Effectivement, je travaille des deux côtés de l'Atlantique et je peux vous parler de deux sujets en particulier : la neutralité du réseau, et la législation américaine en matière de surveillance.
Qu'est-ce que « la neutralité de l'internet » ? C'est essentiellement le fait que l'information y circule en toute transparence, sans intervention qui en censurerait ou en orienterait le contenu ; cependant, cette neutralité n'est pas absolue, il y a des exceptions, des raisons légitimes d'interdire des contenus - et ce sont ces exceptions qui délimitent ce qu'on appelle la neutralité, toujours relative, d'Internet. Trois grandes raisons peuvent conduire les autorités à bloquer le réseau. Premièrement : la protection du réseau lui-même, lorsque des flux trop importants le menacent, par exemple - ce type de blocage, temporaire, n'est pas controversé. Deuxièmement : les discriminations commerciales, la possibilité pour un acteur de privilégier un service sur un autre - une sorte d'entente entre un fournisseur d'accès et une entreprise ou un type de service, pour présenter ce service, le référencer, le mettre en avant... Ce type de discrimination n'est pas interdit en Europe, mais elle est « bordée » par le droit de la concurrence : il ne faut pas que la discrimination porte atteinte à la concurrence, c'est ce garde-fou qui peut éviter de devoir adopter une régulation spécifique. Enfin, troisième raison pour les autorités de bloquer des contenus : des objectifs de politique publique, par exemple la lutte contre la pédopornographie, contre le racisme et l'antisémitisme, contre les paris en ligne... C'est ici que les choses deviennent très controversées. Dans sa communication sur la gouvernance de l'Internet, la Commission européenne parle de la protection des droits fondamentaux, mais c'est un sujet très sensible, parce que ces droits varient, à tout le moins sont-ils interprétés différemment selon les sociétés - sous le régime du premier amendement américain, par exemple, des restrictions parfaitement admises en Europe ne seraient pas acceptables, au nom de la liberté d'expression. Les Etats-Unis craignent qu'on ouvre ici une véritable boîte de Pandore, où chaque Etat avancera ses raisons légitimes de bloquer des contenus ou des accès, au risque de balkaniser Internet. L'OCDE a du reste conduit une réflexion sur les intermédiaires techniques d'Internet et les objectifs de politique publique - mais elle a décidé de ne pas communiquer les résultats de ses travaux, par manque de consensus... Des notions comme le droit à l'oubli, par exemple, sont très controversées : en Espagne, un tribunal vient de décider que Google a l'obligation de déréférencer des pages à la demande des personnes mentionnées, ce qui revient à faire de cette entreprise le gardien du droit à l'oubli : cette affaire est en appel devant la CJUE, elle provoque un débat passionné. Autre exemple, l'exception culturelle fait consensus en France, au point d'inspirer des mesures de « neutralité préférentielle » bien peu orthodoxes - le rapport Lescure, par exemple, suggère la signature de conventions avec les sites qui s'engagent à contribuer à la culture française.
Quand bien même ces « arrangements » ou ces restrictions seraient admis, comment les faire respecter ? Comment les intermédiaires techniques sont-ils appelés à coopérer ? Comment gérer les conséquences techniques du blocage de contenus ou de sites ? Dans quel cadre institutionnel, finalement, la restriction est-elle la plus efficace et la moins dommageable au reste du réseau ?
Plusieurs outils sont mobilisables, avec leurs avantages et leurs inconvénients. Il y a le recours au tribunal : c'est le juge, par exemple, qui ordonne de couper l'accès au réseau d'un site négationniste. Il y a, bien plus fréquente et moins visible, l'autorégulation - qui passe par des normes internes aux entreprises d'Internet, à travers les conditions générales d'utilisation mais aussi des procédures internes d'évaluation des contenus.