Intervention de Hakim El Karoui

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 4 février 2020 à 15h40
Audition de représentants de l'association musulmane pour l'islam de france amif sera publié ultérieurement

Hakim El Karoui, chef d'entreprise, essayiste :

président de l'Association musulmane pour l'islam de France, chef d'entreprise, essayiste. - Nous vous remercions de nous donner la parole et de nous recevoir dans le cadre de cette commission d'enquête.

Je vais rapidement faire la genèse du projet de l'AMIF et tenter de vous exposer la manière dont nous voulons agir concrètement. Je ne suis pas là pour répondre aux polémiques, car, après tout, elles font partie du jeu.

Notre projet est le fruit de quatre ans de travail. Personnellement, j'ai entamé ma réflexion au sein de l'Institut Montaigne, laquelle a abouti à la publication de deux rapports : le premier s'intitule Un islam français est possible, l'autre La Fabrique de l'islamisme.

Mon engagement au sein de l'AMIF fait suite au choc que j'ai ressenti au moment des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher. Je suis Français de confession musulmane, mais de double culture, ma mère étant protestante. Je considérais jusqu'ici que la religion était plutôt une affaire privée, même si j'avais beaucoup travaillé sur les questions liées à la diversité, ayant notamment créé le Club du XXIe siècle.

En 2015, je me suis demandé ce que nous pouvions faire, nous qui avions bénéficié de l'enseignement de l'école de la République, qui avions été élevés et socialisés dans un État laïc. Est-ce suffisant de se dire que la religion appartient à la sphère privée, qu'elle ne nous concerne pas, et que les terroristes ne sont que des hurluberlus ? Pour moi, la réponse est non.

Il faut agir d'une certaine manière malgré soi, dans la mesure où notre inclination première nous conduirait plutôt à respecter la tradition laïque et à considérer que les questions religieuses relèvent du privé. Aujourd'hui, je pense que la question religieuse, notamment la question musulmane, n'est plus de nature privée, et qu'elle est devenue politique, ce dont témoignent la création et les travaux de votre commission.

Avant d'agir, il faut essayer de comprendre ce qui se passe.

Le rapport de l'Institut Montaigne intitulé Un islam français est possible incluait une grande enquête sur les musulmans, qui permettait de comprendre les dynamiques et d'établir un diagnostic. Celui-ci a montré l'extraordinaire diversité des situations.

La population musulmane est beaucoup plus jeune que le reste de la population française, avec une très forte concentration géographique qui correspond à la géographie de la reconstruction de la France et de l'immigration.

L'enquête a en quelque sorte démontré le cliché de l'échec du modèle français d'intégration : on observe une diversité sociale assez inattendue, les échecs en matière d'intégration étant en réalité minoritaires. Elle montre ainsi que, à situation de départ égale, le destin social des immigrés est plutôt meilleur que celui du reste de la population française. Elle révèle également l'existence d'une classe moyenne de confession musulmane, imperceptible parce qu'invisible et silencieuse. En fait, le véritable échec en matière d'intégration, ce sont les 30 % de musulmans qui se situent hors de l'emploi et des institutions.

À l'étude, la majorité des Français de confession musulmane sont des Français comme les autres, c'est-à-dire des citoyens intégrés, républicains, même s'ils sont plus croyants que la moyenne et qu'ils ont un système de valeurs proche de celui des catholiques pratiquants.

Un deuxième groupe, un quart environ de cette population, composé en majorité d'étrangers, c'est-à-dire d'immigrés de première génération, importe les us et coutumes de leur pays d'origine, mais ne revendique pas.

Enfin, on identifie un troisième groupe, le plus problématique, dans lequel on trouve énormément de jeunes qui utilisent la religion pour manifester une forme de rébellion. Le rapport évoquait une « sécession idéologique », ce qui ne veut pas dire nécessairement de la violence, mais en tout cas une inversion de la hiérarchie des normes et une vision autoritaire de la religion, en premier lieu à l'égard de leurs coreligionnaires. Je rappelle que la principale cible des islamistes, ce sont les musulmans eux-mêmes.

Nous avons complété ce premier travail en élaborant un second rapport intitulé La Fabrique de l'islamisme, qui retrace la fabrication industrielle de l'islamisme depuis un siècle au travers du centre égyptien, celui des Frères musulmans, du centre saoudien wahhabite, du centre iranien et du centre turc. Le constat est le suivant : on assiste à une offensive idéologique, qui consiste à affirmer et à édicter une certaine vision de l'islam, à l'imposer aux musulmans, ainsi qu'au reste du monde, en vue de prendre le pouvoir.

Face à cette réalité, il faut tout d'abord reconnaître que nous sommes confrontés à un grand combat d'idées, un combat idéologique, un combat théologique. Il ne s'agit pas d'un enjeu social, mais d'une question qui a trait à Dieu et à la religion. J'insiste sur ce point, car il est et reste compliqué de faire reconnaître à un État laïc, qui a parfois du mal à comprendre ou a oublié ce que peut être la religion, qu'il s'agit d'un problème religieux.

Il s'agit aussi d'un conflit entre les islamistes et la République, dans la mesure où, d'une certaine manière, deux projets concurrents se confrontent. Dans leurs prêches, les islamistes expliquent aux jeunes Français que la France leur dénie leur francité, qu'ils sont discriminés et mal traités, et que leurs parents ont été humiliés et colonisés. Ils leur répètent que leur identité, c'est d'être un musulman, mais pas un musulman comme l'étaient leurs parents, un musulman comme le sont les islamistes, avec une affirmation identitaire et politique forte.

Il nous faut mener une bataille et cette guerre ne se gagnera pas sans la mobilisation des musulmans. Il faut que les pouvoirs publics intègrent les musulmans dans leur réflexion, car la bataille se joue à l'intérieur de l'islam.

Comment parler aux musulmans ? C'était la raison d'être d'institutions comme le Conseil français du culte musulman (CFCM) par exemple, mais, après vingt ans de discussions avec l'État, nous considérons que les institutions représentatives sont une impasse, d'une part, parce qu'elles ne sont pas légitimes en islam et, d'autre part, parce qu'elles suscitent le rejet des musulmans avec lesquels on cherche à parler sur le terrain.

Pour notre association, comme l'argent est le nerf de la guerre, il faut réguler les marchés liés à l'islam, ceux dont on parle beaucoup comme celui du halal ou du pèlerinage, mais aussi celui des dons, dont on parle très peu, alors qu'il est le plus important. Tout le monde sait que ces marchés sont très mal organisés et que les prix sont trop élevés. Dans un contexte où l'institutionnalisation est compliquée, il nous semble qu'il faut « faire de la politique par la preuve ».

L'AMIF rend un service nécessaire : elle joue le rôle de régulateur de ces marchés et collecte de l'argent en échange, non pas pour le privatiser, mais pour le socialiser et le mettre au service de l'intérêt général. Pour nous, cet argent doit servir un grand combat idéologique : il faut financer des chaires, former des religieux et être en mesure de les payer. Financer le travail théologique est extrêmement important, c'est la mère de toutes les batailles.

Il faut également être présent sur les réseaux sociaux. Notre enquête a en effet montré que l'apprentissage de l'islam se fait davantage sur internet qu'à la mosquée.

J'ajoute que nous devons nous emparer de la question de l'inscription de l'islam dans la société : il ne faut pas laisser aux « identitaires » musulmans le combat contre la haine antimusulmane. Il faut s'en emparer et, si possible, ne pas la réduire au seul islam. Je rêve d'un « SOS universalisme » et non d'un combat antiraciste fragmenté. C'est pourquoi il faut absolument combattre l'antisémitisme mené au nom de l'islam.

Enfin, et peut-être surtout, le djihadisme a une dimension religieuse : il doit donc être combattu avec des arguments religieux.

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