Intervention de Benjamin Dessus

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 10 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Benjamin deSsus président de global chance

Benjamin Dessus, président de Global Chance :

Sans doute, on peut toujours imaginer qu'on va trouver une technique formidable pour stocker l'électricité à moindre coût. Mais, pardonnez-moi, le fait est que, jusqu'à présent, nous ne l'avons pas découverte ! Nous ne savons pas faire !

Du côté de la demande, on peut classer les applications des plus simples aux plus exigeantes.

Certains besoins sont effaçables ou modulables hors pointe : si vous décidez, plutôt que de faire fonctionner votre machine à laver à huit heures du soir, de la faire fonctionner à trois heures du matin ou lorsque vous produisez de l'énergie photovoltaïque, vous diminuerez votre consommation à une heure de pointe et tout le monde s'en trouvera très bien.

Certains besoins industriels sont continus parce qu'ils sont liés à un process qu'il ne faut pas arrêter.

Enfin, certains besoins de pointe saisonnière ou journalière ne sont ni modulables ni effaçables. En particulier, l'éclairage et le chauffage électrique sont les applications les plus redoutables : tout le monde veut se chauffer, s'éclairer et regarder le même match de football au même moment...

J'en conclus que c'est en fonction du système dans son ensemble, en tenant compte de la production mais aussi de la demande, qu'il faut aborder la question du mix optimal et le problème de la variabilité.

Vous constatez que mon propos est constant : considérer l'offre sans considérer la demande est une hérésie totale, en particulier s'agissant du système électrique.

Par exemple, le nucléaire et le photovoltaïque sont très inadaptés aux besoins de pointe saisonnière entraînés par le chauffage électrique. Il suffit de se rappeler ce qui s'est produit le 8 février dernier : alors qu'on associe toujours au photovoltaïque l'inconvénient de devoir être doublé par autre chose, c'est le nucléaire qui a été sauvé par l'hydraulique française et le charbon allemand... Le problème est donc le même pour le nucléaire : on ne peut pas compter uniquement sur lui.

Les turbines à gaz, au contraire, sont bien adaptées aux besoins de pointe saisonnière. Le photovoltaïque, de son côté, est bien adapté aux besoins liés à la climatisation, puisque c'est quand il y a du soleil qu'on a besoin de se rafraîchir. L'éolien est parfaitement adapté un jour de mistral, en hiver, à Aix-en-Provence.

Quant au nucléaire, il est bien adapté aux besoins des usines fonctionnant en continu.

Je le répète : pour optimiser le système électrique comme pour examiner les problèmes de variabilité, il faut considérer à la fois la demande et l'offre.

Il y a encore une question de M. le rapporteur à laquelle je souhaite répondre : la sixième, qui porte sur la politique d'économie d'électricité.

Pour réaliser des économies d'électricité, dont j'ai tenté de vous montrer qu'elles sont très importantes, on peut utiliser plusieurs outils.

D'abord, on peut agir sur la réglementation et les normes de consommation électrique des appareils comme les lampes, les veilles, les circulateurs ou les livebox. Cela dépend vraiment de paramètres de l'ordre du régulatoire.

Par exemple, grâce à une directive européenne qui a imposé les lampes économes, la consommation pour l'éclairage va baisser de 38 à 10 térawattheures, ce qui est considérable. Sans compter que le changement est rentable pour le consommateur, à condition qu'il n'y ait pas seulement des lampes chinoises qui cessent de fonctionner au bout de trois mois, alors qu'elles sont vendues pour durer dix ans... Mais cela est affaire de norme.

Ensuite, je pense qu'il faut mettre en place pour les appareils électriques un bonus-malus en fonction de la consommation, comme il en existe désormais pour les 4x4.

Aujourd'hui, en effet, l'acquéreur d'un home cinéma avec un écran de 1 m2 est totalement inconscient du fait qu'il consommera, à technologie constante, à peu près dix fois plus que le propriétaire d'une télévision de 30 par 30 centimètres - tout simplement parce que la surface de son écran est dix fois plus grande. Et comme, en plus, il choisira probablement un écran plasma plutôt qu'un écran à cristaux liquides, moins performants en grande taille, sa consommation sera encore multipliée d'un facteur 10 !

Il faut donc lui envoyer un signal, lui faire comprendre que, s'il choisit cet équipement, il devra payer une forte taxe à l'achat parce qu'il est un homme de luxe.

En outre, il faut bâtir une politique industrielle vis-à-vis des constructeurs pour qu'ils mettent sur le marché des appareils plus efficaces.

C'est la stratégie que les Allemands ont adoptée en même temps qu'ils ont augmenté le coût de leur électricité. Vis-à-vis des constructeurs d'appareils électroménagers, ils ont mis en oeuvre une politique industrielle extrêmement volontariste qui a eu deux conséquences : sur le marché français, tous les appareils fabriqués par Siemens ou Bosch sont de bien meilleure qualité que les autres et, en France, il n'y a quasiment plus de constructeurs d'appareils électroménagers.

Les Allemands ont joué la carte de la qualité en mettant en place des normes très strictes. Aujourd'hui, ils inondent le marché international de réfrigérateurs de classe A+++. Allez chez Darty : vous verrez les appareils fabriqués par Bosch ou Siemens, qui ont tous la note A+++. Et si l'on veut un appareil de bonne qualité, on achète du Bosch ou du Siemens. C'est ainsi !

Cette situation est le fruit d'une politique industrielle qui, de surcroît, a été perçue par les Allemands non comme une contrainte, rendue nécessaire par le besoin d'économiser l'électricité, mais comme une stratégie positive destinée à vendre davantage et à créer des emplois. Résultat : aujourd'hui, les Allemands consomment 28 % d'électricité spécifique de moins que les Français, ce qui n'est pas rien.

Quatrièmement, je pense qu'il faut faire une tarification non linéaire de l'électricité spécifique, ainsi que l'envisager pour le chauffage. Les premiers kilowattheures ne seraient pas chers, les dix suivants le seraient beaucoup plus, et les dix derniers le seraient horriblement ! Cette solution est rendue possible par la mise en place actuelle des compteurs intelligents, comme le Linky, par exemple. S'ils sont vraiment intelligents, ils doivent pouvoir reconnaître les applications. J'ai cependant cru comprendre qu'ils étaient tellement intelligents qu'ils n'incluaient pas le chauffage électrique, de sorte que l'on ne pourra pas reprocher au compteur Linky d'empêcher les pauvres gens de se chauffer !

J'en viens aux moyens financiers à mettre en place pour mener une politique d'économies d'électricité.

Pour économiser 30 % d'électricité d'ici à 2030, avec des gisements dont la plupart sont rentables économiquement, il faut investir une centaine de milliards d'euros sur la même période. Quels que soient les scénarios retenus, que l'on fasse de l'énergie nucléaire, du renouvelable ou autre, l'investissement total, pour l'ensemble du système, se montera de 400 milliards d'euros à 450 milliards d'euros. L'investissement en matière d'économies d'électricité équivaudra à une centaine de milliards d'euros, pour économiser 150 térawattheures ou 160 térawattheures.

Une grande partie de ces économies sont rentables pour l'individu, l'usager, ou l'industriel. Cette solution pose néanmoins le problème de l'investissement : même si elle est rentable sur la durée de vie de l'appareil, qui met l'argent au départ ? Il faut donc trouver des outils d'ingénierie financière pour faire fonctionner le système. Il faut quelqu'un pour prêter l'argent, échafauder des systèmes de tiers payants, entre autres choses. L'ingénierie financière reste à inventer.

Mais, à mon sens, en France, cela ne suffira pas. Je suis convaincu qu'il faut imposer aux producteurs-distributeurs de quotas d'économies d'énergie actuels des quotas sur leur propre produit, l'électricité. Dans le système actuel, les quotas que les producteurs d'électricité doivent respecter, en faisant des économies d'électricité, sont réalisés sur le vecteur du voisin. Concrètement, EDF peut aujourd'hui récupérer des quotas d'économies d'énergie en faisant des économies de gaz. Cela l'arrange bien, parce qu'il peut, en même temps, vendre de l'électricité. Il faudrait donc que les producteurs fassent des économies sur leur propre produit.

En outre, il serait assez logique d'affecter une part de la CSPE aux économies d'électricité, au besoin pour rémunérer les producteurs d'économies d'électricité et alimenter la politique industrielle d'efficacité électrique, comme on le fait pour les énergies renouvelables. Étant donné l'importance qu'ont les économies d'électricité dans toute politique d'avenir, il me semblerait intéressant de répartir la CSPE non seulement sur la production mais aussi sur les économies.

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