Intervention de David Martinon

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 4 février 2014 à 14h30
Audition de M. Bertrand de la Chapelle directeur du projet internet et juridictions et de M. David Martinon représentant spécial pour les négociations internationales sur la société de l'information et l'économie numérique

David Martinon, représentant spécial pour les négociations internationales sur la société de l'information et l'économie numérique :

Le tableau que vient de dresser Bertrand de La Chapelle est exhaustif, et je n'y reviendrai pas, sinon pour dire que je n'en tire pas nécessairement les mêmes conclusions que lui. Il est cependant un sujet sur lequel je le rejoins. Lorsque nous avons préparé la séquence de négociation qui s'ouvre pour quelque dix-huit mois, nous avons entrepris, pour essayer d'en étendre les objectifs, de partir des problèmes qui nous concernent en tant qu'État - sécurité, ordre public... Nous nous sommes donc attachés aux questions touchant la cybercriminalité, la cybersécurité, le blanchiment... Leur problématique commune est celle des données personnelles. Ainsi, en matière de cybercriminalité, la question est-elle de savoir dans quelles conditions les Etats peuvent, via la Convention de Budapest, dont nous souhaitons l'universalisation, avoir accès à ces données, susceptibles de constituer des faits générateurs de phénomènes délictuels, donc des preuves. C'est la même problématique qui joue au travers de la Convention 108 du Conseil de l'Europe. Le statut des données personnelles n'est pas le même en Europe, dans la zone Asie-Pacifique ou aux Etats-Unis. Comment faire face à cette diversité, qui borne, d'ailleurs, notre mandat de négociation ? En tout état de cause, L'Union européenne ne pourra parler haut, sur la scène internationale, de la question de la protection des données personnelles, tant qu'elle ne sera pas parvenue, en son sein, à un consensus. Que le paquet « données personnelles » soit toujours en négociation nous met en situation de fragilité.

Considérez ce que je vais vous dire comme de simples pistes de réflexion, qui n'ont pas encore reçu la sanction interministérielle. Les mois à venir vont être jalonnés par les réunions de l'ICANN, le forum sur la gouvernance de l'Internet, le sommet de Sao Paulo, les réunions de l'Union internationale des télécommunications (UIT), et les dix ans du sommet mondial pour la société de l'information.

Comme vous, nous estimons, au sein du ministère des affaires étrangères, comme au ministère du redressement productif et dans quelques autres, que si les décisions, en matière de gouvernance, sont techniques, elles n'en ont pas moins une portée politique et économique majeure. Je partage le constat de Bertrand de La Chapelle sur les interrogations que soulève le fonctionnement de l'ICANN, mais présenterai les choses autrement. La prégnance des Etats-Unis sur l'institution, tout d'abord, via la maîtrise des outils techniques, est une réalité. L'ICANN étant une société à but non lucratif devrait être responsable devant une assemblée, ce qui n'est pas le cas dans les faits, puisqu'elle n'est pas une société d'actionnaires. Le conseil d'administration de l'ICANN joue de ce statut mixte, qui lui permet de n'être responsable devant aucune instance.

Certes, le bilan de l'ICANN, même si l'on ne dispose pas de point de comparaison, est remarquable, et elle a mené un effort continu pour créer des systèmes d'évaluation et de contrôle, mais cette question de la responsabilité reste posée. Or, ce qui garantit la responsabilité dans nos sociétés démocratiques, c'est la sanction de l'élection. Nous estimons que le poids des États au sein de l'ICANN n'est pas à la mesure de leur poids dans l'économie réelle et de l'état du droit international.

Cependant, étant entendu que les États-Unis gardent la maîtrise des évolutions, il est clair que certains scénarios sont exclus. Il en est ainsi de celui qui tendrait à placer l'ICANN sous tutelle d'une organisation de type onusien, tentation que je ne partage pas, mais qui existe en France et dans d'autres Etats. On n'y arrivera pas, parce que les Etats-Unis, qui voient l'IUT comme un repoussoir et suspectent toute organisation onusienne de lourdeur et de bureaucratie, s'y refusent.

La France, comme ses partenaires européens, reconnaît l'efficacité et la légitimité du modèle multiacteurs consacré par le sommet mondial pour la société de l'information. Au reste, plutôt que de modèle, il serait plus juste de parler d'approche. Ainsi, de même qu'il y a de l'intergouvernemental dans l'ICANN, il y a du multiacteurs dans l'IUT, qui compte 700 entreprises parmi ses membres, lesquelles font aussi la politique des Etats. En France, le Conseil national du numérique est associé aux décisions. L'approche multiacteurs va de pair avec la démocratie, et se sophistique avec elle.

Il y a, dans la négociation en cours, plusieurs agendas. Celui de l'Europe, qui veut plus de poids des Etats au sein de l'ICANN, et plus de responsabilité. Celui des Etats-Unis, qui, balançant entre le maintien du statu quo et la conscience des évolutions qu'appelle la mise au jour du programme de surveillance de masse de la NSA, sont soucieux de réaffirmer leur attachement à la transparence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion