Pour nous, il est clair que les tarifs actuels de l'électricité ne reflètent pas la réalité des coûts de production, en raison notamment de la prédominance dans notre mix électrique du nucléaire, dont vous savez qu'il en représente 75 %.
En effet, trois types de coûts liés au nucléaire sont non pas cachés, comme on le dit parfois, mais sous-évalués ou mal pris en compte.
Dans un premier ensemble, figurent les coûts de long terme liés à deux charges futures : le démantèlement des centrales et la gestion des déchets.
Un autre ensemble comprend les coûts liés à la couverture du risque nucléaire, c'est-à-dire à l'assurance en cas d'accident nucléaire majeur.
La question des coûts liés au démantèlement des centrales et à la gestion des déchets a déjà été largement traitée par la Cour des comptes. Dans son rapport de janvier 2012 sur les coûts de la filière électronucléaire, elle a mis en évidence l'existence de lacunes et d'incertitudes. Elle estime, dans sa terminologie, que ces coûts semblent avoir été sous-évalués.
Le fait est que si l'on procède à une comparaison internationale, on constate que le montant provisionné par EDF est inférieur au minimum international correspondant à cinquante-huit réacteurs : je crois que ce minimum est de 20 milliards d'euros et qu'EDF a provisionné seulement 18 milliards d'euros.
La sous-évaluation des charges de démantèlement étant assez nette, le risque existe que, dans les prochaines années, il soit fait obligation à EDF de réviser ses modèles d'évaluation et d'augmenter ses provisions.
Certes, comme le souligne la Cour des comptes, les conséquences de cette mesure sur le prix final du kilowattheure ne seraient pas forcément significatives, puisqu'elles seraient réparties sur une très longue période. Reste que plus on repousse la réévaluation, plus ses conséquences sur le prix de l'électricité seront importantes.
Il faut donc prendre en compte cette réalité : le jour où la réévaluation interviendra, il sera nécessaire d'augmenter les provisions en vue du démantèlement. Et plus la réévaluation sera retardée, plus ses conséquences seront douloureuses pour les consommateurs.
Les coûts liés à la gestion des déchets font l'objet d'incertitudes à peu près identiques.
En France, en effet, un choix très particulier a été fait pour la gestion des déchets : les combustibles usagés sont retraités à la sortie du réacteur et les déchets les plus dangereux sont enfouis en stockage géologique à grande profondeur.
Pour l'instant, cette dernière technique est au stade de l'expérimentation. Le coût final des recherches menées au laboratoire de Bure puis de la construction d'un centre de stockage n'est pas connu. Il a été estimé à 15 milliards d'euros ; aujourd'hui, on l'évalue entre 28 et 35 milliards d'euros. Si vous interrogez l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, ses dirigeants vous répondront qu'eux-mêmes n'ont pas la réponse.
Le coût à long terme de la gestion des déchets n'étant pas entièrement connu, le risque existe que, pour ces charges aussi, il faille augmenter les provisions. Dès lors, le même problème se pose à nouveau : plus on retardera la réévaluation, plus ses conséquences seront significatives.
Greenpeace n'est pas d'accord avec la Cour des comptes lorsqu'elle estime que les coûts de démantèlement auront des conséquences très faibles sur le prix du kilowattheure - de l'ordre de 2,5 à 5 % si les provisions sont multipliées par deux.
En effet, l'hypothèse d'un doublement des charges nous paraît relativement optimiste. Songez que le démantèlement du réacteur de Brennilis, l'un des plus avancés en France, a déjà coûté plus de 400 millions d'euros - encore s'agit-il d'un réacteur de toute petite puissance : 70 mégawatts, contre 1 000 mégawatts en moyenne pour les réacteurs français.
Le montant de 300 millions d'euros par réacteur, avancé aujourd'hui par EDF, étant déjà dépassé pour un réacteur de toute petite puissance, on peut imaginer que les provisions liées au démantèlement ne feront pas que doubler, comme le suppose la Cour des comptes. Et si les provisions sont multipliées par quatre, le prix de l'électricité augmentera de 20 %, ce qui est une conséquence d'une autre ampleur.
La question des coûts liés à l'assurance du risque nucléaire sera certainement débattue dans les mois qui viennent, l'accident nucléaire de Fukushima lui ayant donné une nouvelle actualité.
La France est soumise à un régime européen et international fixé par des conventions. Un protocole additionnel a relevé à 700 millions d'euros le minimum d'assurance pour les exploitants. Toutefois, n'ayant pas été ratifié par l'ensemble des pays, il n'est pas encore appliqué.
En France, le montant d'assurance pour les exploitants est aujourd'hui fixé à 91 millions d'euros par réacteur nucléaire. Voilà quelques jours, un projet de loi a été présenté en Conseil des ministres qui vise à relever ce seuil de 91 à 700 millions d'euros. Peut-être sera-t-il adopté par le nouveau Parlement après les élections présidentielles et législatives. Toujours est-il que, pour l'instant, le montant applicable est de 91 millions d'euros par réacteur.
D'ailleurs, quand bien même le seuil serait porté à 700 millions d'euros, il se situerait dans une fourchette très basse.
En Allemagne, par comparaison, il existe un système de responsabilité illimitée. Autrement dit, en cas d'accident nucléaire, l'exploitant est redevable jusqu'au dernier centime des sommes dépensées pour gérer la catastrophe.
Comme les assurances ne peuvent pas couvrir une telle responsabilité, un montant est fixé - 2,5 milliards d'euros - pour lequel les exploitants sont obligés de s'assurer, sachant qu'en cas d'accident, il leur faudra sans doute vendre les bijoux de famille...
Le seuil prévu en France est plutôt très bas par rapport aux montants fixés dans les autres pays européens. À supposer même qu'il soit relevé à 700 millions d'euros par réacteur, il resterait à un niveau très bas.
L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, dont vous avez certainement prévu d'auditionner un représentant, cherche actuellement à évaluer ce que coûterait un accident nucléaire en France.
Quelques chiffres ont circulé dans la presse et ont été mentionnés par la Cour des comptes : il est question de 70 milliards d'euros pour un petit accident - avec néanmoins des rejets extérieurs -, le coût d'un accident grave pouvant atteindre 600 milliards d'euros. Vous constatez que le montant dû par l'exploitant, même porté à 700 millions d'euros, est assez faible par rapport au coût d'un accident seulement mineur.
Il est bien évident qu'en cas d'accident nucléaire, on ne se contentera pas de ne pas indemniser les victimes ! Il faudra donc bien trouver l'argent quelque part. Aujourd'hui, il semble que ce serait à l'État d'assumer cette responsabilité financière.
Évidemment, comme EDF est une entreprise publique à 85 %, vous me direz que, dans tous les cas, c'est l'État qui devrait payer... Reste que si la France adoptait un système de responsabilité illimitée assorti d'une obligation d'assurance de l'ordre de 2,5 milliards d'euros, elle se rapprocherait des standards européens et internationaux, ce qui serait aussi beaucoup plus sécurisant pour la population.
Tous ces problèmes vont être débattus dans les mois qui viennent. Ils sont susceptibles d'avoir des conséquences sur le prix de l'électricité. Si l'exploitant doit s'assurer pour un montant six fois supérieur au montant actuel, ses comptes en seront nécessairement affectés.
Pour me résumer, monsieur le rapporteur, je réponds par la négative à votre première question : selon nous, le prix de l'électricité ne reflète pas la totalité des coûts, car certaines externalités, qui sont aujourd'hui pas, peu ou mal prises en compte, vont certainement voir leur coût augmenter dans les mois et les années à venir.