Je viens du monde de la publicité, de la presse et des sondages, et l'analogie que vous avez faite tout à l'heure entre une campagne publicitaire classique et la technique dite de pushing sur Internet m'a fait bondir. Quiconque a lu les quinze pages du formulaire de consentement de GMail - ce qu'évidemment personne ne fait - en ressort édifié. Nos échanges de courriels personnels sont analysés pour y identifier des mots clés qui serviront aux annonceurs. Que je parle dans un mail à ma fiancée de bague, et Google fera apparaître sur mon ordinateur un bandeau publicitaire pour des bagues de fiançailles. Belle confidentialité des échanges ! Pour avoir travaillé au Canada, avec l'hôpital de Montréal, sur un projet de recherche lié à la santé mentale, je puis vous dire que les contrats de consentement liés à la recherche sont autrement protecteurs des droits des individus, et de leurs proches. Même chose, en France, pour les données liées au recensement : on ne peut formuler des requêtes sur des données trop précises, comme le nombre de propriétés de plus de tant d'hectares sur une zone, dès lors qu'elles permettent une identification. Pour moi, la seule enquête légitime sur les données individuelles est l'enquête de police, pour les incriminations de pédophilie, ou de propos antisémites, par exemple. Tout autre chose est d'agréger, de sa propre initiative, des données personnelles comme le font les grands acteurs du web. Si le scandale de la NSA a été possible, ce n'est pas parce que l'Etat américain exerce un contrôle sur les majors de l'Internet, qui se sont, de fait, librement développés, mais parce que la contrepartie à l'évasion fiscale qu'ont organisée ces sociétés a été, pour l'administration fiscale américaine, le privilège de l'information sur certaines données.
Vous nous avez décrit un monde pur et parfait de l'Internet transfrontière, mais faut-il rappeler que la Chine pose plus de barrières qu'on ne croit, et qu'on a vu de grands opérateurs, que vous nous avez décrits comme des héros de la neutralité, se plier à ses exigences...
Certes, il y a une dimension transfrontière de l'Internet, mais quand on atteint les agrégats des utilisateurs, il faut en venir à une fragmentation - pas nécessairement territoriale - si l'on veut que les choses restent gérables, y compris du point de vue technologique. Et je ne sais si l'on pourra longtemps partir des principes de neutralité et d'universalité. Au reste, la culture de l'Internet reste très occidentalo-centrée et dès lors qu'une partie de la planète n'est pas gouvernée selon les mêmes principes, il n'est pas sûr que ce nouveau média termine dans l'état de liberté qui l'a inauguré.