Intervention de Emmanuel Puisais-Jauvin

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 novembre 2022 à 8h35
Institutions européennes — Audition de M. Emmanuel Puisais-jauvin secrétaire général des affaires européennes

Emmanuel Puisais-Jauvin, Secrétaire général du SGAE :

Monsieur le Sénateur Leconte, nous voulons effectivement mettre l'accent sur la mobilisation des fonds européens. En ce qui concerne votre question spécifique sur le plan de relance, les travaux ont bien progressé. Vous savez où nous en sommes au niveau français : nous avons déjà reçu un premier versement. Nous sommes en train de travailler aux modalités du deuxième versement, qui devrait atteindre 12,7 milliards d'euros après la correction technique appliquée à notre pays qui s'en sort mieux que d'autres. En ce moment, nous sommes en train de passer en revue l'intégralité des soixante-cinq cibles et jalons dont l'atteinte est nécessaire pour l'obtention de ce deuxième versement. Le calendrier se déroule convenablement ; nous allons avoir un sujet d'ajustement de notre plan national de relance et de résilience (PNRR) que je me permets de signaler, du fait de la négociation RepowerEU qui va s'achever sous peu. Cet instrument, proposé par la Commission le 18 mai dernier, est une des réponses proposées à la sortie des dépendances stratégiques. Une fois achevé, RepowerEU devra être intégré à l'ensemble des PNRR. Il faudra alors procéder à une révision du PNRR, en France comme dans tous les États membres. Cela reste un sujet de premier rang et pour lequel nous sommes vigilants.

Sur la question énergétique et la facture à payer, nous faisons tout, au niveau national comme européen, pour réduire le plus possible le coût final pour le consommateur. Vous avez en tête les dispositifs nationaux mis en place, les fameux « boucliers tarifaires » reconduits pour les ménages à compter du 1er janvier prochain qui plafonnent l'augmentation des prix du gaz et de l'électricité à 15% en 2023. « L'Amortisseur électricité » pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) a également été présenté il y a quelques semaines et devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2023. Tout ceci permet de réduire l'impact de la flambée des prix et n'est pas étranger au fait que notre pays connaisse l'une des inflations les plus basses en Europe. Au niveau européen, la situation est plus compliquée, même si des mécanismes permettent d'amortir les coûts, dont le mécanisme de captation de la rente infra marginale pour redistribuer aux ménages et aux entreprises les bénéfices excessifs. Tout ceci doit être fait en gardant constamment à l'esprit notre cap de transition énergétique et climatique, c'est-à-dire le Pacte vert. Certains voient dans les difficultés actuelles une nécessité de reporter à plus tard ces objectifs, nous pensons exactement le contraire. Nous sommes convaincus que ce qui se passe vient confirmer la pertinence de cet agenda de sortie de nos dépendances aux énergies fossiles. Evidemment, il faut le faire intelligemment pour ne pas exposer nos entreprises et nos ménages à des contraintes excessives, il y a là un enjeu de proportionnalité très important. On le retrouve au coeur du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » avec le projet de fonds social pour le climat destiné à aider les ménages dans cette transition. . Il nous faut donc tenir ces deux aspects constamment, la réduction des prix de l'énergie et le « Pacte vert ».

Sur le dossier asile et immigration, j'ai également en tête l'arrêt de la CJUE d'avril dernier, qui appelle une révision du code Schengen. C'est dans ce contexte que, tous les six mois et ce depuis les terribles attentats du Bataclan, la France procède à une reconduction des contrôles aux frontières intérieures. L'exigence pour nous est d'être en capacité de le motiver et de le justifier. Notre conviction est que Schengen ne signifie pas la suppression des frontières, mais la suppression des contrôles aux frontières intérieures avec des possibilités de réintroduction de ceux-ci dûment motivée et proportionnée. Mais Schengen a également un second volet en ce qui concerne le contrôle au renforcement des frontières extérieures. Avec un certain recul, il semble que nous ayons vécu pendant longtemps avec un Schengen un peu « unijambiste », qui ne traitait pas assez du volet extérieur. Des efforts importants ont été entrepris en la matière, ce qui est fondamental. En ce qui concerne votre question qui relève davantage du droit national qu'européen, je vous confirme effectivement votre observation sur le droit d'asile. Nous avons la même compréhension des choses.

Concernant les sanctions et la question des actifs gelés, les débats sont en cours afin de décider ce qui pourrait en être fait. Le sujet n'est pas complètement acté à ma connaissance, mais il y a effectivement un débat en la matière, notamment juridique, qui revient fréquemment au Conseil.

Monsieur le Sénateur Fernique, au sujet de la vulnérabilité politique de l'Europe, nous travaillons avec tous les pays. Le Président de la République est entré en contact avec Mme Melloni avant l'affaire Ocean Viking, laquelle avait indiqué son souhait de « jouer européen ». La meilleure réponse est de lutter contre tout ce qui peut nourrir le populisme et la crise migratoire peut en faire partie.

Sur le devoir de vigilance, nous soutenons le texte que vous évoquez car la France a été pionnière en la matière en mars 2017 avec une proposition de loi portée par le député Potier et que nous avons encouragée. Ce texte vient donc en quelque sorte européaniser une idée française. Néanmoins, effectivement, un certain nombre de questions se posent aujourd'hui. Vous les avez listées. L'approche consolidée devrait être notre orientation, même si le débat interministériel n'est pas complètement tranché. Ce qui est entendu par « relation contractuelle établie » soulève également des difficultés et il faut pouvoir le préciser au risque de voir naître une insécurité juridique. Pour ce qui est des chaînes d'approvisionnement, nous sommes sur une ligne consistant à dire que nous souhaitons intégrer l'amont mais non l'aval, lorsqu'on ne le maîtrise pas et que cela serait difficile à mettre en oeuvre.

Au plan européen, nous avons eu hier un Coreper qui n'a pas été conclusif. Dès demain, le même Coreper devrait se réunir sur la question, le souhait de la présidence tchèque étant l'adoption d'une orientation générale au Conseil compétitivité, à la faveur de sa réunion les 1er et 2 décembre. Concrètement, il faut d'ores et déjà se préparer, un accord pouvant être trouvé en trilogue au coeur de l'année 2023.

Madame la Sénatrice Morin-Desailly, je vous rejoins totalement sur la politique industrielle numérique et notamment sur le sujet du cloud. Ce qui me frappe - et je sais que vous êtes une experte de ces questions - est que l'on peut se réjouir de tout ce que fait l'Union en la matière : elle est en train de construire de fait un ordre public international du numérique, avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), le règlement sur les services numériques (DSA) et le règlement sur les marchés numériques (DMA) qui, grâce à la puissance du marché intérieur, ont des effets structurants au-delà même de nos frontières. L'Europe a accompli de ce point de vue un travail normatif fondamental, dans un domaine qui a besoin d'être encadré.

Il y aurait cependant un piège à penser que cela devrait épuiser ce que l'Europe doit faire en la matière. Nous devons avoir des règles, mais également une offre industrielle et technologique à la hauteur, en s'assurant que cette offre soit en accord avec nos valeurs. Sinon, nous n'aurons pas d'autre choix que de nous en remettre à d'autres, avec les enjeux transatlantiques que vous avez parfaitement rappelés. Il nous faut donc avancer sur le cloud. Nous avons engagé des progrès en la matière, mais je pense qu'il faut faire plus. Sur les négociations avec les Etats-Unis concernant la suite de l'invalidation du Privacy Shield, cela fait des années que nous travaillons dessus, après les deux arrêts de la Cour, les fameux arrêts Schrems. La Commission a négocié avec les Etats-Unis en vue d'adopter une nouvelle décision d'adéquation qui sera soumise aux Etats membres dans les prochaines semaines. Il faudra établir si cette décision d'adéquation répond aux préoccupations que nous avons.

Au sujet de la plateforme des données de santé, le règlement sur l'espace européen des données de santé est en cours de négociation. La France le soutient pleinement car il faut pouvoir utiliser les ressources du numérique dans la construction de l'Europe de la santé. Nous aurons un rapport de progrès au conseil EPSCO du mois de décembre. Nous avons insisté auprès de la présidence suédoise, pour accélérer en vue d'une adoption de ce texte avant la fin de la législature.

Au sujet du projet d'euro numérique sur lequel travaille la Banque centrale européenne, Amazon a été retenu aux côtés d'autres entreprises dans les phases prototypes d'interface utilisateur. Cela ne signifie pas qu'Amazon sera retenu pour le développement d'un euro numérique. Amazon n'a aucun accès à des données des citoyens européens car il s'agit là de développer un prototype. Concernant la participation de la France à l'euro numérique, elle est implicite et indirecte, mais la France est présente via l'entreprise EPI (European Payments Initiative). Je propose de revenir vers vous à ce sujet.

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