C'est un honneur d'être présent parmi vous. L'objectif de notre forum Netopia est de réfléchir sur l'évolution des nouvelles technologies. Notre forum s'intéresse ainsi aux droits de l'homme, à la démocratie et à l'évolution de l'État dans le cadre d'Internet. Ce forum dispose d'un site constamment enrichi par ses utilisateurs, netopia.eu, et organise des événements. Il publie également des rapports comme celui qui nous réunit aujourd'hui et qui porte sur la question de l'éthique dans le monde numérique. Ce rapport a été notamment rédigé par M. Peter Warren et comprend l'intervention du Professeur Murray Shanahan ; tous deux vont intervenir à mes côtés dans le cadre de cette audition.
En tant que rédacteur en chef de Netopia, j'ai commandité la rédaction de ce rapport de fond sur la question de l'éthique dans le monde numérique. Tout d'abord, ce rapport traite du problème du libre arbitre et de la problématique de la liberté dans la technologie. En effet, comme l'a souligné la société CISCO, l'augmentation du trafic sur Internet va être générée dans les années à venir davantage par les machines que par les êtres humains. Cette évolution s'inscrit dans la relation entre machines déjà existantes, mais elle opère un saut qualitatif puisque ce sont les machines qui vont prendre des décisions au nom des êtres humains. D'ailleurs, ces machines nous font croire qu'elles sont presque humaines : les affichages publicitaires, les transactions notamment financières, sont préparés par des machines et non par des humains ! Si vous jouez aux échecs en ligne, par exemple, grandes sont vos chances de vous mesurer à un robot ! Un grand nombre de domaines de l'activité humaine est concerné par les robots, comme dans l'assurance, la santé ou encore la défense.
Cette évolution induit le problème de la responsabilité et de l'éventualité de droits dont pourraient bénéficier les robots. Les machines devraient-elles obtenir des droits humains ?
S'agissant de la liberté, les paroles de Jean-Paul Sartre selon lesquelles « l'homme est condamné à être libre parce qu'il ne s'est pas créé lui-même. Parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait » retentissent avec une évidente actualité.
Pour certains activistes, la liberté d'Internet devrait impliquer l'absence de régulation gouvernementale, mais cette définition nous semble curieuse car les institutions publiques existent pour préserver nos libertés. Sans la loi et les institutions qui ont pour fonction de préserver le droit, nous serions dans l'état de nature tel que le décrit Thomas Hobbes comme un état de guerre de tous contre tous.
La réalité de l'Internet aujourd'hui n'est pas celle de l'anarchie ! La technologie d'ailleurs cache d'autres autorités, plus puissantes encore que les gouvernements, que sont les entreprises privées qui créent et gèrent les services. Celles-ci sont les véritables autorités de réglementation et non les autorités démocratiques. Si l'on accepte ce point, on laisse à ces entreprises toute latitude pour décider du fonctionnement de l'ensemble du réseau Internet.
Cette question de la liberté se complexifie du fait des difficultés de traduction inhérentes au terme de libre en langue anglaise : en effet, « free » signifie également gratuit, et la gratuité est souvent présentée, et ce, de manière fallacieuse, comme la caractéristique obligée d'Internet.
Que les informations sur Internet soient libres et gratuites impliquent leur accessibilité pour tous à l'instar de l'intuition de Stewart Brand qui avait, dès les années 80, créé une sorte d'ancêtre de l'Internet. L'accessibilité fait en effet débat : d'une part, les informations devraient avoir un prix car elles changent la vie des individus quand elles arrivent au bon moment, à la bonne place, et, d'autre part, elles devraient être gratuites, car leurs coûts de publication et de diffusion diminuent. La liberté n'entraîne pas ainsi la gratuité !
Ma conclusion, c'est que la démocratie implique la liberté et il importe que les gouvernements démocratiques jouent un rôle actif en ligne et réglementent la technologie plutôt que laisser cette dernière dominer la vie de leurs citoyens. Cette démarche s'avère de plus en plus difficile avec l'arrivée constante de nouvelles technologies comme les algorithmes autonomes. Cette influence gouvernementale peut cependant être exercée de deux manières : tout d'abord, en versant des subsides et des subventions à la recherche pour faire des études d'impact des technologies et en réglementant, ensuite, les entreprises de l'Internet.
Notre rapport a précisé ces aspects. D'ailleurs, je citerai à nouveau Jean-Paul Sartre : « l'existence précède l'essence ». Ce principe s'applique non seulement aux humains, mais aussi aux machines. Nous les avons conçues avec un objectif. Je passe la parole au Professeur Murray Shanahan.