Intervention de Sibyle Veil

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 24 janvier 2022 à 15h30
Audition de Mme Delphine Ernotte cunci présidente de france télévisions Mme Sibyle Veil présidente-directrice générale de radio france et M. Bruno Patino président d'arte

Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France :

Merci beaucoup de nous réunir pour parler d'un sujet important qui concerne l'évolution de l'écosystème des médias et de ses impacts sur le débat public. Cela permet d'envisager le sujet des médias du bon côté, à un moment où des critiques ont paradoxalement été émises à l'encontre du service public, alors que son utilité et sa reconnaissance n'ont sans doute jamais été aussi fortes. Il est vrai que nous n'avons jamais eu autant d'auditeurs à Radio France que lors de ces dernières années.

Nombre de personnes auditionnées devant votre commission ont rappelé l'évolution des usages et la concurrence internationale, qui constituent une nouvelle donne du secteur audiovisuel et appellent logiquement la consolidation d'acteurs nationaux aux niveaux français et européen. Cette concentration présente évidemment des avantages : des effets d'échelle, de masse critique ; elle a aussi des inconvénients, qui ne sont pas automatiques, sur les salaires, les prix, la diversité. Des acteurs très innovants, mais de taille réduite ou présents sur des segments restreints peuvent être aussi performants que des mastodontes multimétiers, qui peuvent se confronter à l'échec quand ils oublient d'être innovants.

Par conséquent, dans une économie ouverte telle que la nôtre, le législateur doit avant tout avoir à coeur d'aider les acteurs à être performants, quelle que soit leur taille, pourvu que la diversité, l'innovation et l'indépendance soient garanties. Cela concerne autant le secteur de la vidéo dont on parle beaucoup que les acteurs de l'audio, malheureusement un peu délaissés. Nous avons besoin d'acteurs forts et innovants pour contrer, d'un côté, Netflix et les autres plateformes de vidéo, et, de l'autre, Spotify, Apple, Amazon Music, pour le secteur de la radio et de la musique. Voici le message que j'aimerais vraiment faire passer devant votre commission : il faut sortir l'audio de l'oubli. C'est sur ce sujet spécifique que je souhaiterais apporter un éclairage complémentaire.

Dans le monde actuel, les concurrents de Radio France ne sont plus simplement RTL, Europe 1, RMC Info ; ce sont aujourd'hui Spotify, Apple ou encore Amazon qui lance son offre de podcasts en France. On sait combien le rapport des jeunes à la musique, à l'« audio parlé » a changé, eux qui passent beaucoup plus de temps à streamer sur des plateformes qu'à se diriger vers des médias traditionnels.

Il est donc essentiel aujourd'hui, dans ce nouveau secteur audio, d'investir en faveur de l'innovation pour préserver une forme de souveraineté culturelle. Sans promotion de la richesse de la musique en France, il faudra se résigner à ce que, dans dix ans, les jeunes n'écoutent plus aucun artiste français. Or, sur les plateformes de streaming, les algorithmes ne sont pas conçus pour favoriser la diversité. Pour agir, nous pouvons compter sur un service public qui a pris la question de l'exception culturelle française à bras-le-corps.

Depuis que je suis présidente de Radio France, j'ai fait deux choix stratégiques. J'ai voulu, d'une part, remettre l'audio au coeur de notre stratégie et de nos investissements. L'apparition de ces nouveaux acteurs mondiaux de l'audio sur le podcast et la musique nous a donné raison. J'ai décidé, d'autre part, de réduire notre dépendance aux grands agrégateurs en matière de distribution numérique. Quand j'ai pris mes fonctions en 2018, 84 % de nos podcasts étaient écoutés sur des plateformes, des agrégateurs anglo-saxons. À la fin de 2021, notre application Radio France, 100 % audio, avait plus d'utilisateurs mensuels qu'Apple Podcasts. C'est vous dire le chemin que nous avons réussi à parcourir. Cela représente un accomplissement immense compte tenu de la disproportion de forces et de moyens entre Apple et la radio de service public en France. Cette application s'appuie sur nos contenus et des investissements technologiques en faveur de l'ergonomie, de l'expérience utilisateur et des plateformes. Les médias historiques qui n'engagent pas aujourd'hui cette mutation sont condamnés à disparaître progressivement des usages des Français, à commencer par ceux des plus jeunes générations. Nous avons besoin d'acteurs, y compris privés, de la radio et de l'audio qui soient forts pour entretenir l'intérêt du public pour le média radio.

Oui, cette consolidation est bénéfique si elle permet aux acteurs de la radio d'engager leur mutation vers l'audio. Or, ces dernières années, les différents rapprochements multimédias ont souvent été réalisés au détriment de ce média. Au sein des groupes radiotélévisés, on observe que la radio est rarement tirée vers le haut dans les choix d'investissements. Pour le DAB+, la France a pris beaucoup de retard par rapport à ses voisins européens quant au déploiement de cette nouvelle technologie de diffusion de la radio. Cela résulte du manque de priorisation de cet investissement par les différents grands acteurs de la radio. Continuer à écouter la radio sur la technologie FM qui date des années 1940 est-il le meilleur moyen de rendre ce média encore attractif pour les plus jeunes générations ? Heureusement, avec la persévérance de l'Arcom, de la radio publique française et d'autres acteurs, le virage vers le DAB+ a pu être engagé à l'instar de nombre de nos voisins européens. Le Royaume-Uni envisage par exemple d'ici à 2030 le basculement de toute la diffusion dans cette technologie.

Par ailleurs, les rapprochements entre l'offre radio et l'offre télévision ont souvent lieu dans une logique de synergie de coûts, de couplage, notamment concernant les offres publicitaires, en diffusant le même programme sur les deux médias, avec un appauvrissement de la diversité des contenus. C'est la raison pour laquelle les projets de coopération que nous avons développés avec Delphine Ernotte Cunci au sein de l'audiovisuel public ont eu pour objet, non pas de supprimer une offre existante, mais bien d'en créer une nouvelle en fonction des besoins. Par exemple, l'offre nouvelle de France Info a été créée grâce à l'adjonction des forces de la radio et de la télévision publiques. De plus, l'accroissement des liens entre France Bleu et France 3 vise à étendre l'offre régionale. Nous nous sommes attachés à jouer sur la force de chacun des médias et, surtout, sur l'effet démultiplicateur du projet numérique qui a sous-tendu ces principales offres.

L'information est un bien public indispensable au fonctionnement de la démocratie. Tous les médias doivent être solidaires à cet égard. Le moindre soupçon entache l'ensemble du secteur. Or le paysage informationnel s'est transformé. Pour apporter du contenu de qualité, il faut mettre en oeuvre des moyens très importants, qu'il s'agisse des reportages, des enquêtes ou de l'investigation. Il convient de ne pas se limiter à des débats sur les plateaux et aux relais de polémiques nées sur les réseaux sociaux pour faire du buzz facilement. Nous accomplissons un travail de fond important pour construire une réponse globale face à la transformation du paysage de l'information. Dans ce but, nous investissons dans l'intelligence artificielle et luttons pleinement contre la diffusion de fausses informations afin de fiabiliser les contenus.

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