Autrement dit, il faudrait investir au moins 55 milliards d'euros et peut-être davantage pour une durée de fonctionnement impossible à prévoir...
Je souhaite attirer votre attention sur un phénomène assez étrange : dans certains cas, parce qu'elle est une entreprise publique, EDF pourrait avoir tendance à réaliser des investissements financièrement plus risqués que ceux auxquels consentiraient des entreprises privées.
Pour vous le faire comprendre, je vais prendre l'exemple des projets nucléaires au Royaume-Uni.
Aujourd'hui, tout le monde sait que le nucléaire, comme Citigroup l'a montré dans son rapport « New Nuclear - The Economics Say No », est l'énergie la plus capitalistique, c'est-à-dire celle qui demande, à l'origine, les investissements en capital les plus importants. Le nucléaire, très cher à la construction, est moins cher au fonctionnement : c'est ainsi que les industriels s'y retrouvent.
Les coûts des dernières générations augmentant, il devient nécessaire de trouver des incitations fortes, notamment réglementaires, pour rendre financièrement intéressants les investissements dans la construction de centrales nucléaires.
Dans son rapport, Citigroup a établi qu'en l'absence de sécurisation des tarifs d'achat ou d'incitations passant, par exemple, par des mécanismes d'achat de la tonne de CO2, il est financièrement trop dangereux pour une entreprise privée d'investir dans la construction d'une nouvelle centrale nucléaire. Il faut donc, pour qu'une entreprise se lance dans un tel projet, qu'elle bénéficie du soutien très fort d'un État.
Il y a une semaine, RWE et E.ON se sont retirés des projets nucléaires au Royaume-Uni. Évidemment, il serait trop simpliste de prétendre qu'il y a une seule raison à ce choix. J'imagine bien que la réorientation stratégique de l'Allemagne à incité ces entreprises à prendre cette décision.
Toujours est-il que lorsque leurs présidents-directeurs généraux déclarent qu'il est aujourd'hui plus intéressant, du point de vue du retour sur investissement, d'investir dans les énergies renouvelables plutôt que de le faire dans le nucléaire, ils envoient aux marchés un signal relativement négatif au sujet de la construction de nouvelles centrales.
On peut donc se demander comment EDF, entreprise publique, se retrouve seule à investir sur un marché dont les entreprises privées se retirent.
De là vient notre interrogation sur le rôle d'EDF : est-elle toujours une entreprise de service public, dont la mission est d'investir dans la sécurisation du système électrique français pour les vingt, trente ou quarante prochaines années, ou bien réalise-t-elle des investissements risqués sur des marchés étrangers ? Pour l'instant, on a plutôt l'impression qu'elle réalise des investissements risqués sur des marchés étrangers...
La question de l'extension de la durée de fonctionnement se pose dans les mêmes termes, puisqu'il est très risqué d'investir 55 milliards d'euros dans une technologie dont on ne sait ni ce qu'elle coûtera en définitive ni même combien de temps elle pourra fonctionner.
Si EDF, entreprise publique, ne pouvait pas compter sur le soutien de l'État, je ne suis pas sûre qu'elle se lancerait dans un tel investissement. Demandez donc à des banquiers s'ils seraient prêts à le financer !
Monsieur le rapporteur, je réponds à votre deuxième question que nous sommes en faveur d'une sortie progressive du nucléaire, assortie d'investissements massifs dans les énergies de substitution, c'est-à-dire les énergies renouvelables.
Je vous conseille d'utiliser le fabuleux outil conçu par Bloomberg. Il permet de connaître la date à laquelle l'énergie solaire atteindra la grid parity, la parité avec le réseau, en fonction du pays et du retour sur investissement attendu : en France, ce sera entre 2014 et 2016.
Plus le temps passera, plus les énergies renouvelables seront compétitives et moins le nucléaire le sera. Maintenir le nucléaire est donc un choix purement politique.
Dans votre deuxième groupe de questions, monsieur le rapporteur, vous m'interrogiez aussi sur la quatrième génération, c'est-à-dire, en France, les réacteurs au sodium.
Sans être spécialiste de cette question, je peux vous répondre que le projet Astrid, mené par le Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, sur le site de Marcoule, et qui a reçu 1 milliard d'euros dans le cadre du grand emprunt, n'est pas le premier projet de recherche sur les réacteurs au sodium.
Superphénix, en effet, était déjà un réacteur au sodium. Je crois que le Sénat a publié de très bons rapports sur son fonctionnement et sur son arrêt.
On a polémiqué en prétendant que Superphénix aurait été arrêté par un gouvernement de gauche pour des raisons politiques, sous la pression des écologistes. Mais si l'on considère la manière dont ce réacteur a fonctionné, on s'aperçoit qu'il était techniquement très difficile de le rendre rentable. Ce n'est donc pas seulement en raison de l'opposition des écologistes que Superphénix a été arrêté.