Intervention de Gabriel Attal

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 19 juin 2020 à 10h30
Audition de M. Gabriel Attal secrétaire d'état auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

Je vais, dans mon propos liminaire, revenir sur la vision politique qui est la nôtre sur les problèmes évoqués.

Je partage vos observations. S'agissant de cette question du séparatisme, sur laquelle le Président de la République s'est exprimé à plusieurs reprises depuis le début de l'année, notamment dans son intervention de dimanche dernier, les associations sont, à la fois, une partie importante du problème et une partie de la solution.

Le 18 février dernier, à Mulhouse, le Président de la République a exposé le cadre de notre stratégie. Celle-ci repose sur quatre lignes de force : reprendre le contrôle et lutter contre les influences étrangères ; favoriser une meilleure organisation du culte musulman en France ; lutter avec détermination contre toutes les manifestations du séparatisme islamiste ; ramener la République dans les quartiers.

Dans ce combat, la question associative est centrale.

En effet, l'essentiel des structures oeuvrant à la désintégration républicaine et au séparatisme le fait sous couvert d'un statut associatif à l'objet dévoyé. Il faut donc prendre des mesures afin que la grande loi porteuse de liberté que constitue la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ne soit pas détournée.

Mais c'est aussi une question centrale parce que le séparatisme se nourrit, dans certains quartiers, de l'absence d'offres alternatives dans le champ social, culturel, sportif ou sanitaire. À cet égard, nous avons besoin des grandes associations de l'éducation populaire, laïque et républicaine pour prolonger l'action publique et porter un discours d'inclusion exigeant et généreux.

Je commence par le premier point, c'est-à-dire la lutte contre les dérives séparatistes dans les associations.

La loi de 1901 figure parmi les principes fondamentaux des lois de la République : c'est un des grands actes démocratiques que nous a laissés la IIIe République, fruit d'un long processus de conquêtes sociales et de liberté au cours du XIXe siècle. Depuis 1971, elle a valeur constitutionnelle et elle est reconnue par de multiples traités internationaux. Nous ne pouvons donc agir aveuglément contre ce pilier. Le problème n'est pas la loi ; c'est son dévoiement !

Le sujet qui nous occupe ne doit pas non plus être confondu avec celui de la laïcité. La liberté d'association constitue une garantie de la liberté de penser, de s'exprimer, de débattre, d'émettre des opinions. Elle peut donc tout à fait s'inscrire dans un cadre religieux, ce qui est le cas au travers des associations cultuelles. Il faut donc insister sur le fait que le lien entre une association loi 1901 et une communauté religieuse n'est pas en soi problématique et l'on peut citer, à titre d'exemple, le scoutisme, le Secours catholique ou encore l'Union des étudiants juifs de France.

Comment les pouvoirs exécutif et législatif peuvent-ils agir ?

L'islam politique cible les enfants et, de manière large, les jeunes. Il faut donc porter une attention particulière aux associations accueillant des mineurs, du fait de la fragilité de ces publics, d'une part, et de la légitimité de l'État à agir pour la protection des enfants et leur émancipation, d'autre part.

J'insiste sur ce point car, à l'occasion de déplacements dans des quartiers de reconquête républicaine, j'ai pu constater que certaines associations accueillant des enfants parvenaient à embrigader des familles, à travers des produits d'appel comme l'aide aux devoirs ou l'enseignement de l'arabe.

Dans le questionnaire que vous m'avez adressé, vous insistez beaucoup sur les contrôles et obligations auxquels nous soumettons les associations d'accueil collectif de mineurs. Le problème ne vient pas tant de ces structures que de celles qui accueillent des enfants sans en avoir le statut ni les obligations afférentes.

J'ai ainsi été frappé, en prenant mes fonctions ministérielles, de découvrir que n'importe quelle structure pouvait déposer des statuts associatifs en préfecture, puis accueillir des dizaines de mineurs sans aucun contrôle préalable des personnes intervenant en leur sein. Cela explique que je sois favorable à un contrôle plus étroit de toutes les associations accueillant des mineurs, y compris celles qui n'ont pas ce statut au sens administratif du terme. On pourrait exiger, par exemple, le dépôt d'une déclaration spécifique, incluant la liste de leurs intervenants, avec un contrôle d'honorabilité via le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) et le fichier des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT). Pourrait être conditionné à ce contrôle l'octroi de subventions publiques.

En outre, nous devons conditionner le soutien public, en prenant appui sur la charte d'engagements réciproques entre l'État, le mouvement associatif et les collectivités territoriales, signée en 2014, par laquelle les associations s'engagent à respecter et faire respecter les règles de fonctionnement et de gouvernance démocratiques, de non-discrimination, de parité et la gestion désintéressée conforme à l'esprit de la loi de 1901.

L'engagement à respecter cette charte figure dans le formulaire de demande de subventions publiques auprès de l'État et de ses établissements (CERFA n° 12156*05) dont nous pourrions rendre l'utilisation obligatoire par toutes les autorités administratives, notamment les collectivités territoriales.

Le soutien public, parfois, ne prend pas la forme d'une subvention directe. Il faudrait, par exemple, prévoir qu'un formulaire reprenant ces mêmes principes soit obligatoirement rempli en cas de prêt de salle ou de matériel relevant de la responsabilité de l'État ou d'une collectivité territoriale.

En cas de non-respect de la charte, je suis favorable à l'application stricte de sanctions. Dans ce cadre, nous pourrions envisager que, dans le cas où le maire ne serait pas disposé à remplir le formulaire, le préfet puisse imposer la restitution de la subvention ou annuler l'octroi de l'aide matérielle. Une telle reprise en main par le préfet pourrait aider les élus locaux, face à une éventuelle pression locale.

Il me semble également nécessaire d'assurer un meilleur contrôle des pratiques des associations, et ce, afin d'intervenir au plus vite. Il faut notamment supprimer les délais de prévenance, qui laissent le temps à certaines associations de masquer leur activité réelle, et favoriser les contrôles inopinés. Pour cela, il faut instaurer une règle commune à l'ensemble des inspections et favoriser une coordination entre les services de renseignements et les services chargés des associations, notamment dans les quartiers de reconquête républicaine et les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Je m'interroge aussi sur la nécessité de permettre aux citoyens eux-mêmes, ceux qui souffrent en silence par peur de représailles, de nous aider à identifier les associations problématiques. À l'image de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), nous pourrions imaginer une plateforme internet ou un numéro de téléphone permettant de déclarer des activités associatives suspectes.

Enfin, il faut renforcer les outils permettant de suspendre les activités ou de dissoudre les associations. Même en présence d'un faisceau d'indices explicites, il est impossible de refuser a priori la création d'une association, de ralentir ses démarches ou de la dissoudre, et une dissolution n'empêche absolument pas de faire revivre la même structure en créant une autre association. Certaines d'entre elles parviennent ainsi à vivre plusieurs mois avant que l'on mette fin à leurs activités, comme l'association Les soldats dans le sentier d'Allah, dissoute en conseil des ministres le 26 février 2020, au terme d'une démarche de deux ans.

En la matière, nous pourrions nous inspirer des dispositions prises pour les associations de hooligans et travailler sur de nouveaux critères de dissolution.

Le deuxième point de mon intervention concerne les associations d'éducation populaire et de proximité, qui doivent être davantage soutenues. Les territoires où prospère le séparatisme, notamment islamiste, sont aussi souvent ceux où la République a cédé le pas ; nous avons besoin des grandes associations pour réinvestir ces territoires marqués par la déscolarisation et une offre culturelle réduite, éléments favorables au repli communautaire.

L'objectif de la création des quartiers de reconquête républicaine est justement de remettre la République au coeur de ces territoires. Au-delà des moyens supplémentaires alloués aux forces de sécurité, cette reconquête doit s'incarner de manière globale par un retour de l'État sur l'ensemble du champ des politiques publiques : le social, l'emploi, l'aménagement urbain... Pour atteindre ces objectifs essentiels à la cohésion nationale, l'éducation populaire et le tissu associatif sont des leviers très importants qui ont longtemps été sous-estimés.

Dans ces quartiers, l'espace public est parfois confisqué par les trafics et les femmes en sont progressivement exclues. Il est donc urgent de renforcer ou de faire émerger les acteurs associatifs capables de créer l'éducation populaire du XXIe siècle. Les associations, par leur connaissance fine du terrain et la proximité naturelle entre les bénévoles et les bénéficiaires, ont une expertise nécessairement différente de celle des collectivités locales et de l'État. Leur capacité d'agir est complémentaire de celle des acteurs institutionnels et nous devons mettre en place une stratégie coordonnée.

Les grandes associations nationales d'éducation populaire, que le Président de la République a réunies à l'Élysée en début d'année, disposent de ressources humaines compétentes et leur positionnement dans le tiers-secteur est un gage de confiance pour les acteurs locaux. Un accord pourrait être signé avec elles pour mettre en place un programme spécifique dans les quartiers de reconquête républicaine ; l'État les mandaterait pour y créer une dynamique d'éducation populaire.

En conclusion, nous avons besoin, sur ces questions, de pragmatisme. C'est par des mesures concrètes que nous lutterons efficacement contre les discours de haine et contre le séparatisme qui est souvent plus politique que religieux. Nos actions doivent être à la fois massives et millimétrées. Chaque quartier doit redevenir un territoire de la République. Chaque jeune doit pouvoir, au pays de Voltaire et d'Aimé Césaire, prendre son destin en main. Chaque association doit oeuvrer au bien commun et au vivre ensemble.

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