J'ai d'abord à vous faire une remarque qui me paraît tout à fait importante, même si elle n'est pas complètement corrélée avec les préoccupations que vous exprimez dans l'immédiat.
La part des dépenses de démantèlement dans ce coût économique est complètement négligeable. Ces dépenses figurent en noir sur le graphique que vous avez sous les yeux. Figurées en noir, on ne les voit pas : elles tiennent dans l'épaisseur d'un cheveu. Leur coût est de l'ordre de 0,15 euro par mégawattheure pour l'EPR ; on verra qu'il est de 0,5 à 1 euro par mégawattheure pour les éoliennes.
C'est la vertu du coût d'actualisation. Si l'on admet, comme la Cour des comptes, que le démantèlement se fait neuf ans après la fermeture de la centrale, une centrale nucléaire de type EPR construite aujourd'hui sera démantelée dans soixante-neuf ans. Mais, en raison du taux d'actualisation de 5 %, le coût de ce démantèlement nous apparaît aujourd'hui bien évidemment moins important.
Or il faut bien comprendre, et c'est un oubli que l'on commet souvent, que la contrepartie de ce « cheveu » consiste à mettre de côté les sommes correspondantes et à les faire fructifier au même taux de 5 %, pendant vingt et un ans quand il s'agit d'une éolienne et pendant soixante-neuf ans pour l'EPR.
Toutefois, des problèmes considérables surgissent dès lors que l'on se pose certaines questions : par exemple, EDF, qui est censé assurer le démantèlement de l'EPR ou des barrages, existera-t-il toujours dans soixante-neuf ans ? Sinon, existera-t-il encore une structure équivalente ? N'y aura-t-il pas eu entre-temps plusieurs crises économiques ?
Vous le voyez : en contrepartie du cheveu que représente l'aval du cycle nucléaire - c'est d'ailleurs vrai pour d'autres sources d'énergie -, il faut constituer une réserve et l'assurer à un taux fixé au même niveau que le taux d'actualisation, lequel vous fait aujourd'hui apparaître le coût en question comme tout à fait négligeable. Cette réserve n'est que la réciproque de la vertu du taux d'actualisation.
Après l'avoir fait pour l'EPR - à gauche du nouvel histogramme que vous avez sous les yeux -, et pour les éoliennes terrestres - représentées par les barres du milieu -, j'ai regardé ce qui se passait pour les turbines à gaz. (M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Coût courant économique - Cycle combiné à gaz, EPR, éolienne terrestre ».)
Je ne parle pas ici des turbines que l'on vient de monter à Martigues et qui coûtent moins cher, mais de celles qui existent actuellement sur le marché international : l'utilisation de gaz à 7 euros le million de BTU - soit la moyenne des coûts spot sur le marché de Londres en 2011 - donne un coût plutôt moins élevé, y compris avec des taxes sur le CO2 de l'ordre de 10 euros par tonne - ce qui est supérieur au coût d'aujourd'hui -, voire de 20 euros par tonne. Vous le voyez sur la droite du graphique.
La dernière barre - la plus à droite -, correspond à une hypothèse où le coût du gaz s'élèverait à environ 10 ou 11 euros le million de BTU et celui de la taxe sur le CO2, à 10 euros par tonne.
Vous voyez donc que le gaz tient aujourd'hui assez bien la route par rapport aux deux autres filières que sont l'EPR de Flamanville et l'éolienne terrestre classique, y compris avec une augmentation potentielle de 35 à 40 % et avec une taxe sur le CO2 d'un niveau non négligeable.
Bien évidemment, si l'on regarde l'éolien offshore et le photovoltaïque décentralisé, on sort du terrain de football, si je puis dire !
S'agissant de l'éolien offshore - représenté à gauche de la diapositive (M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Coût courant économique : éolien offshore, photovoltaïque décentralisé ».) -, j'ai considéré des coûts d'investissement de 3 000 euros et 4 000 euros par mégawatt. Je vous rappelle, en effet, que l'appel d'offres qui vient d'être lancé finit sur un coût d'à peu près 3 500 euros par mégawatt, du moins si j'interprète bien les propos du ministre Éric Besson, qui a déclaré que l'on allait installer 2 000 mégawatts pour 7 milliards d'euros.
Les coûts courants économiques que j'ai ainsi obtenus s'établissent entre 100 euros par mégawattheure et 150 ou 160 euros par mégawattheure, selon la quantité de vent et les différents sites.
Pour ce qui concerne le photovoltaïque, je me suis également fondé sur les coûts réels qui se pratiquent aujourd'hui et que j'ai pu vérifier. J'ai fait varier deux critères : d'une part, j'ai pris du photovoltaïque soit de très petite taille - produit sur une maison -, soit de 100 kilowatts - ce qui peut encore être produit sur un toit, mais sur un gros toit. D'autre part, j'ai considéré un photovoltaïque décentralisé soit à Toulon, soit à Dunkerque. Vous voyez qu'une installation photovoltaïque de 100 kilowatts située à Toulon fait tomber le coût à environ 160 euros par mégawattheure, tandis qu'avec une installation inférieure à 5 kilowatts et située à Dunkerque, le coût est alors 2,5 fois plus élevé que le coût actuel.
Cette démonstration n'a qu'un intérêt : vous montrer que le photovoltaïque décentralisé est beaucoup trop cher. Toutefois, sur la partie de droite de la diapositive, on voit bien aussi que, quand le coût s'approche de 150 ou 160 euros par mégawattheure, on n'est plus très loin de la parité avec le coût de l'électricité distribuée en France.
Vous savez que ce dernier s'élève à environ 130 euros par mégawattheure. On nous dit, avec raison me semble-t-il, que ce coût passera probablement à 160 ou 170 euros par mégawattheure. On est à peu près dans le même ordre de coûts. On peut donc imaginer que l'effet combiné de la décroissance de ces coûts et de la croissance parallèle du coût de l'électricité permettra à relativement court terme d'arriver à la parité de réseaux.
En revanche, du moins pour le photovoltaïque relativement décentralisé, on est très loin d'être à la parité du point de vue de la production. Si l'on peut très bien imaginer que la situation sera très différente dans dix ans, tel n'est pas le cas aujourd'hui et tel n'est pas non plus le cas pour l'éolien offshore.
J'en viens aux coûts de transport et de distribution.
Le réseau de transport à haute tension est relativement moderne parce que l'investissement réalisé était essentiellement dû au programme nucléaire, lequel a moins de trente ans.
C'est beaucoup moins vrai pour le réseau à moyenne et basse tension, qui représente plus des deux tiers de l'investissement total, ce dont personne n'a conscience. En effet, tout le monde pense au réseau à haute tension, aux lignes à 300 000 volts, mais la vraie difficulté réside dans la vétusté du réseau à moyenne tension et, surtout, à basse tension.
Ce réseau est en outre aujourd'hui mal adapté à des productions locales d'électricité, ce qui pose problème pour les énergies renouvelables locales et le développement du chauffage électrique. On le sait bien puisque, chaque hiver, EDF attire l'attention sur les problèmes susceptibles de se poser en Provence-Alpes-Côte d'Azur ou en Bretagne, deux régions en bout de ligne et, chaque hiver, des problèmes se posent.
Quant à la masse des investissements, elle dépendra bien évidemment, dans une mesure importante, de la nature des moyens de production que l'on mettra en place. Toutefois, il faut bien avoir conscience qu'elle dépendra aussi de la nature des usages.
Poursuit-on la politique de recours au chauffage électrique ? L'amplifie-t-on ? Essaie-t-on au contraire de l'infléchir ? En fonction des réponses que l'on apportera à ces questions, la situation variera considérablement.
Autrement dit, il ne faut pas concevoir le réseau uniquement du point de vue de la production ; il faut aussi s'interroger sur la nature de la demande et sur son orientation.
Ce propos m'amène à redéfinir le champ de votre mission, pour me faire plaisir un instant...
Évidemment, il est bien normal que vous vous intéressiez au prix du kilowattheure pour l'usager, puisque votre mission consiste à déterminer s'il a un rapport avec les coûts de production.
Mais, et je pense que vous en êtes tout à fait conscients, après avoir procédé à plusieurs auditions, la véritable question est celle de la facture pour l'usager et pour la collectivité nationale. En effet, il est indifférent pour l'usager que le prix du kilowattheure augmente de 40 % si ses besoins en électricité diminuent de 40 % : le montant de sa facture sera inchangé.
C'est la raison pour laquelle il me paraît important de considérer, en même temps que la production d'électricité et avec les mêmes outils, les mesures d'économies, leur coût et la manière de les mettre en oeuvre.
C'est tout l'intérêt du coût courant économique que de permettre cette comparaison. Je l'ai appliqué à quelques exemples, en essayant d'abord de répondre à une question toujours oubliée en France : comment l'électricité est-elle consommée ?
Vous avez sous les yeux trois graphiques. Le premier représente les consommations sectorielles d'électricité en 2010. (M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Consommations sectorielles d'électricité en 2010 ».)
Vous constatez que la plus grande partie de l'électricité est consommée non pas dans l'industrie, comme beaucoup le pensent, mais dans l'habitat tertiaire. En comparaison, la part des autres secteurs est assez négligeable : l'industrie représente 27 % de la consommation totale, les transports 3 %. Notez que la consommation de l'agriculture est comprise dans celle de l'industrie ; du reste, elle est très faible.
Le deuxième graphique représente la manière dont l'électricité est consommée au sein du résidentiel tertiaire. (M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « L'électricité dans le résidentiel tertiaire ».)
Vous observez que le chauffage électrique représente à peine 24 % de la consommation, soit une part relativement faible. Au contraire, les applications de l'électricité considérées comme spécifiques, par exemple l'éclairage, la production de froid, les moteurs, les appareils domestiques, les équipements audiovisuels, la télévision ou l'ADSL, représentent 61 % de la consommation. C'est donc là que se situe le problème.
Si j'insiste sur ce point, c'est parce que j'ai entendu ce que vous a raconté M. Percebois, l'autre jour, lorsqu'il vous a parlé de la commission « Énergies 2050 »...
À propos du mix électrique, après avoir souligné l'importance de réaliser des économies d'électricité, il a dérivé tout de suite en expliquant que, pour cela, il fallait isoler les bâtiments. Cela est vrai, mais pour 24 % du problème !
En effet, les applications thermiques, c'est-à-dire le chauffage et l'eau chaude, représentent au total à peine 40 % de la consommation d'électricité. Les applications spécifiques, qui en représentent 61 %, concentrent donc l'essentiel des gisements d'économies.
Pour le prouver, j'ai étudié l'évolution de la consommation d'électricité par habitant dans l'habitat tertiaire, en Allemagne et en France, pendant dix ans.
Au début de la période, les Allemands et les Français consommaient exactement la même quantité d'électricité par habitant pour les usages domestiques. Notez que je parle de l'électricité spécifique, sans tenir compte du chauffage : en effet, les Allemands ne se chauffant pas à l'électricité, la comparaison n'aurait eu aucun intérêt.
Dix ans plus tard, en 2009, les Français avaient une consommation d'électricité spécifique par habitant supérieure de 28 % à celle des Allemands...
Autrement dit, que l'on l'apprécie ou non, la politique allemande - électricité chère, politique industrielle - a eu des effets considérables en dix ans. Les Allemands ont commencé d'exploiter le gisement d'économies dans les applications spécifiques, alors qu'en France on a complètement dérivé.
Le troisième graphique représente la manière dont l'électricité est consommée dans l'industrie. (M. Benjamin Dessus commente le graphique intitulé « Consommation d'électricité de l'industrie ».) Contrairement à ce qu'on imagine, ce n'est pas tellement dans les procédés, par exemple les plasmas. En effet, 70 % de l'électricité est consommée par les moteurs. Or, en matière de moteurs, on sait que d'énormes progrès sont possibles.
Cet ensemble de graphiques permet de comprendre où l'électricité est consommée et où sont les principaux gisements d'économies.