Intervention de Andrew Wyckoff

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 25 mars 2014 à 14h35
Audition de M. Andrew Wyckoff directeur de la science de la technologie et de l'industrie à l'organisation de coopération et de développement économique ocde

Andrew Wyckoff :

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est un honneur de pouvoir m'exprimer ici à propos du sujet sur lequel je vous remercie de vous pencher.

Ma présentation sera divisée en cinq parties.

La première portera sur les évolutions de l'Internet, et la seconde sur les propriétés économiques qui rendent l'Internet si puissant. Nous ferons également un point sur la nature de l'impact de l'Internet sur la communication et sur les changements réglementaires nécessaires, ainsi que sur l'importance de la confiance. Nous verrons qu'il est très facile de casser la confiance par le biais de l'Internet. Nous ferons enfin un dernier point sur la gouvernance.

Vous avez entendu un certain nombre d'experts avant moi, bien plus qualifiés que je ne le suis d'ailleurs, dont certains des pères fondateurs de l'Internet. Je ne rentrerai donc pas dans les détails, si ce n'est pour rappeler que l'Internet est un réseau de réseaux, comprenant 45 000 réseaux. C'est une des parties de l'économie qui a le mieux résisté à la crise. Il s'agit d'une plate-forme d'innovation dont on a encore du mal à réaliser la puissance.

Tout a commencé avec un groupe de scientifiques. Aujourd'hui, près de 3 milliards de personnes s'en servent, et l'on est en train de passer à une nouvelle étape avec l'Internet des objets. Une famille avec deux enfants a, en moyenne, près de dix appareils connectés à l'Internet ; d'ici dix ans, on pourrait compter cinquante appareils connectés par foyer ! L'impact et l'influence sur notre vie quotidien est très important. Les gouvernements ont besoin de comprendre comment cela fonctionne, de la même manière qu'ils ont besoin de comprendre le fonctionnement de l'industrie bancaire ou des autoroutes.

Il faut également bien comprendre les paramètres économiques de ce système. C'est une analyse sur laquelle l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) se penche depuis près de vingt ans. Quelles sont ces propriétés économiques ? On est passé d'un réseau fixe, en 1997, à un réseau principalement mobile, ce qui a changé la nature de l'Internet et la façon d'interagir avec lui.

Nous connaissons tous le commerce électronique. Les chiffres de celui-ci ont doublé en quelques années. Les gens sont de plus en plus attirés par les achats en ligne -Trois Suisses, ventes privées... D'une manière générale, on a jusqu'à seize fois plus de choix grâce à l'Internet et, très souvent, les prix sont inférieurs. Aux États-Unis, c'est le cas pour cinquante catégories de produits, et nous pensons que c'est une tendance de fond. Les jeunes de vingt à trente ans sont nés avec l'Internet, et ont l'habitude d'y acheter des produits, de plus en plus à partir d'appareils mobiles.

Une autre propriété importante de l'économie numérique réside dans la dimension que les entreprises peuvent avoir, sans qu'il y ait forcément des bâtiments, ou des hommes et des femmes derrière : regardez le peu de capital humain dont on a besoin pour avoir une véritable présence internationale ! Ceci se retrouve dans plusieurs modèles économiques.

Il est intéressant de considérer le revenu généré par employé. Le chiffre d'affaires d'une entreprise comme Google, qui compte 45 000 salariés, est de 50 milliards, soit près d'un million de dollars américains par salarié ! Il en va de même pour Facebook, qui gagne par salarié huit fois plus que la moyenne des entreprises américaines. Ceci a des implications à l'échelle commerciale, en matière de réglementation, mais aussi sur le plan fiscal. Il existe également des micro-multinationales, petites entreprises qui deviennent internationales du jour ou lendemain. Tout ceci est bien sûr en lien avec la question de la présence physique et de l'emploi.

Lorsque nous avons commencé à travailler sur le sujet, en 1998, on parlait d'entreprises numériques. Cela a moins de sens aujourd'hui. Les choses ont évolué. Tous les secteurs touchent à l'Internet, qu'il s'agisse de l'enseignement, du secteur médical, ou d'entreprises comme General Electric. Toutes ces activités sont en fait numériques. En matière de politique publique, les implications peuvent aussi aller bien au-delà des technologies de l'information et de la communication.

L'évolution vers une économie numérique va changer beaucoup de choses en matière de marché du travail. Certains emplois vont disparaître, d'autres vont apparaître, avec des besoins en compétences différents. C'est ce que l'on voit d'après nos données. Les deux tiers des adultes n'ont actuellement pas les compétences requises ; or, l'on sait qu'il faut environ dix ans pour préparer le marché du travail, reconnaître les signaux du marché et acquérir les compétences ! Ce manque est, je pense, un élément très important, qui devra tôt ou tard être pris en compte, afin de conduire les changements structurels qui s'imposent.

Un autre point important réside dans le fait que les gouvernements doivent intégrer l'économie numérique dans tous les domaines -échanges commerciaux, entreprises, politiques fiscales, travail, emploi, compétences.

Par ailleurs, l'économie numérique appelle une infrastructure numérique. Le haut débit est absolument essentiel, et je dois dire que la France fait très bien dans ce domaine. La concurrence, que nous applaudissons, a permis, dans ce pays, de baisser les tarifs, et je pense que la France est un des marchés les plus porteurs en matière de bande passante, juste derrière la Corée du Sud. Des améliorations sont à apporter dans chaque pays, et le rôle de la fibre peut être conséquent.

Il est important de garder les marchés ouverts et concurrentiels. Ceci implique d'abaisser les prix d'accès, afin que chacun puisse en bénéficier. Il faut aussi faciliter les usages, comme le « roaming », par exemple, c'est-à-dire l'utilisation de ses appareils où que l'on soit. Il faut également veiller à la réglementation, à l'heure de la convergence, et de l'Internet des objets, notamment en matière de communication entre machines.

La question politique de l'ouverture d'Internet demeure. Il faut stimuler les investissements en faveur des réseaux à haut débit, mais également surveiller les entreprises, qui sont au centre de l'Internet : elles doivent être contrôlées, car les investissements sont importants. Des modèles économiques existent. Que ce soit dans les pays scandinaves, aux Pays-Bas, ou en Corée du Sud, les investissements dans les réseaux se font avec des visions à long terme, voire à très long terme. Nous pourrons y revenir dans le cadre de notre discussion, si vous le souhaitez...

Si certains pays semblent avoir fait des efforts, d'autres auraient tendance à ralentir le développement de l'Internet, en recourant à des modèles où les développeurs de contenu doivent également payer.

Notre dépendance vis-à-vis de l'Internet augmente également notre vulnérabilité. Ceci appelle davantage de sécurité. À l'OCDE, nous travaillons sur des standards, des normes. L'ère pré-Internet remonte aux années 1970 ; dans les années 1980, nous avons adopté le premier document concernant la confidentialité et la protection des données. Celui-ci a été révisé en juillet. Nous travaillons sur ces sujets depuis de nombreuses années.

La question de la sécurité est un sujet critique. On sait depuis de nombreuses années qu'il s'agit d'un point faible : la fuite ou la perte de données sont possibles, avec tout l'impact que cela peut avoir sur les consommateurs. On enregistre de plus en plus de plaintes au titre du non-respect de la confidentialité ou de la sécurité. Ce sont des problèmes de très grande envergure. Ainsi que vous le savez certainement, 40 % de la population sud-coréenne a déjà été affectée par ces problèmes. Une trentaine de dirigeants ont d'ailleurs démissionné. Un scandale a également eu lieu aux États-Unis autour de Target, un acteur de la grande distribution, un nombre très important de consommateurs ayant vu leurs données personnelles piratées. Ceci a eu un impact de près de 25 % sur le chiffre d'affaires de l'entreprise !

La sécurité est absolument indispensable, et constitue l'un des fondamentaux de l'économie numérique. Il faut protéger la confidentialité et l'identité, mais également les repenser. C'est ce que l'OCDE est en train de faire. Ceci me renvoie vers le « big data » : il est important d'informer un minimum les consommateurs et leur fournir une certaine protection lorsque des transactions ont lieu.

La cinquième partie de ma présentation abordera la question des politiques de l'Internet et de sa gouvernance, qui constituent un sujet complexe. Ainsi que je vous le disais, nous travaillons sur des standards et sur des normes depuis au moins deux décennies. Nous avons étudié différentes problématiques juridiques, réglementaires et techniques, mais aussi l'éducation, la sécurité des infrastructures, les informations critiques, la protection des données. Nous avons donc une expérience importante, et avons toujours oeuvré avec de nombreuses parties prenantes. Cela a toujours été notre principe depuis le début de nos travaux, en 1998, à Ottawa.

La plupart des résultats de nos travaux sont non contraignants, mais permettent une meilleure coordination internationale. Établir des principes n'est jamais simple. Il s'agit d'un processus complexe, qu'il est important de réaliser avec les différentes parties prenantes ; nous avons ainsi pu mettre en place des instruments juridiques. Aujourd'hui, nous disposons d'un cadre qui nous permet de bénéficier d'une certaine gouvernance. Après la réunion de Séoul en 2008, j'ai participé à Paris, en 2011, à une réunion avec un certain nombre de pays non membres - Lituanie, Colombie, Costa Rica, etc. - qui ont adopté les « Internet principles », les principes des politiques sur Internet élaborés par l'OCDE.

Ce qui était alors un petit secteur est aujourd'hui en passe de devenir une véritable économie. Lors de la réunion de Paris, en 2011, nous avons véritablement commencé à réfléchir à une approche philosophique commune. Une autre réunion ministérielle aura lieu début 2016, à Mexico. On y travaillera sur la gouvernance, mais également sur l'emploi.

L'Internet jouant un rôle de plus en plus important dans nos vies, il n'est pas surprenant que les gouvernements s'intéressent à sa gouvernance. Je pense que les principes de 2011 constituent un bon cadre pour débuter cette réflexion.

L'Internet est décentralisé et ouvert. Un certain nombre de réunions sont prévues cette année à São Paulo avec le NETMundial, à Istanbul où se réunira en septembre l'Internet Governance Forum (IGF), et à Busan en octobre pour l'IUT. Les annonces récentes, aux États-Unis, de la National telecommunications and information administration (NTIA), mettant fin aux relations contractuelles avec l'ICANN, vont conduire à la création d'une nouvelle entité, sans que l'on sache de quoi il va s'agir.

Il existe actuellement quelques incertitudes dans ce domaine. Nous suivons bien évidemment tout cela de très près. Nous sommes un acteur important de tous ces événements et de toutes ces évolutions. Nous avons soumis une contribution au NETMundial ; nous le mettons à votre disposition. Notre secrétaire général travaille également sur la gouvernance, et va assurer le suivi de la réunion de São Paulo.

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