Monsieur le rapporteur, j'apporterai d'abord des éléments de réponse à vos deux premières questions, à savoir sur les tarifs, les coûts et les questions de stratégie à moyen terme.
Il me semble que les coûts de production vont augmenter inéluctablement, quelles que soient les stratégies à moyen terme que l'on développe ; je vais m'en expliquer.
Je pense qu'il en ira de même pour les coûts de transport et de distribution et que, par conséquent, les factures pour les usagers ou pour les industriels vont augmenter significativement, sauf si un programme important d'économies d'électricité est engagé, qui viendrait réduire d'autant les besoins en kilowattheures des usagers divers.
Pourquoi les coûts de production vont-ils augmenter ?
Le coût de production de l'électricité pris en compte aujourd'hui est largement issu du passé.
Premièrement, vous savez que l'on a en France un très gros programme nucléaire - assurant 75 % de la production d'électricité. Vous savez que nos barrages correspondent à des investissements anciens, réalisés durant les cinquante dernières années, donc largement amortis. Cela explique pourquoi, malgré les frais d'exploitation qui augmentent, comme c'est par exemple le cas pour le nucléaire, l'électricité actuelle est relativement bon marché.
Certes, on sait que cette situation ne durera pas cinquante ans parce que, même si on essaie de prolonger le parc actuel et les barrages, arrivera bien un moment où il faudra les changer.
Deuxièmement, la solution trouvée par la commission « Énergies 2050 », consistant à prolonger le parc actuel, entraînera de toute façon un certain nombre de frais complémentaires, dont certains sont relativement bien déterminés - de l'ordre de 40 ou 50 milliards d'euros de frais de jouvence -, mais avec une indétermination assez considérable pour ce qui concerne le post-Fukushima, dont on sait mal apprécier les dépenses correspondantes puisque toutes les conséquences n'ont pas encore eu lieu - une dizaine de milliards d'euros en première approximation.
Troisièmement, et ce point me paraît important, le risque économique d'une prolongation est sérieux.
En effet, l'Autorité de sûreté nucléaire, que vous avez entendue, ne dira s'il est possible de continuer à exploiter telle ou telle centrale qu'une fois qu'un certain nombre d'investissements de jouvence et de mise à niveau post-Fukushima seront réalisés. Le risque qu'une centrale ne soit pas remise en route à l'issue d'investissements relativement importants n'est donc pas négligeable.
Quatrièmement, enfin, je vais vous montrer que le coût des nouvelles filières se situe dans une fourchette comprise entre 65 et 100 euros le mégawattheure, voire plus pour certaines d'entre elles.
Tel est l'objet de mes démonstrations principales.
En ce qui concerne les frais complémentaires au parc existant, je parlerai essentiellement du parc nucléaire, qui constitue le gros morceau.
Je me suis amusé, si je puis dire, à comparer l'étude sur le parc existant que j'avais faite, en 2000, avec le commissaire au Plan Jean-Michel Charpin et le haut-commissaire à l'énergie atomique René Pellat, à celle que la Cour des comptes, procédant à la même analyse, a réalisée en 2010.
Si l'évolution de la situation entre ces deux dates est intéressante, celle de la pensée l'est également.
S'agissant des coûts de construction, les montants que nous avons trouvés sont à peu près équivalents. Ce n'est pas étonnant : c'est une question d'inflation.
Les coûts d'exploitation ont, pour leur part, augmenté de 50 %. Plus grave, la direction générale de l'énergie et des matières premières, la DGEMP, et Électricité de France, EDF, prédisaient, en 2000 - nous l'avions noté -, que ces coûts diminueraient assez fondamentalement en 2010 - en gros, de 70 %. Or ces coûts d'exploitation ont augmenté, je le disais, de 50 % ; ils sont donc en train de dériver de manière considérable ; je pourrais vous en expliquer les raisons.
Le coût des combustibles n'a quant à lui pas beaucoup changé.
Si le coût du démantèlement et celui de la gestion des stockages ont augmenté dans des proportions importantes, vous connaissez l'indétermination qu'il y a autour de ces problèmes. Au demeurant, ces postes comptent peu dans le coût du kilowattheure : l'actualisation de frais qui ne seront effectifs que dans plusieurs dizaines d'années ne change pas fondamentalement l'idée du coût que l'on se fait aujourd'hui.
Un autre poste a complètement dérapé, je veux parler des frais de jouvence, c'est-à-dire ce à quoi l'on procède à la suite de chaque visite décennale pour remettre les centrales à niveau : les coûts correspondants ont augmenté de 150 % par rapport à l'idée que l'on s'en faisait en 2000.
En résumé, s'il n'y a grosso modo pas eu d'erreur sur la construction, ce qui est normal, on relève un certain nombre de dérapages importants, à la fois sur l'exploitation et sur la jouvence.
En ce qui concerne le risque économique d'une prolongation, vous savez que les opérations post-Fukushima et les investissements de jouvence envisagés - de l'ordre de 50 gigaeuros - ne garantissent pas la prolongation des centrales.
En effet, si l'ASN ne donne pas son autorisation, il faudra arrêter certains réacteurs. Le risque économique n'est pas négligeable, puisque l'on aura alors un coût échoué. Il faudra, en outre, trouver très rapidement d'autres moyens de remplacer l'électricité manquante.
Si l'on peut essayer d'estimer le coût d'un éventuel arrêt, on ne saurait évaluer le risque correspondant. Combien de centrales ne redémarreront pas ? On est bien incapables de le dire.
Pour ce qui concerne la centrale de Fessenheim, la commission « Énergies 2050 » a procédé à un calcul, certes un peu contestable, mais qui a au moins le mérite d'exister. Sur cette base, elle considère que la non-prolongation de vingt ans et donc l'arrêt du réacteur coûterait à peu près 3 gigaeuros, sans compter les 0,8 ou 1 milliard d'euros qu'il faudra investir pour mettre à niveau la centrale en question.
Or ce risque de voir une ou plusieurs centrales ne pas redémarrer n'est pas pris en compte dans les coûts économiques actuels. Vous voyez pourtant que le problème n'est quand même pas négligeable ! Si l'on prenait le parti de ne pas remplacer les réacteurs arrêtés, les coûts futurs du nucléaire existant risquent d'augmenter.
J'en viens maintenant au coût des nouvelles filières.
D'après mon analyse, le coût des plus importantes d'entre elles se situera entre 65 euros et une centaine d'euros par mégawattheure.
À cet égard, l'examen de la récente étude économique de la Cour des comptes est intéressant. La Cour a travaillé sur le « coût courant économique », le CCE, concept un peu nouveau par rapport à ceux qu'utilisait habituellement l'État, lequel se fondait sur les coûts de référence de l'électricité. Cette méthode du CCE semble faire à peu près consensus et aboutit, sans tenir compte des risques futurs, à un coût de l'ordre de 54 euros par mégawattheure pour le parc actuel, et à un coût affiché de 70 à 90 euros par mégawattheure pour l'EPR de Flamanville - sans qu'il y ait d'ailleurs, dans le rapport de la Cour des comptes, le détail de la façon dont on arrive à ce coût. J'ignore si vous avez auditionné Mme Pappalardo et, le cas échéant, si vous avez pu en savoir davantage sur ce point.
Dans le coût de 54 euros par mégawattheure ne figurent pas les investissements de recherche publique. Si on les y intégrait, le coût serait plutôt de 69 ou 70 euros le mégawattheure. Faut-il ou non prendre en compte ces investissements dans le coût ? C'est un débat en soi, que je vous laisse arbitrer.
En tout état de cause, les frais de recherche publique s'élèvent à 38 milliards d'euros cumulés depuis l'origine du nucléaire et, si on les répercutait sur le niveau actuel de la production annuelle d'électricité d'origine nucléaire, soit 410 térawattheures, le loyer économique augmenterait de 19 euros.
En fait, Michèle Pappalardo, à qui j'en ai parlé, m'a dit qu'elle n'avait pas pris en compte ces frais parce qu'elle n'était pas capable de chiffrer d'autres dépenses - celles de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et celles de l'ASN - sur une longue période et, par conséquent, de faire un « paquet » de ces investissements annexes passés. Elle a donc préféré ne pas les intégrer. Mais il faut reconnaître que les frais engagés par l'ASN et l'IRSN sont beaucoup moins élevés que ceux de la recherche, ce qui permet quand même de se faire une idée.