Intervention de Pierre Bivas

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 10 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre Bivas président de voltalis

Pierre Bivas, président de Voltalis :

Je vous remercie.

Quel est le contexte économique et régulatoire de l'effacement diffus ? Votre question porte d'abord sur les modèles tarifaires classiques. Cela me fait tout de suite penser aux consommateurs. Je souligne que, dans tous les modèles tarifaires, le consommateur participant à l'effacement diffus bénéficie de l'économie d'énergie : moins de kilowattheures consommés, cela signifie moins d'euros à payer, indépendamment du caractère réglementé ou non du tarif.

La question qui se pose est celle de la reconnaissance et de l'intégration de notre production dans l'ensemble du système électrique, puisque c'est là que celle-ci trouve sa rémunération. Deux questions majeures ont déjà leur réponse, mais une interrogation demeure en suspens. Les deux questions majeures ont trait à la façon dont nos mégawatts, nos capacités sont reconnus sur les marchés de l'énergie et de la capacité.

Je commencerai par la capacité, puisque nous venons d'en parler. La loi NOME que vous avez votée prévoit une symétrie entre l'effacement et la production classique, ce qui signifie très logiquement qu'un mégawatt effacé constitue une alternative à un mégawatt de capacité de production. Cela revient, je le répète, à oublier que le mégawatt effacé ne nécessite aucun réseau, mais c'est tout de même une première reconnaissance, au moins en tant que capacité de production : l'effacement diffus est une capacité de production comme une autre.

La reconnaissance de cette capacité de production par la loi NOME est très importante ; on peut la saluer, d'autant que ce n'est pas le cas dans tous les pays.

Le deuxième point, c'est le fait que notre production soit déjà reconnue. Nous valorisons déjà nos mégawattheures d'effacement, puisque nous participons continûment, régulièrement, au mécanisme d'ajustement qui permet à RTE d'acheter des mégawattheures, c'est-à-dire des mégawatts effacés ou produits pendant une heure, en mettant en concurrence les mégawattheures de production classique et les mégawattheures d'effacement.

Les deux aspects essentiels de notre activité s'inscrivent donc déjà dans le cadre législatif et réglementaire français ; par conséquent, il n'existe pas d'aspect législatif à traiter particulièrement. Je reviendrai tout à l'heure sur ce qu'il y aurait à faire - ce sera la dernière partie de mon exposé -, mais, auparavant, je voudrais évoquer le point d'interrogation que j'ai mentionné.

Il ne vous a pas échappé que, lorsque nous baissons la consommation d'un consommateur, il consomme moins... Ce faisant, il réalise des économies, ce qui est très bon pour lui, mais c'est autant d'argent qu'il ne verse pas à son fournisseur d'électricité.

Plaçons-nous du point de vue du fournisseur : soit il achète un mégawattheure de production à une centrale allemande pour alimenter la consommation de ses clients, qui la lui paient, soit il achète, pour le même prix, un mégawattheure d'effacement de Voltalis, mais la conséquence est que les consommateurs ne consomment pas... C'est embêtant, non pas pour les consommateurs, certes, mais pour le fournisseur !

J'ai choisi de me placer du point de vue des fournisseurs pour vous montrer que nous comprenons tout à fait leur position. Il est exact que, lorsque les gens ne consomment pas, le chiffre d'affaires des fournisseurs diminue. Certains en ont conclu que cette perte de chiffre d'affaires devait être compensée, par le consommateur ou par Voltalis, ce qui revient à peu près au même, puisque nous agissons par délégation, par mandat du consommateur, en regroupant tous ses effacements.

Si nous comprenons le point de vue des fournisseurs, nous ne pensons pas que cette compensation soit conforme à l'intérêt général. Nous tenons à souligner que cela détruirait l'effacement diffus et annihilerait tout potentiel en France.

Je constate d'ailleurs que ce débat a également eu lieu aux États-Unis, ce qui est bien normal, puisque les enjeux ne dépendent pas d'un cadre réglementaire ou législatif particulier, mais sont d'une nature tout à fait concrète. Après une analyse économique détaillée, le régulateur américain a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'apporter de compensation au fournisseur : le recours à l'effacement diffus permet d'économiser tellement d'argent, puisque moins d'investissements sont nécessaires, que ce n'est pas grave si le fournisseur y perd un peu ; j'y reviendrai.

En France, sur un plan purement juridique, le Conseil d'État a fait la même analyse, concluant qu'il n'existait aucune base pour une éventuelle compensation. Nous avons alors vu resurgir, y compris dans ces murs, des propositions audacieuses de changement de la loi pour donner raison aux fournisseurs, ce qui nous laisse extrêmement perplexes.

Revenons à l'analyse économique. Il faut reprendre les chiffres que je vous ai présentés : si on construit 1 gigawatt de capacité d'effacement diffus, cela coûtera 100 millions d'euros d'investissement, contre 1 à 2 milliards d'euros pour la même capacité obtenue par la construction de centrales et de réseaux. L'économie est donc d'emblée considérable pour la collectivité.

Il est vrai que, du point de vue du fournisseur, il y aura un manque à gagner de 20 ou 30 millions d'euros du fait de la moindre consommation de ses clients. Les consommateurs s'en réjouiront, mais le fournisseur demandera que cela soit pris en compte. Toutefois, si le fournisseur - EDF, par exemple, pour prendre un acteur sérieux - voulait répondre au besoin de consommation en construisant des centrales supplémentaires plutôt qu'en ayant recours à des centrales d'effacement, cela lui coûterait 1 ou 2 milliards d'euros d'investissement, et les frais financiers sur cette somme - 50 millions d'euros par an pour un emprunt à 5 % - seraient largement supérieurs aux 20 ou 30 millions d'euros d'économies d'énergie que les consommateurs pourront réaliser. Par conséquent, il y a un intérêt même pour EDF, l'opérateur le plus sérieux de notre pays.

Je signale également une différence entre les deux schémas : dans un cas, l'opérateur électrique paie 50 millions d'euros à des banquiers, tandis que, dans l'autre cas, ce sont 20 ou 30 millions d'euros que ne paient pas les consommateurs. Si je me réfère à l'objet même de votre commission d'enquête, la différence est assez sensible...

En résumé, il me semble que le principal enjeu n'est pas de modifier les textes mais d'arriver à une véritable coopération entre les acteurs sérieux, qui permette une réelle exploitation du potentiel de ce métier. Quand je parle d'opérateurs d'électricité sérieux, je pense à EDF, RTE et ERDF, qui ont tous à y gagner, ou encore à GDF-Suez, qui participe à la production. Je distingue ces opérateurs - vous l'avez compris - des fournisseurs alternatifs dont le métier n'est pas d'investir mais uniquement de produire des factures et peut-être, de temps en temps, des plus-values pour les actionnaires qui aiment bien jouer à ce jeu...

Nous aimerions nous placer dans une logique de coopération avec les producteurs sérieux, afin de développer le maximum du potentiel de l'effacement diffus au bénéfice de la collectivité, des consommateurs français et du système électrique. Il y a - je crois vous l'avoir décrit - plusieurs milliards d'euros par an d'investissements à éviter ; cela représente autant de ressources financières que les opérateurs, notamment EDF, pourront consacrer à des priorités plus importantes, comme la sûreté du système électrique, et en particulier des centrales nucléaires, plutôt que de les gâcher pour construire des centrales de pointe que l'on peut remplacer par un mécanisme bien moins onéreux, quitte, je le reconnais, à faire faire quelques économies d'énergie à des consommateurs, en particulier modestes.

Je pense qu'il est assez satisfaisant de mettre en place un système permettant à des consommateurs modestes de réaliser des économies, dans un contexte où il sera indispensable, pour l'équilibre du système électrique à moyen terme, d'augmenter les prix de l'électricité.

Telle est la contribution que nous espérons pouvoir apporter au système électrique et aux travaux de votre commission d'enquête.

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