Intervention de Pierre Bivas

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 10 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre Bivas président de voltalis

Pierre Bivas, président de Voltalis :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, mon propos portera plus particulièrement sur la production d'effacements diffus, qui concerne l'ensemble des petits consommateurs, résidentiels et professionnels. Votre première question me permettra de distinguer l'effacement diffus de l'effacement chez les industriels, sur lequel je ne m'attarderai pas, mais dont je dirai quelques mots à titre de comparaison.

Pour ce qui est des installations chez les petits consommateurs, dans les habitations, les bureaux et les petites surfaces commerciales, nous installons deux types de boîtiers (M. Bivas montre un boîtier blanc et un boîtier gris) : d'une part, un boîtier de communication nous permettant d'assurer un suivi en temps réel de ce qui se passe sur le site et, d'autre part, un boîtier électrique - le plus important -, qui s'installe sur le tableau à côté des disjoncteurs et autres dispositifs de sécurisation de l'installation électrique du local. Ce boîtier électrique, vous l'aurez compris tout de suite, se trouve donc en aval du compteur - pour l'amont, ce sera le sujet de votre cinquième question -, dans le domaine privé du particulier, dans le logement que nous équipons.

Un boîtier sert à communiquer, l'autre à mesurer et à agir. Le boîtier le plus important est équipé de plusieurs trous permettant de relier des câbles aux différents radiateurs et chauffe-eau du logement, de manière à mesurer distinctement la consommation de chaque appareil. En effet, chacun des départs de ce boîtier comporte un compteur permettant de mesurer la consommation. L'information relative à la mesure est envoyée à ce boîtier, puis est renvoyée en temps réel sur nos serveurs, ce qui nous permet aujourd'hui de suivre en temps réel la consommation de près de un million de radiateurs électriques raccordés et peut-être un jour de dix millions, j'y reviendrai.

L'effacement constitue la seconde fonction de ce boîtier, qui nous permet d'envoyer un ordre, d'ouvrir un relais situé à l'intérieur, c'est-à-dire d'interrompre l'alimentation d'un radiateur ou d'un chauffe-eau pendant dix minutes ou un quart d'heure. Cette opération est insensible pour le consommateur, mais très efficace en termes de régulation électrique, nous y reviendrons ultérieurement. L'arrêt d'un radiateur d'un kilowatt pendant cinq minutes dans un logement est imperceptible pour les habitants, mais si l'on efface simultanément 100 000 appareils, cela représente 100 000 fois un kilowatt, c'est-à-dire 100 mégawatts de puissance que le réseau n'a pas besoin de délivrer et qu'il n'est donc nécessaire ni de produire, ni de transporter.

Vous m'avez demandé de décrire concrètement la façon dont l'effacement est réalisé sur le site. La première phase de notre intervention consiste à installer ce boîtier, par exemple chez les particuliers.

Monsieur le président, puisque vous me permettez de répondre aux questions dans le désordre, je répondrai maintenant pour partie à votre cinquième question.

Notre boîtier, vous l'avez compris, est distinct et complémentaire d'un compteur, quel qu'il soit. Il est donc aussi distinct et complémentaire du compteur Linky, entre autres.

Le compteur se situe, bien sûr, à l'entrée du site, à l'endroit où arrive le câble unique qui alimente l'ensemble du site. Notre boîtier se trouve en aval du compteur, sur le tableau où l'on va au contraire distinguer les différents départs. Ils ne peuvent donc pas se substituer l'un à l'autre, puisqu'il faut avoir cette information détaillée.

Vous l'avez compris, nous effaçons de façon ciblée certains usages. Nous arrêtons le radiateur de la chambre pendant cinq minutes et non pas toute l'électricité du logement. Par exemple, nous n'arrêtons pas la télévision ou l'ordinateur, qui sont si utiles pour suivre notre débat... (Sourires.)

Nous procédons à un effacement ponctuel, très ciblé à la fois dans le temps et sur les appareils les plus gros consommateurs d'électricité que l'on peut arrêter sans gêner les personnes.

Cela nous amène à une autre conséquence, qui est déjà implicite dans l'une de vos questions : nos dispositifs intéressent les foyers chauffés à l'électricité équipés d'appareils qui consomment beaucoup tels que les radiateurs et les chauffe-eau et non pas ceux qui n'ont, par exemple, que l'éclairage et la télévision, sur lesquels il n'y a pas de possibilités d'effacement. Mais leur facture d'électricité est bien moindre et il y a beaucoup moins d'économies à réaliser.

Nous parlons donc des locaux chauffés à l'électricité, soit, en France, 7 millions de logements. Dans le tertiaire, puisque nos boîtiers peuvent aussi équiper des locaux tertiaires - par exemple, des immeubles -, cela représente 40 % du chauffage dans les logements. Par conséquent, chaque fois que j'évoque les logements, vous pouvez multiplier par 1,4 si vous voulez obtenir le potentiel en termes de logement et tertiaire.

Si j'évoque le tertiaire, c'est parce qu'il peut y avoir un chauffage électrique dans un bureau de 100 mètres carrés, et l'on peut de la même façon arrêter le radiateur pendant dix minutes ou un quart d'heure. Ce n'est pas perceptible et cela procure une capacité d'effacement.

J'aborderai maintenant l'effacement dans l'industrie, car il faut bien faire la distinction.

On parle historiquement depuis longtemps d'effacement industriel en France, ce n'est pas un concept nouveau, car le fait d'arrêter une usine consommant plusieurs mégawatts par un simple coup de téléphone à l'opérateur, qui va interrompre le processus, libérera plusieurs mégawatts d'un seul coup. C'est ainsi que, depuis très longtemps, EDF - à l'époque, l'opérateur unique - demandait des effacements à des clients industriels, en particulier dans des périodes de forte tension, parce que 10 mégawatts, 20 mégawatts voire 30 mégawatts captés par-ci par-là sont très utiles pour la sécurité du système.

Ce fonctionnement a un avantage : il suffit d'un coup de téléphone pour arrêter plusieurs mégawatts, alors que, pour l'effacement diffus, il faut envoyer des instructions à des milliers de radiateurs pour qu'ils produisent tous ensemble cet effet.

L'inconvénient de l'effacement industriel est qu'il interrompt le processus industriel, car c'est ce qui consomme beaucoup d'électricité et va donc en libérer beaucoup. L'ennui, c'est qu'arrêter un procédé industriel a un coût considérable, puisque cela perturbe le fonctionnement de l'industrie considérée. Cela peut avoir un sens certains jours où la situation électrique est extrêmement tendue, cela peut même avoir un sens économique pour la collectivité. On demande à l'industriel de décaler sa production, mais il faut bien le dédommager, car tout décalage de production a un coût.

Cet exemple illustre le fait que, globalement, l'effacement industriel apportera peut-être de la valeur au système électrique, mais détruira à l'évidence de la valeur dans l'usine que l'on arrête.

Au contraire, dans le cas de l'effacement diffus, nous arrêtons des radiateurs : c'est insensible, cela produit quelques économies d'énergie chez chacun des consommateurs participant à cette opération, mais cela ne détruit pas de la valeur. C'est donc économiquement et techniquement très différent.

S'agissant des industriels, nous leur demandons s'ils veulent bien interrompre leur process, puisque cela entraînera des perturbations.

Quant aux particuliers, ils sont volontaires pour adhérer chez nous, pour se faire équiper, et ils vont nous laisser gérer sans les déranger ; c'est l'objectif. Nous allons produire des petites économies par-ci par-là en effaçant au moment où cela sert le système électrique.

Votre troisième question porte sur l'agrégateur d'effacement. Il convient, me semble-t-il, de distinguer trois catégories d'acteurs, sachant que nous appartenons à la troisième.

La première catégorie, c'est l'industriel qui s'efface. Il lui suffit d'un coup de téléphone à son fournisseur d'électricité et, moyennant un paiement, il va arrêter son process.

La deuxième catégorie, c'est l'agrégateur d'effacement qui intervient en fait comme un courtier entre des industriels qui acceptent d'arrêter leur processus industriel et le système électrique. Un courtier va passer, par exemple, trente coups de téléphone à trente industriels pour obtenir l'arrêt de la consommation ; il servira d'intermédiaire entre le marché électrique et ces industriels.

Nous appartenons à la troisième catégorie d'acteurs : nous sommes producteurs d'effacement diffus, au sens où nous effectuons les effacements après avoir réalisé les investissements qui consistent à équiper tous ces sites à nos frais et, ensuite, nous pilotons cet ensemble de sites mis en réseau de manière à produire les mégawatts d'effacement diffus.

C'est donc un modèle à la fois technique et économique différent, un modèle de création de valeur pour la société, puisque notre métier repose sur la production d'économies d'énergie. Il est plus sophistiqué de parler de « production d'effacement diffus », mais cette sophistication revient à masquer le premier effet qui est de produire des économies d'énergie et à le compléter par le fait que nous produisons ces économies d'énergie au moment où cela intéresse le réseau, bien sûr, car c'est une alternative à la production d'électricité et à son acheminement sur le réseau.

Votre première question porte sur le potentiel de l'effacement.

Je commencerai par l'historique : l'effacement industriel.

L'effacement industriel a été instauré dans le cadre des tarifs EJP, ou effacement jour de pointe, pour déranger le moins possible les industriels, et seulement sur quelques jours très tendus. Les chiffres enregistrés sont publics : 6 gigawatts de potentiel d'effacement en France tant chez les industriels que chez les particuliers. Ce potentiel s'est considérablement réduit, puisqu'il atteint aujourd'hui moins de 3 gigawatts pour les industriels : lorsque l'on déclenche le signal « jour de pointe », si vous consommez, cela vous coûte très cher : c'est le coup de massue ; et si vous vous effacez, ce que font les industriels, vous évitez ce tarif élevé, mais vous perturbez votre processus industriel.

L'ensemble des industriels qui pratiquent cet effacement permettent d'économiser aujourd'hui 3 gigawatts. C'est une mesure du potentiel de l'effacement industriel.

Une autre mesure peut être donnée par un dispositif plus récent engagé par RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, à la demande des industriels qui ont fait valoir qu'ils disposaient d'un potentiel d'effacement important, qu'ils pourraient apporter au réseau, demandant à RTE de s'y intéresser. Vous le savez, RTE a déjà lancé trois années de suite un appel d'offres pour des capacités d'effacement d'industriels mobilisables en fonction des besoins du réseau, et les capacités obtenues ont été, selon les années, de 200 mégawatts ou 300 mégawatts.

L'ordre de grandeur du potentiel d'effacement industriel est donc certainement de 200 mégawatts ou 300 mégawatts à 2 gigawatts ou 3 gigawatts, à condition de n'utiliser cet effacement que très rarement pour ne pas perturber l'industrie, l'industriel n'ayant pas pour métier de s'arrêter de consommer.

En comparaison, le potentiel de l'effacement diffus peut s'apprécier simplement par rapport au chiffre de 7 millions de logements français chauffés à l'électricité. Si on multiplie ce chiffre par la consommation d'un foyer en hiver les jours de pointe, c'est-à-dire 3 kilowatts, cela fait 21 gigawatts, ou 28 gigawatts si vous multipliez 7 millions par 4 kilowatts.

Prenons le chiffre de 25 gigawatts, qui se situe entre les deux : si vous y ajoutez les 40 % de locaux tertiaires évoqués précédemment, vous dépasserez les 30 gigawatts.

Ce chiffre est certainement ambitieux : il s'agit du potentiel maximal. Retenons que le potentiel atteignable doit être entre 10 gigawatts et 20 gigawatts ; c'est le chiffre qui figure dans le rapport Poignant-Sido sur la maîtrise de la pointe électrique, présenté en avril 2010.

Ces 10 gigawatts à 20 gigawatts sont à comparer aux 200 mégawatts de l'effacement industriel. Ce n'est pas le même ordre de grandeur, l'enjeu est considérable, mais cela nécessite des technologies radicalement nouvelles pour pouvoir piloter simultanément des millions de sites. C'est cela que nous avons l'immodestie de considérer avoir apporté en France avec une technologie française, qui pourrait servir pour le consommateur français et aussi à l'international.

Votre première question porte sur les conditions de succès de l'effacement diffus. Comment mobiliser ce potentiel ?

La première condition est celle de la mobilisation locale et du volontariat de nos adhérents. Tous sont volontaires et sont équipés gratuitement ; c'est nous qui portons l'investissement et ils réalisent des économies d'énergie. On comprend qu'ils soient nombreux, mais il est très important pour nous que ce soient des volontaires qui participent à cette action, au service du système électrique, pour réaliser des économies d'énergie et réduire les factures.

S'agissant de la mobilisation locale, le Pacte électrique breton en est une magnifique illustration : l'État, la région, RTE et d'autres acteurs se sont mobilisés pour organiser une meilleure sécurisation de cette péninsule électrique qu'est la Bretagne. L'une des actions mises en place immédiatement, le jour même de la signature du Pacte électrique breton, a été une convention avec Voltalis pour déployer le plus rapidement possible l'effacement diffus.

L'organisation d'une telle mobilisation est très simple : la collectivité informe le public de l'existence de ce service et nous répondons à la demande. Nous constatons que les collectivités qui l'ont fait suscitent une demande considérable. Nous essayons de nous organiser pour y répondre, en Bretagne et dans d'autres territoires.

Quel est le sens de notre métier ?

Notre but initial était d'apporter une optimisation de la consommation d'électricité pour aider les foyers à réduire leur facture, en particulier les foyers modestes. Je réponds ici à votre deuxième question, sur le bénéfice pour le consommateur.

Le premier bénéfice immédiat de l'adhésion à l'effacement diffus, c'est la diminution de la facture. C'est très simple dans un contexte où, d'une part, il y a nombre de raisons pour lesquelles il faut absolument augmenter les tarifs de l'électricité et où, d'autre part, le pouvoir d'achat de nombreux ménages modestes est sous grande pression. Enfin, ce n'est pas l'État ou les collectivités qui vont combler le hiatus avec de la dépense publique. Proposer un système qui permet aux personnes de réaliser des économies d'électricité et de réduire leur facture nous paraissait intéressant pour la collectivité.

Pour donner un ordre de grandeur, nos boîtiers permettent aux consommateurs d'économiser de 10 % à 15 % de leur consommation, ce qui représente, pour un foyer chauffé à l'électricité, qui a une facture relativement élevée - par opposition à celui qui se chauffe à une autre énergie -, environ 1 500 euros à 2 500 euros par an. Si vous économisez 10 %, cela fait 200 euros d'économies par an, ce qui est déjà significatif pour les foyers modestes que nous équipons gratuitement. Cette économie d'électricité est donc accessible à tous les foyers.

On comprend donc la mobilisation des collectivités pour diffuser cette information et susciter des adhésions. Je voudrais à cette occasion remercier les collectivités avec lesquelles nous travaillons, certaines d'entre elles étant représentées au sein de votre commission. Nous travaillons avec des syndicats départementaux d'électricité, j'ai évoqué une région ; je pourrais également évoquer des villes.

Je prendrai l'exemple de ce que peut représenter l'effacement diffus pour une ville ou un département dont la population s'élèverait, raisonnons en chiffres ronds, à un million d'habitants et qui compterait 300 000 logements. Sur ces 300 000 logements, 100 000 sont chauffés à l'électricité. Imaginons que nous en équipions la moitié, c'est-à-dire 50 000, comme nous l'avons déjà fait. Cela fera d'abord 50 000 installations à réaliser dans ce territoire, soit 50 000 interventions d'électriciens que nous prendrons à notre charge, que nous paierons pour installer ces boîtiers chez les adhérents. Cela représente environ 5 millions d'euros de chiffre d'affaires pour ces électriciens, et c'est de l'emploi local.

En outre, chacun de ces 50 000 foyers économisera 200 euros par an. Au total, cela représente 10 millions d'euros d'économies par an dans ce territoire : c'est beaucoup d'argent !

Enfin, l'équipement de ces 50 000 logements nous permettra de constituer une capacité d'environ 200 mégawatts ; c'est l'équivalent d'une petite centrale, et cela revêt donc un certain intérêt pour le système électrique.

Je décrirai maintenant de manière plus détaillée l'utilisation de notre technique par le système électrique, afin d'essayer de caractériser son impact pour la collectivité.

À titre de transition, je rebondirai sur l'expression smart grids, que vous avez employée tout à l'heure, monsieur le rapporteur. Nous n'avons pas la prétention de créer des smart grids ; peut-être est-ce la préoccupation des opérateurs de réseau ou des sociétés de services en ingénierie informatique, les SSII, qui ont l'intention de développer leur facturation auprès de ces opérateurs de réseau. Notre but est de fabriquer des produits smart for the grids : nous essayons de rendre des services aux réseaux, en agissant sur la partie la plus susceptible d'optimisation, à savoir la consommation. Nos techniques d'optimisation bénéficient donc directement aux consommateurs.

Lorsque l'on efface 200 mégawatts - reprenons ce chiffre -, cela évite de les produire et de les transporter. Cela paraît tout simple, mais c'est ce qui donne toute sa valeur à notre production.

Vous avez soulevé la question du prix de la production à la pointe. De fait, les 200 mégawatts produits à la pointe sont particulièrement importants, car c'est la pointe qui dimensionne l'ensemble de l'infrastructure : c'est en fonction de cette pointe qu'on détermine le nombre de centrales et de réseaux à construire.

Comme vous le savez, en France, la pointe est extrêmement pointue, si je puis dire : 20 gigawatts de puissance appelée pendant seulement 3 % du temps. Cela signifie que l'on consomme les douze derniers gigawatts en treize jours. Ce sont les chiffres de l'année qui vient de s'écouler, au cours de laquelle il a fait très froid, notamment pendant ces quinze jours du mois de février dont tout le monde se souvient. Je dirais même que les sept derniers gigawatts ne sont utilisés que durant sept jours, de manière très ponctuelle, donc. En réalité, seules quelques heures de chacun de ces sept ou treize jours sont concernées : trois ou quatre le matin, une ou deux le soir.

En somme, on construit des centrales ayant la capacité de produire des dizaines de gigawatts - dans mon exemple, 7, 12 ou 20 selon le seuil choisi - et des réseaux permettant de les transporter, alors que ces infrastructures ne sont utilisées complètement qu'une très petite partie du temps.

La solution retenue pour financer ces investissements a été d'en faire supporter le coût aux consommateurs le reste de l'année, d'autant que, dans un environnement de monopole, cela ne se voit pas trop... Pour autant, cela ne signifie pas que cela ne coûte pas très cher ! Construire des centrales de 20 gigawatts pour alimenter la pointe, cela coûte environ 20 milliards d'euros. Peu importe, me direz-vous, puisque ces centrales de pointe ont déjà été construites. Toutefois, ce raisonnement ne vaudrait que si la pointe n'augmentait pas. Or, comme vous le savez, notre pointe est de plus en plus pointue : elle augmente de manière très soutenue, bien plus rapidement que la consommation, puisqu'elle croît d'un peu plus de 3 % par an en rythme moyen sur cinq ans ; cela représente plus de 3 gigawatts d'augmentation par an.

Si nous répondons à ce besoin par la construction de nouvelles centrales et de nouveaux réseaux, il faudra dépenser 5 à 6 milliards d'euros par an, pour des investissements qui ne serviront que quelques heures...

Nous économiserions donc beaucoup d'argent en évitant ces investissements.

Comparons cette solution classique et la solution de l'effacement diffus, afin d'apprécier les bénéfices qu'apporte cette dernière.

La solution classique consiste à augmenter la puissance totale que peuvent produire les centrales disponibles et qui peut être transportée par le réseau de distribution et de transport, afin de disposer de 3 ou 4 gigawatts de plus chaque année ; cela nous coûtera 5 ou 6 milliards d'euros par an, sans aucune rentabilité, puisque les investissements consentis ne servent presque jamais.

La solution alternative consiste à développer notre capacité d'effacement diffus. Pour obtenir 3 gigawatts de plus chaque année, il faudrait équiper un million de foyers tous les ans, ce qui représenterait 400 millions d'euros d'investissements au lieu des 5 ou 6 milliards d'euros que je viens d'évoquer. Le coût pour la collectivité est donc nettement inférieur, et cela constitue un moyen de faire des économies sur les dépenses des opérateurs électriques, qui seront un jour ou l'autre payées par les consommateurs.

Je vous indiquais tout à l'heure que le potentiel était peut-être de 25 ou 30 gigawatts d'effacement diffus en France ; je vous suggérais de diviser ce potentiel maximum par deux, et de ne retenir que 10 ou 15 gigawatts. En s'en tenant là, on peut absorber plusieurs années de croissance de la pointe française. Il y a donc là pour la collectivité une décision d'investissement rationnelle à prendre dès aujourd'hui et pour les prochaines années.

Si vous me permettez d'intervertir à nouveau l'ordre de vos questions, je passerai à la quatrième. Celle-ci porte sur le mécanisme de capacité mis en place par la loi NOME, et les préconisations de RTE et de l'administration dans ce domaine.

Nous considérons qu'il s'agit d'une manière intéressante de traiter la question de la pointe, sujet sur lequel la France est d'ailleurs en avance par rapport à d'autres pays. Le Royaume-Uni nous court derrière, d'une certaine façon, et nos voisins européens font face, eux aussi, à des enjeux de capacité. La France développe un système qui me semble plutôt bien conçu. Nous avons été en avance dans différents domaines du système électrique ; nous pouvons l'être sur le marché de la capacité ; nous pourrions l'être également - j'y reviendrai tout à l'heure - sur celui de l'effacement diffus.

Je voudrais apporter deux réflexions complémentaires concernant le mécanisme de capacité.

Premièrement, la dimension « réseau » n'a pas été vraiment prise en compte dans ce mécanisme. Pour l'instant, on ne s'est intéressé qu'à une obligation de capacité de production. Or, comme je vous l'ai indiqué, il faut aussi dimensionner les réseaux en fonction de la pointe. De ce point de vue, notre capacité d'effacement permet d'éviter à la fois de produire et de transporter, et donc d'économiser des coûts d'investissement en centrales mais aussi en réseaux. Dans le système actuel, cette valeur n'est pas reconnue ; c'est le premier point que je voulais souligner.

Deuxièmement, compte tenu des aspects économiques, sociaux, écologiques et techniques que je viens de mentionner, il y aurait du sens à ce que, à conditions techniques et économiques équivalentes, l'effacement diffus soit systématiquement utilisé, pour la bonne raison qu'il est moins cher et plus propre, sans compter qu'il évite des dépenses aux consommateurs. Je dis bien « à conditions équivalentes », ce qui signifie qu'il ne s'agit que de traiter le besoin de pointe ; nous ne proposons pas d'assurer la base de la production des centrales nucléaires par l'effacement diffus : cela n'aurait aucun sens. Mais, pour ce qui est du besoin de pointe, très ponctuel - quelques jours par an, justement lorsqu'il y a de la réserve d'effacement diffus, puisque la consommation, notamment thermique, est très importante -, il me semble qu'il est dans l'intérêt de la collectivité de mobiliser autant que possible l'effacement diffus, et que ce constat devrait être traduit dans les mécanismes en cours de constitution sous l'égide de la loi NOME.

J'en viens maintenant à votre troisième question, qui porte sur la manière de réguler...

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