Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 18 juin 2020 à 9h30
Audition de M. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

Je suis très heureux de venir devant votre commission. Il s'agit d'un sujet très important, et il est de mon devoir de rendre compte de mon action devant la représentation nationale. Ce débat ne doit pas être mis sous le boisseau : il doit faire l'objet de débats et d'approfondissements. Affirmer les valeurs de la République est au coeur de la mission de l'école. L'école doit transmettre des savoirs, mais aussi des valeurs. Lorsque je rappelle qu'à l'école primaire on apprend à lire, à écrire, à compter et à respecter autrui, cette dernière dimension est très clairement assumée dans la mission de l'éducation nationale. Liberté, égalité, fraternité et laïcité doivent être la boussole de nos actions.

Les principes intangibles des Lumières sont à l'origine de l'école de la République : l'école de la République est fille des Lumières. À chaque fois qu'elle s'en éloigne, elle s'éloigne d'elle-même. Je n'ai jamais rencontré de réelle opposition à l'affirmation de ces principes. Car cette clarté est source de sérénité. L'ensemble du personnel de l'éducation nationale - professeurs, chefs d'établissement, personnels des rectorats - est mobilisé pour prévenir, détecter et agir contre la radicalisation. Nous sommes conscients de l'ampleur du phénomène et nous ne mettons jamais les problèmes sous le tapis, malgré certains soupçons à notre endroit. Cette nécessité de faire la pleine lumière sur tous les comportements qui vont à l'encontre des principes de la République est au coeur de la politique que je mène depuis trois ans.

Dès 2017, à mon arrivée au ministère, j'ai créé le Conseil des sages de la laïcité, sous la présidence de Mme Dominique Schnapper et dont les membres sont issus de différents milieux. Nous consultons ce conseil sur les enjeux liés à la laïcité et à la lutte contre toute forme de radicalisation religieuse et il nous a permis d'élaborer un vade-mecum sur la laïcité.

Pour faire barrage à la radicalisation, nous avons développé un important corpus législatif et réglementaire. En tout premier lieu, le Parlement a adopté la proposition de loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat, dont l'auteur est votre collègue Françoise Gatel. J'ai soutenu sans aucune réserve cette proposition de loi qui venait combler un angle mort de notre arsenal juridique. Il était en effet nécessaire de renforcer notre dispositif de contrôle sur l'ouverture et la fermeture de ces établissements. Sur la base de la loi « Gatel », en 2019-2020, nous avons ainsi procédé à 427 contrôles, contre 174 en 2013. Notre taux de contrôle s'établit ainsi à 98 %, alors même que nous sommes dans une année pour le moins perturbée. Cette loi me permet, ainsi qu'aux recteurs, de nous opposer à l'ouverture d'un établissement : c'est ainsi que, à la dernière rentrée, je me suis opposé à 27 ouvertures, sur un total de 212 déclarations, alors que, en 2017, il n'y avait eu que 7 refus d'ouverture pour 185 déclarations.

Les années 2010 ont connu une très forte augmentation du nombre des demandes d'ouverture d'écoles hors contrat. Cela recouvre pour l'essentiel des situations tout à fait acceptables, car il y a aussi du dynamisme pédagogique - ne diabolisons pas le hors contrat -, mais nous devons rester très vigilants sur les qualités éducatives et les risques de radicalisation islamiste ou de dérive sectaire.

Un deuxième cran de durcissement législatif a eu lieu avec le vote de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, qui a permis de renforcer le contrôle de l'instruction à domicile. En effet, l'instruction à domicile a également connu une certaine envolée au cours des années 2010. Les modalités de contrôle ont été facilitées et les sanctions en cas de non-respect des obligations légales ont été renforcées. L'article 10 de cette loi, introduit par amendement parlementaire, interdit tout prosélytisme aux abords des établissements scolaires. Cette disposition n'a pas encore atteint tous ses objectifs, mais elle aura certainement des vertus et pourra servir de point d'appui à de futures actions. Nous devons rester vigilants sur tout ce qui se passe dans la classe, dans l'établissement, mais aussi aux abords de l'établissement.

Pour répondre à ces enjeux, nous avons mis en place une organisation opérationnelle. Le vade-mecum de la laïcité a été élaboré dans l'objectif d'être concret et évolutif. Il permet fermeté et adaptation. Il doit aussi guider nos politiques de formation aux enjeux de la laïcité : nous les avons développées et systématisées dans le cadre de la formation initiale de nos professeurs. C'est aussi l'un des apports de la loi pour une école de la confiance.

Les faits doivent être signalés et les signalements facilités. Les signalements pour les faits les plus graves et les situations sensibles sont donc remontés chaque jour auprès du secrétariat général du ministère via un numéro d'urgence, une adresse électronique dédiée et une application utilisée par les chefs d'établissement et les directeurs d'école. Depuis le début, mon message a été que tous les personnels devaient pouvoir signaler ces faits : c'est pourquoi il existe un formulaire en ligne qui permet de saisir les services académiques sans passer par la voie hiérarchique.

Depuis deux ans et demi, chaque rectorat de France est doté d'une équipe « Valeurs de la République » pluridisciplinaire qui vient en appui des établissements à chaque fois qu'un personnel de l'éducation nationale estime que l'on a contrevenu aux principes de notre République. Cette équipe intervient auprès des équipes pédagogiques ou des familles, à distance ou sur place dans l'établissement, jusqu'à ce que le problème trouve une solution. Elle peut proposer un plan d'action et opère en partenariat étroit avec le ministère de l'intérieur et la justice le cas échéant. Lorsqu'un personnel de l'éducation nationale est suspecté de radicalisation, l'examen du dossier est conduit par la direction générale des ressources humaines (DGRH) du ministère, ainsi que par le service de défense et de sécurité du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS), en lien avec le ministère de l'intérieur. Une procédure disciplinaire peut être enclenchée et un signalement opéré auprès du procureur de la République. Plusieurs radiations de la fonction publique ont été prononcées sur cette base. Les risques de radicalisation sont multiformes : nous nous donnons donc les moyens en termes administratifs et de ressources humaines pour y faire face.

Même si nous pouvons encore nous améliorer, nous avons désormais un état d'esprit très clair sur cet enjeu : auparavant, certains pensaient que ces faits relevaient d'une forme de fatalité. Aujourd'hui, c'est la République qui est forte et qui affirme clairement, fièrement, sereinement ses valeurs et qui permet aux élèves de grandir sans pression. Si un membre du personnel éprouve un sentiment de solitude face à de tels problèmes, les équipes « Valeurs de la République » et le système d'alerte sont là pour rompre cette solitude et permettre un travail d'équipe. Notre institution est forte d'un million de personnels, au service de 12 millions d'élèves et des principes fondamentaux de notre République.

Je suis particulièrement attentif aux risques de radicalisation à la sortie de la crise que nous venons de traverser. La tentation de la radicalisation se renforce quand la jeunesse s'éloigne de l'école. C'est tout l'enjeu actuel du retour à l'école, avec l'invitation qui est faite aux élèves de raconter ce qui s'est passé pendant le confinement. Nous devons redoubler d'efforts pour lutter contre le décrochage scolaire. La dimension éducative et sociale de notre action est importante.

Nous allons également développer les dispositifs d'appui. Le projet « Vacances apprenantes » répond à cet objectif. Avec mes collègues Julien Denormandie et Gabriel Attal, nous avons annoncé un plan doté de 200 millions d'euros pour le dispositif « École ouverte » en juillet et en août, qui sera renforcé par rapport aux années précédentes : des écoles, des collèges et des lycées resteront ouverts pendant l'été afin d'offrir des colonies apprenantes à 250 000 jeunes, dont 200 000 issus des quartiers prioritaires de la ville (QPV). Au total, un million de jeunes seront concernés par nos dispositifs « Colonies apprenantes », « École ouverte », « École ouverte buissonnière », etc. Ces séjours seront éducatifs : nous allons renforcer leur dimension tournée vers la culture, le sport, le développement durable et les activités de nature, mais il y aura aussi de l'éducation civique et des moments d'apprentissage stricto sensu. Nous allons également élaborer avant l'été un nouveau vade-mecum sur le respect de la laïcité dans les accueils collectifs de mineurs. Les valeurs de la République doivent en effet être respectées dans tous les temps éducatifs et il faut qu'il y ait de la cohérence entre les temps scolaire et périscolaire de l'enfant. Ce n'est pas un hasard si ce ministère est désormais un ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. Nous devons travailler avec les associations d'éducation populaire, les collectivités territoriales, mais aussi les familles, pour avoir une vision globale du temps de l'enfant. Le « plan Mercredi » participe de cette logique. Afin de permettre le rattrapage scolaire qui sera nécessaire pour certains enfants, il devrait également y avoir plus de dispositifs « Devoirs faits » et de possibilités d'activités sportives et culturelles en dehors du temps scolaire à la rentrée 2020. Nous devons habiter ce sujet, avec des associations de qualité et non pas des associations prosélytiques dont le but n'est pas l'épanouissement de l'élève, mais le séparatisme.

J'ai bien évidemment été très étroitement associé aux travaux préparatoires du plan de lutte contre le séparatisme islamiste que le Président de la République a commencé à élaborer au début de l'année 2020. La mise en confinement a retardé la mise en oeuvre de certaines actions, mais nous allons accomplir pleinement ce plan. Notre objectif est que les valeurs de la République soient renforcées et deviennent naturelles dans la vie quotidienne de nos élèves.

Avec l'ensemble du ministère, je suis très mobilisé sur ces questions.

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