Intervention de Sophia Majnoni d'Intignano

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 11 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Sophia Majnoni d'intignano chargée des questions nucléaires pour greenpeace france

Sophia Majnoni d'Intignano, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France :

Il est possible de faire ce calcul. Pour le démantèlement et la gestion des déchets, EDF le fait. Nous considérons que son estimation est basse et qu'il convient de la revoir à la hausse. La Cour des comptes va plutôt dans notre sens.

Greenpeace, en tant qu'ONG indépendante, peut fournir des contre-expertises techniques permettant de contester les chiffres d'EDF : par exemple, nous pouvons avancer le chiffre de 70 milliards d'euros, plutôt que celui de 18 milliards d'euros, pour les coûts de démantèlement.

Mais, au bout du compte, c'est au pouvoir politique de trancher sur le fondement des données techniques.

Ce qui importe, c'est que, dans vingt-cinq ans, nous ne retrouvions pas dans une situation où des provisions insuffisantes devraient être augmentées, avec des conséquences brutales sur le prix de l'électricité. C'est le risque sur lequel nous appelons à la vigilance.

Le problème du coût de l'assurance est complètement différent. Nous défendons un régime de responsabilité illimitée qui est davantage dans l'intérêt du citoyen, moins dans celui de l'industriel puisque ce dernier peut devoir payer beaucoup.

Dans ce système, on sait que le risque ne peut pas être assuré en totalité. Mais certains niveaux d'assurance sont peut-être plus acceptables que d'autres pour la société. C'est au pouvoir politique qu'il appartient de les déterminer.

Une ONG comme Greenpeace peut fournir des expertises extérieures et indépendantes pour évaluer des montants. Elle peut éventuellement élaborer des propositions législatives, mais pas beaucoup plus...

J'aborde maintenant la deuxième question de M. le rapporteur, qui porte sur la prolongation de la durée de vie des centrales et ses alternatives.

La France se trouve dans une situation très particulière compte tenu de la part de 75 % que le nucléaire représente dans son mix électrique.

Sa situation est particulière aussi parce que les réacteurs français ont été construits dans un laps de temps très court : 80 % du parc nucléaire a été construit entre 1977 et 1987. Autrement dit, 80 % des réacteurs arriveront en même temps à l'âge de quarante ans.

Sans doute, on peut débattre de la durée de vie initiale d'un réacteur : est-ce trente, quarante ou cinquante ans ? Les études techniques montrent que lorsqu'ils ont été construits, on hésitait entre trente et quarante ans, l'âge de quarante ans étant considéré comme un maximum pour des raisons techniques.

En effet, si certaines pièces d'un réacteur peuvent être remplacées, comme le générateur de vapeur, deux pièces assez décisives pour la sûreté ne peuvent pas être changées : la cuve et l'enceinte de confinement. Vous verrez que cette donnée sera déterminante pour les choix économiques à propos du remplacement du parc nucléaire.

D'ici à 2027, nous serons confrontés à l'obligation de prolonger 80 % de nos réacteurs, de les remplacer ou de leur substituer des alternatives.

Le remplacement se ferait dans une proportion de 1 pour 0,6 ou 0,7, puisqu'un EPR est beaucoup plus puissant qu'un réacteur actuel. Cependant, le coût de production du mégawattheure nucléaire par un EPR, tel qu'on l'évalue aujourd'hui, est beaucoup plus élevé que le coût de production actuel de notre électricité nucléaire : la Cour des comptes le situe entre 70 et 90 euros par mégawattheure.

À Flamanville et en Finlande, si l'EPR n'est pas à proprement parler un prototype, c'est en tout cas une tête de série. Aussi la Cour des comptes ne s'aventure-t-elle pas à prévoir le coût de production de l'électricité par un EPR dans quinze ans.

Toujours est-il qu'aujourd'hui, ce coût est compris entre 70 et 90 euros par mégawattheure. Il est donc très élevé, supérieur, par exemple, au coût de production de l'électricité dans l'éolien terrestre - par différence avec l'éolien offshore.

De surcroît, le risque existe que ce coût continue d'augmenter en raison des nouvelles normes de sûreté liées à la prise en compte de l'accident de Fukushima.

Au total, pour nous, il n'est pas crédible de prétendre remplacer les réacteurs nucléaires par des EPR. Sur le plan économique, ce n'est pas une solution acceptable. Compte tenu du coût actuel de la technologie, elle entraînerait inévitablement des augmentations du prix de l'électricité.

Pour bien comprendre, il faut considérer l'histoire de l'évolution des coûts. Le nucléaire est une technologie dont on dit qu'elle a une courbe d'apprentissage négative. Autrement dit, tout au long de l'histoire du nucléaire, les technologies n'ont eu de cesse de coûter plus cher que prévu.

Leurs coûts n'ont cessé d'augmenter pour une raison facile à comprendre et que certains trouveront peut-être souhaitable : la prise en compte de la sûreté et des enseignements tirés des différents accidents.

Dans les années 1970, le coût de la troisième génération du nucléaire était évalué à 1 000 dollars par kilowatt. Aujourd'hui, les études conduites sur le sujet, notamment par l'Agence pour l'énergie nucléaire, l'AEN, font état d'un montant maximal de 6 000 dollars par kilowatt.

Il se produit donc des hausses de coût très importantes. Elles resteront très importantes après Fukushima, car, même si l'EPR prend déjà en compte un certain nombre d'enseignements tirés de Tchernobyl, Fukushima a mis en évidence un nouveau type de risques, auquel l'EPR n'a pas du tout été conçu pour faire face : le cumul d'accidents survenant au même moment.

Pour nous, le remplacement des réacteurs actuels par des EPR n'est ni crédible ni souhaitable sur le plan économique.

Deux options restent donc : la substitution et l'extension de la durée de fonctionnement.

Vous aurez compris, je pense, que la deuxième solution est privilégiée par EDF et, de manière générale, par les industriels nucléaires du monde entier.

La raison en est simple : une centrale nucléaire étant amortie au bout de vingt à trente ans, on gagne beaucoup d'argent en la faisant fonctionner plus longtemps. C'est un objectif tout à fait honorable pour une entreprise privée mais vous imaginez bien que, pour notre part, nous avons des doutes sur l'opportunité de choisir cette option.

En ce qui concerne d'abord la sûreté et la sécurité, les phénomènes de vieillissement, qui se manifestent à partir d'environ vingt ans, augmentent significativement le risque que se produise un jour un accident nucléaire majeur. À nos yeux, cette première raison suffit à justifier notre opposition à l'extension de la durée de fonctionnement des centrales.

Mais il y a, en outre, le fait qu'un aléa économique pèse sur cette option - je le mentionne quoique ce soit un aspect plus éloigné de notre coeur de métier.

En effet, nous n'avons absolument aucune idée de ce que seront les coûts de maintenance du parc nucléaire dans les années à venir.

Aujourd'hui, EDF annonce un plan de 50 milliards d'euros, auxquels il faudrait ajouter 5 milliards d'euros pour la mise à niveau post-Fukushima.

Mais ce chiffre n'est pas le premier qu'EDF ait avancé. En 2008, comme la Cour des comptes l'explique très bien dans son rapport sur les coûts de la filière électronucléaire, EDF évaluait les coûts à 400 millions d'euros par réacteur pour une extension de la durée de fonctionnement au-delà de quarante ans. Ce montant est passé à 600 millions d'euros en 2010, puis à 900 millions d'euros en 2011, avant l'accident de Fukushima.

Par conséquent, lorsqu'EDF présente, après l'accident, un plan d'investissement de 50 milliards d'euros destiné notamment à faire face aux obligations de sûreté post-Fukushima, il ne s'agit pas d'une somme nouvelle : elle avait déjà été annoncée avant la catastrophe.

En plus de ce montant, EDF annonce 10 milliards d'euros pour le renforcement de la sûreté post-Fukushima, dont 5 milliards d'euros seraient déjà prévus dans le plan de 50 milliards d'euros. Mais l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, n'ayant pas encore défini ses prescriptions, il est impossible de prévoir le coût des aménagements de sûreté postérieurs à la catastrophe de Fukushima.

Vous voyez qu'un aléa économique très important pèse sur les coûts de maintenance à supporter pour obtenir le prolongement de la durée de fonctionnement du parc au-delà de quarante ans.

Ce premier aléa est aggravé par l'aléa pesant sur la durée de fonctionnement elle-même. En effet, il ne suffira pas d'investir 55 milliards d'euros pour que l'ASN autorise une prolongation de la durée de fonctionnement des centrales jusqu'à soixante ans. En France, ce n'est pas ainsi que les choses se passent.

Je sais que vous avez le pouvoir de changer la loi mais, dans son état actuel, celle-ci prévoit des visites décennales et un réexamen du niveau de sûreté des réacteurs tous les dix ans au moins.

C'est en fonction de cet examen que l'ASN décidera si les réacteurs sont en état de continuer à fonctionner pendant un an, deux ans, trois ans ou davantage. Ayant indiqué très clairement qu'elle n'avait pas l'intention de changer ce système, elle ne donnera pas à EDF un blanc-seing pour vingt ans.

Aujourd'hui, l'ASN est incapable de prévoir si l'état des cuves permettra la poursuite du fonctionnement des installations après quarante ans. Personne ne peut le dire.

Le moment venu, si l'ASN constate que l'état de certaines cuves ne permet pas la poursuite du fonctionnement, elle n'hésitera pas à demander l'arrêt des réacteurs concernés.

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