Mes chers collègues, nous accueillons maintenant Emmanuel Puisais-Jauvin, Secrétaire général des affaires européennes. Nous sommes heureux de vous recevoir ici au Sénat pour une première prise de contact avec notre commission des affaires européennes, depuis votre entrée en fonction il y a bientôt quatre mois.
Vous êtes à la tête du Secrétariat général des affaires européennes, qui est chargé de la coordination interministérielle sur les questions européennes, sous l'autorité de la Première Ministre, dont vous êtes d'ailleurs le conseiller Europe. Votre mission est donc de rapprocher les positions des administrations françaises et d'obtenir éventuellement des arbitrages, pour que la France ne parle plus que d'une seule voix à Bruxelles, où elle s'exprime via le Représentant permanent qui est chargé pour sa part de négocier avec les autres États membres au sein du Conseil. Vous êtes donc parfaitement au fait de toutes les négociations en cours au niveau européen.
L'actualité européenne est particulièrement riche en ce moment, et principalement marquée par la guerre en Ukraine qui change fondamentalement la donne dans tous les domaines, comme nous venons de le voir avec le cadre financier pluriannuel, et qui consacre la transformation de l'Union européenne en un projet géopolitique. Si l'Union est parvenue à réagir de manière solidaire au choc de la pandémie, on peut se demander si elle parviendra à rester unie dans l'épreuve que lui inflige le conflit ukrainien : solidaire pour défendre ses valeurs et pour accueillir les réfugiés ukrainiens fuyant la guerre, elle subit aujourd'hui de très fortes tensions internes face aux questions soulevées par le conflit. Jusqu'où aider l'Ukraine, à la fois en termes militaires et financiers ? Nous venons précisément d'évoquer ce sujet financier, sur lequel vous reviendrez sans doute, puisqu'on annonce le dépôt d'un amendement du Gouvernement pour accroître substantiellement le prélèvement sur recettes opéré au titre de la participation de notre pays à l'Union européenne, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances qui débute au Sénat cet après-midi. Vous pourrez aussi nous dire plus largement comment vous appréhendez la révision du cadre financier pluriannuel qu'annonce la Commission.
Mais j'en reviens au défi que le conflit en Ukraine représente pour l'unité de l'Union. Comment s'entendre encore sur de nouvelles sanctions contre la Russie, après les premiers paquets de sanctions qui étaient naturellement plus consensuels ? Comment construire une Europe de la défense quand certains États s'équipent d'urgence en équipements américains ? Comment gérer solidairement l'impact économique de la flambée des prix de l'énergie qu'alimentent les sanctions contre la Russie, alors que chaque État est tenté de réagir en fonction de ses intérêts propres, de son mix énergétique et de l'état de ses finances publiques ? Et, en toile de fond de ces questions, comment préserver la relation franco-allemande, durement mise à l'épreuve dans ce contexte ?
Plus spécifiquement, nous souhaiterions en savoir plus sur la position que la France défend concernant la réforme du marché de l'énergie qu'elle appelle de ses voeux. Le mécanisme ibérique, qui peut s'entendre dans le cas d'une péninsule, semble difficile à revendiquer pour un pays comme le nôtre, qui dispose d'interconnexions énergétiques avec tous les pays limitrophes, dont certains ne sont d'ailleurs pas membres de l'Union européenne. Pour avoir discuté avec nos collègues espagnols et portugais, ils sont très satisfaits du dispositif en place les concernant. Quelles sont donc les différentes options que la France envisage pour résoudre la crise énergétique ? Nous avions parlé également du plafonnement des prix du gaz, où en sommes-nous ? Ce sont des questions qui nous sont fréquemment posées par nos collègues : la France est-elle encore proactive sur ces débats ?
Sur un autre plan, je voudrais aussi vous interroger sur l'avenir de l'agence Frontex, qui est chargée de la surveillance des frontières extérieures de l'Union - sujet lui aussi d'actualité brûlante - et qui traverse une crise profonde depuis deux ans. La démission au printemps de son directeur exécutif, le Français Fabrice Leggeri, n'a pas résolu la crise et nous serions intéressés de connaître votre analyse de la situation : pourquoi la nomination de son successeur prend-elle autant de temps ? Pourquoi la France n'a-t-elle pas présenté de candidat ? Notre pays perd ainsi la direction d'une des plus importantes agences européennes. La présence des Français et la pratique du français dans les institutions européennes sont clairement en perte de vitesse : envisagez-vous d'enrayer ce mouvement et, si oui, comment ?
Enfin, je souhaite aussi vous sensibiliser à un sujet qui nous préoccupe profondément : le risque que représente, pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme si elle devait s'accompagner d'une extension du champ de compétence de la Cour de justice de l'Union aux violations de droits fondamentaux susceptibles d'intervenir dans le cadre de la PESC. Plus fondamentalement, nous sommes en outre inquiets que ce changement intervienne sur le simple fondement d'une déclaration interprétative des traités, convenue entre États membres sans même consultation de la représentation nationale. Vous savez, Monsieur le Secrétaire général, que je suis très sensible à cette question, qui est remontée au plus haut, notre commission ayant entamé à ce propos des discussions à la fois avec le Gouvernement et avec la présidence de la République. C'est un sujet fondamental. Le Président du Sénat, Gérard Larcher, a récemment reçu la Présidente de la Cour européenne des droits de l'Homme. J'ai participé à cette entrevue et elle nous a fait part de son propre questionnement à ce sujet. La question est sensible, du côté français mais également du point de vue de la CEDH.
J'en resterai là, certain que mes collègues auront également de nombreuses questions complémentaires à vous soumettre et vous laisse d'abord la parole pour un tour d'horizon liminaire.