Intervention de Emmanuel Puisais-Jauvin

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 novembre 2022 à 8h35
Institutions européennes — Audition de M. Emmanuel Puisais-jauvin secrétaire général des affaires européennes

Emmanuel Puisais-Jauvin, Secrétaire général du SGAE :

Merci beaucoup. En effet, Monsieur Ouzoulias, je pense qu'il est fondamental que l'économique et le politique soient imbriqués. Il ne faut jamais l'oublier en matière d'accords commerciaux, par exemple. La construction européenne est, depuis le début, politique, même si elle s'est concentrée sur l'économique. Jacques Delors disait qu'on ne tombe pas amoureux d'un marché intérieur, une phrase que je trouve frappée au coin du bon sens.

Concernant l'élargissement, votre question est capitale. Je le disais tout à l'heure, nous avons changé d'époque. Il est clair qu'en d'autres circonstances, et nos amis ukrainiens le savent très bien, la réponse de l'Union européenne aurait sans doute été différente. C'est également un des éléments qui montrent que l'Europe sait faire de la politique. Il y a évidemment, et nous y sommes attachés, des règles et des procédures pour entrer dans l'Union européenne : 35 chapitres d'acquis communautaires à reprendre, ce n'est pas rien, avec des décisions à tous les étages, de l'octroi du statut à la validation des chapitres à l'unanimité. La procédure d'adhésion est extrêmement codifiée au plan européen et au plan national.

Au-delà, il faut néanmoins garder la perspective politique. Lorsque le Président de la République a décidé d'organiser la conférence sur les Balkans le 23 juin, il avait à l'esprit la nécessité d'envoyer un message à ces voisins pour rappeler l'évidence de leur appartenance à la famille européenne, dans un contexte où - il faut l'avoir à l'esprit -, pour certains de ces pays procéder aux réformes que nous leur demandons représente un effort, avec parfois aussi un coût au sens politique du terme sur le plan intérieur. L'Union européenne doit rester vigilante sur ces procédures, par enjeu d'équité entre ceux ayant fait ces efforts et ceux ayant à les réaliser désormais. Dans le même temps, il faut absolument envoyer des signaux positifs, sous peine de laisser un espace vide et d'ouvrir la voie à d'autres pays ne partageant pas nécessairement nos valeurs et visant à s'établir politiquement dans les Balkans.

La méthodologie en matière d'élargissement que nous avons portée en France et qui a été validée par le Conseil en 2020 reste valable. Elle consiste à faire en sorte de sortir d'une situation difficile au plan politique, selon laquelle un État qui ne serait pas dans tout, ne serait dans rien. Je crois qu'il faut pouvoir réfléchir à la manière d'ancrer progressivement ces pays dans l'Union européenne. Est-ce que cela doit signifier une entrée graduelle dans le marché intérieur ? Cela fait partie des sujets à examiner. En tout état de cause, il faut mettre en place des coopérations concrètes avec ces pays, qui permettent de faire en sorte que la récompense des efforts soit rapprochée, temporellement et politiquement. Sinon, le risque est de perdre les peuples.

L'idée de la Communauté politique européenne est un processus tout à fait distinct de l'élargissement, je le confirme. Certains, au Conseil, s'en sont inquiétés : nous n'avons de cesse de le répéter. La Communauté politique européenne voulue par le Président de la République consiste à affirmer un intérêt collectif, s'étendant bien au-delà des pays candidats, à débattre et porter ensemble des sujets dans un dispositif à 44 pays. Pour ceux qui sont candidats, les coopérations concrètes qui seront mises en place par la Communauté politique européenne permettront également d'ouvrir de fait un agenda de plus fort ancrage à l'Union européenne. On peut prendre comme illustrations le roaming, les interconnections énergétiques, ou d'autres sujets. La position française aujourd'hui reste donc, en matière d'élargissement, de proposer de la rigueur dans la méthode et dans les procédures, y compris sur l'État de droit, sauf à prendre le risque de se retrouver avec des situations difficiles à gérer une fois le pays entré dans l'Union. Dans le même temps, les pays concernés doivent être confirmés dans leur vocation à entrer dans l'Union et doivent pouvoir toucher plus rapidement les dividendes des efforts qu'ils réalisent.

De notre point de vue, la réunion qui s'est tenue à Prague le 6 octobre a été une réussite. L'étape d'après, que les Moldaves ont accepté d'accueillir, sera très importante car nous devons donner plus de chair à cette Communauté politique européenne. Il faudra des coopérations concrètes sur les thématiques identifiées : les infrastructures critiques, les enjeux de cybersécurité, les questions d'énergie et de valeurs communes. Il nous faut ces coopérations concrètes pour convaincre les populations de ces pays. Je suis d'accord avec vous, cela doit être fait sans donner l'impression de doublonner ce qui se fait déjà dans certaines organisations internationales. Avec ce format, nous pouvons combler une lacune non traitée dans les autres enceintes et garder une double vigilance : les offres de la Communauté politique européenne ne peuvent être les mêmes que celles de l'Union européenne. Dans le cas inverse, la tentation serait grande d'éviter les inconvénients du statut d'Etat membre, tout en tirant les avantages de l'Union européenne. Nous devons faire attention à cela, et à l'inverse, ne nous contentons pas de proposer simplement ce qui figure déjà dans les accords d'associations ou dans le partenariat oriental. Entre ces deux bornes-là, il nous faut trouver des propositions. Je pense à la jeunesse avec de potentielles coopérations universitaires, à l'enjeu d'État de droit et à l'offre que nous pourrons faire à certains pays pour monter en qualité administrative, autant d'éléments absolument structurants pour des démocraties.

C'est ce travail que nous sommes en train de faire, avec un rôle pour l'Union européenne, tout en gardant à l'esprit que cette Communauté ne doit pas être un processus bruxellois. Le Président a été très clair sur sa volonté à ce sujet. Ce doit être un processus intergouvernemental avec des décisions, adoptées lors de réunions au plus haut niveau des États, qui ont par la force du format suffisamment de poids pour innerver le système international. Le Conseil de l'Europe n'épuise pas le champ de ce que nous voulons faire dans ce format-là, il ne s'agit donc absolument pas de s'y substituer.

Concernant l'Allemagne, les relations sont bonnes, je me permets de le rappeler. Dans le même temps, nous devons toujours faire un travail pour nous rapprocher. Nous partageons des intérêts communs mais également des divergences, et c'est aussi souvent ce qui fait le prix des compromis auxquels nous sommes capables de parvenir. Nous avons des échéances importantes à venir avec l'Allemagne, dont l'anniversaire du traité de l'Élysée au début de l'année prochaine et le prochain Conseil des ministres franco-allemand où figurera le sujet de la défense. Nous essayons d'avancer sur des projets bilatéraux de défense, notamment le fameux SCAF, mais également sur les sujets européens portés dans le cadre de l'agenda de Versailles, comme la proposition de texte EDIRPA, qui a pour objet de faciliter les acquisitions conjointes de stock militaire avec un budget de 500 millions d'euros. La préférence européenne est à cet égard un point majeur.

Il faut reconnaître cependant qu'il y a aujourd'hui des difficultés dans l'application de ce concept. Nous avons un débat avec nos partenaires qui affirment qu'ils n'ont pas de tropisme américain mais que l'offre européenne n'existe pas ! Cette difficulté nous conforte dans l'idée que l'adoption de ce texte est fondamentale pour permettre de voir naître davantage de disponibilités européennes.

En ce qui concerne la COP27, la Commission européenne a des objectifs exigeants depuis longtemps sur ces sujets. Nous sommes les seuls à prendre des engagements aussi forts sur la planète, ce qui est très bien. Mais il ne faut pas être naïf : cela ne doit pas se faire au détriment de ce que nous sommes et de nos entreprises. C'est en cela que le MACF découle du bon sens et je me souviens des critiques de protectionnisme rencontrées à son sujet dès 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. A ces critiques, nous répondions vouloir éviter une situation où nous perdrions trois fois avec des entreprises qui délocalisent, entraînant un impact négatif pour l'environnement du fait des fuites de carbone, pour l'économie européenne et pour l'emploi. Dès juin 2009, un avis du secrétariat de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a estimé le MACF juridiquement possible au vu de l'article 20 du GATT: il aura fallu ces dix années pour convaincre. Il est très important que l'Union européenne garde son engagement et ses ambitions climatiques, sans jamais tomber dans la naïveté.

Je ne vous ai pas parlé des inquiétudes qui sont les nôtres sur la législation américaine Inflation Reduction Act . Nous sommes à votre disposition pour en parler spécifiquement, car c'est une préoccupation majeure pour nous. Il faut saluer le fait que les États-Unis s'engagent fortement dans la transition énergétique. Cette législation est très bonne de ce point de vue ; toutefois, si subventionner massivement les entreprises qui sont prêtes à faire cette conversion se traduit par une désindustrialisation majeure de l'Europe vers les États-Unis, ce n'est pas acceptable. Enfin, si la voie de la négociation n'est pas suffisante, alors nous regarderons sérieusement les options européennes sur le terrain notamment du contrôle des aides d'État et de la politique commerciale et.

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