Bien sûr, tout doit être fait pour permettre à chacun de se tenir debout et sans aide face aux vicissitudes de la vie. Je pense aussi que la perte de contrôle est un mal considérable de nos sociétés occidentales. Il existe des livres scientifiques d'un grand intérêt sur ce sujet.
Cependant, les limites sont là aussi incertaines. Nous pourrions aller, en vous suivant totalement, jusqu'à refuser les antidépresseurs...
Grand Rabbin Haim Korsia. - Les limiter un peu ne ferait pas de mal en effet !
Cela peut aller loin : nous pourrions interdire la télévision -j'y serais assez favorable- dont on sait qu'elle a un impact particulier sur le cerveau des petits. C'est un facteur connu de perte de contrôle favorisé par la rapidité des stimulations lumineuses des émissions, dont le nombre a été multiplié par dix en dix ans.
Je n'emploie jamais le terme « tomber amoureux », préférant celui de « monter amoureux ». Quand on « monte amoureux », on perd également un peu le contrôle de soi : vous n'allez pas l'interdire...
Grand Rabbin Haim Korsia. - Je le conseille : les rabbins sont de grands marieurs !
C'était pour finir par une pirouette !
Grand Rabbin Haim Korsia. - Je n'y avais jamais pensé mais vous avez cent fois raison. Jusqu'à présent, seule une formule de la langue française ne me convenait pas. J'en vois maintenant deux.
D'une certaine manière « tomber amoureux » signifie que l'on perd son contrôle : on n'est plus debout ! L'autre formule qui me gêne, c'est celle de « tomber d'accord ». Incarner cette rencontre pas une chute est inexact.
Dans l'expression « tomber enceinte », l'idée de chute n'est guère sympathique non plus -mais le rabbin que vous êtes ne sera pas d'accord !
Grand Rabbin Haim Korsia. - En tout cas, ce n'est pas une maladie !
Je ne supprimerai toutefois pas la télévision mais il est de la responsabilité des parents de ne laisser leurs enfants entrer dans aucune addiction.
J'ai une chance formidable, celle de respecter le shabbat. Je ne fume pas mais si je fumais, il y aurait un jour par semaine durant lequel je ne pourrais le faire. Dans la mesure où je suis capable de me contrôler un jour, je suis potentiellement capable de me contrôler tout le temps !
Durant le shabbat, je n'utilise ni téléphone, ni voiture. Je retrouve mon humanité : je vais là où mes pieds peuvent m'amener. J'ai écrit un ouvrage sur la bioéthique intitulé « L'homme démultiplié ». J'ai le sentiment que notre époque cherche à démultiplier l'homme.
Certes, il existe des éléments qu'il convient de pondérer, comme la télévision mais pourquoi la France est-elle le pays qui consomme le plus d'antidépresseurs en Europe ? Probablement manque-t-on de cette capacité à créer du lien. Je maintiens qu'entrer dans la drogue dure est une forme d'isolement absolu. Je travaille actuellement avec des universitaires sur le suicide dans les armées, qui frappe durement la communauté militaire. L'armée se construit sur le concept de fraternité d'armes. Or, le suicide est le signe de la non-fraternité et du fait qu'on n'a pu trouver quelqu'un à qui parler. La drogue est aussi un signe important de désocialisation et d'absence de contacts.
Quoi qu'il en soit, il me semble, bien que n'étant pas médecin, qu'il faut être capable de diminuer les doses d'antidépresseurs et de se retrouver soi-même.
Je ne suis pas dans une sorte d'angélisme qui consiste à dire que l'homme doit souffrir. Il n'existe pas d'idéalisation du martyre dans le judaïsme. On a assez donné ! Evitons la souffrance mais n'occultons pas une part de notre humanité en recourant à la drogue.
On pâtit, dans l'image collective, de cette idéalisation de la fumerie d'opium. Elle est totalement fausse et à l'opposé de la réalité sordide que peuvent vivre des jeunes et des moins jeunes de tous milieux. J'ai connu cela de près et je puis vous dire que cela amène une déchéance à laquelle on ne peut rattacher aucun romantisme !