur fournisseur. Avec les compteurs actuels, 12 millions de ballons d'eau chaude sont pilotés à distance. Tout en maintenant cette possibilité, Linky permettra un pilotage différencié de nombreux autres équipements et usages - huit réseaux, huit circuits différents - et, bien entendu, du chauffage électrique en fonction des offres tarifaires et des services qui seront proposés.

Toutes ces nouveautés favorisent les économies d'énergie et l'effacement des pointes de consommation.

Linky permettra de mieux accueillir le développement des productions d'énergies renouvelables d'origine photovoltaïque ou éolienne et les nouveaux usages comme le véhicule électrique. Il sera ainsi un outil essentiel du pilotage des nouveaux équilibres, de la fiabilité et de la sécurité globale du réseau national de distribution d'électricité.

En effet, ces énergies renouvelables sont intermittentes, elles ont une grande variabilité, difficilement prévisionnelle, et le fait de disposer d'outils de mesure et de pilotage sera demain indispensable pour pouvoir piloter et assurer l'équilibre permanent entre l'offre et la demande.

Linky complètera les automatismes qui ont déjà été mis en place sur le réseau d'ERDF. Il facilitera le diagnostic à distance, l'optimisation des investissements et permettra des dépannages plus rapides.

Ces fonctionnalités sont-elles optimales ?

Je formulerai deux observations.

En premier lieu, les fonctionnalités ont été définies après plus de soixante réunions, la plupart organisées sous l'égide de la Commission de régulation de l'énergie. Toutes les parties prenantes ont été associées à cette concertation. Ces réunions ont permis de faire converger des visions et des intérêts parfois divergents des différents acteurs sur les fonctionnalités.

En second lieu, on peut toujours attendre la prochaine génération que le progrès pourrait nous apporter. Mais, technologiquement, non seulement Linky constitue un optimum, mais aujourd'hui il est conçu pour que ses logiciels internes, et donc ses fonctionnalités, puissent être mis à jour à distance. Si de nouvelles fonctions devaient être décidées par la suite, il ne serait pas nécessaire de remplacer les compteurs.

ERDF continue à travailler sur les solutions de demain, sur l'innovation, notamment sur les courants porteurs en ligne, mais les compteurs qui sont conçus aujourd'hui et seront déployés dans la première phase offriront l'ensemble des fonctionnalités. Seules les conditions de transmission, notamment la vitesse de transmission, seraient susceptibles d'évoluer.

Quel est le coût du système et quel est son financement ?

L'expérimentation sur 260 000 compteurs a permis de valider le budget nécessaire au déploiement complet du projet, soit environ 4,5 milliards d'euros sur la période de déploiement, c'est-à-dire sur six ans.

Un tel effort nécessite une sécurisation dans la durée. En tant que présidente d'ERDF, j'ai pris la responsabilité que cet investissement important ne se fasse pas au détriment de l'entreprise publique d'ERDF.

Le budget prévisionnel est équilibré sur vingt ans, c'est-à-dire que les gains, notamment sur les interventions, les déplacements, la relève, mais également sur les pertes, devraient couvrir, à terme, le coût de l'investissement.

Dès lors, deux dispositifs de financement sont en débat : le financement dans le cadre du TURPE, dont vous savez qu'il couvre des périodes de quatre ans, et un financement hors TURPE, c'est-à-dire un financement du surcoût Linky par ERDF.

Dans le second dispositif, ERDF finance ce surcoût et se rembourse ensuite par les gains générés par la mise en oeuvre du système. Dans ce cas, le compteur n'aurait alors rien à payer de plus.

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