Le rôle de l'actionnaire principal réside, tel que je l'ai vécu, dans une vision partagée, avec Vincent Bolloré, de la capacité pour un acteur français de faire rayonner la culture française et européenne à l'international, ainsi que de l'opportunité de marché ; une volonté de croire en la culture, seule alternative crédible face à l'hégémonie culturelle américaine - que l'on aime beaucoup par ailleurs. C'est la première chose : cette conviction partagée et la volonté de construire un acteur industriel qui pèse au niveau mondial et qui fait rayonner nos talents, notre histoire et notre patrimoine, dans lesquels nous investissons de plus en plus, et localement notamment en Europe, avec Canal+ et Studiocanal.
La deuxième vertu du rôle de l'actionnaire, de mon point de vue de salarié, est ce que Vincent Bolloré a évoqué pendant son audition, à savoir le temps. Chez Canal+, nous avons la chance de ne pas être soumis à la loi quasi quotidienne du cours de la bourse. Ce temps est crucial. Cela favorise les investissements de long terme, permet de résister à des événements ponctuels et de prendre des risques : un film nécessite trois ans d'investissement, une série, comme le Bureau des Légendes, nécessite cinq ans.
Le principal frein normatif à notre développement dont je parlais déjà en 2016 réside dans notre incapacité à détenir des droits audiovisuels. Hélas la nouvelle loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique a conforté les producteurs. Nous finançons 80 % à 90 % des coûts de fictions dont nous ne possédons aucun droit qui sont réservés aux producteurs ! Cela pose deux problèmes : notre capacité à offrir en France, marché où nous finançons ces séries, des droits un peu plus longs. La durée de ces droits a été encore réduite avec la nouvelle réglementation. Il nous est par exemple arrivé de n'avoir plus les droits de la saison 1 de Bureau des Légendes lorsque nous souhaitions proposer la saison 3 et donc de devoir refinancer une série que nous avions financée.
Faute de pouvoir détenir les droits des séries que nous avons financées en France pour les territoires hors de France, le rayonnement international des oeuvres françaises se trouve freiné. Ainsi, Versailles est un Netflix Originals aux États-Unis. Et Canal+ lui ne peut pas exploiter ses séries à l'international, sauf à se contorsionner et trouver des accords très compliqués par ailleurs. À cet égard, le groupe Canal+, le seul opérateur français à avoir cette ambition globale et présent dans cinquante pays avec une forte ambition de développement à l'international, se trouve dans une situation unique.