La métaphore est bonne, car il peut effectivement y avoir aussi du danger.
Le changement culturel est en marche, Etalab doit l'accompagner. Une démocratie plus aboutie implique également de donner aux citoyens plus de ressources pour agir, pour se mêler aux débats publics, pour prendre leur destin en main : c'est la capacitation, l'empowerment, la libération de la puissance d'action dans la société civile.
Nous devons concevoir de nouvelles infrastructures de données pour faire naître des secteurs industriels. Prenant l'exemple du réseau GPS qui a fait naître aux Etats-Unis une filière industrielle complète, le président Obama se félicite de sa politique de l'open data. Nous devrons sans doute inventer d'autres filières industrielles dans l'énergie, le transport, le tourisme, la santé, à condition de concevoir et de financer les infrastructures de données qui donneront vie à ces secteurs industriels.
La société ouverte est déjà plus efficace grâce au décloisonnement des administrations, grâce aussi à la nouvelle façon de travailler des corps d'inspection comme des scientifiques qui savent qu'il est beaucoup plus facile de contrôler la validité de leurs travaux. Mais l'open data incitera également la puissance publique à entrer dans des stratégies fondées sur la donnée : stratégies d'efficacité par exemple de la ville de New-York qui fait passer ses patrouilles de police aux heures et dans les lieux où se manifeste la délinquance, qui a modifié l'implantation des casernes de pompiers pour réduire les durées moyennes d'intervention. En partageant les données, on les rend plus intelligentes.
Lors des échanges que nous avons avec nos collègues internationaux, nous discutons d'égal à égal. Nous nous intéressons mutuellement à nos choix technologiques respectifs. Nos amis britanniques estiment avoir diffusé une plus large part des données de l'Etat, mais celui-ci en détient moins et elles sont de moins bonne qualité que les nôtres.
La question du site data.gouv.fr est au coeur de notre stratégie multidimensionnelle. Pour nous, le site Internet constitue un levier pour faire réussir la politique d'ouverture des données publiques. Nous voulions que le portail facilite la vie des administrations qui souhaitent jouer le jeu et qu'il leur apporte des bénéfices. C'est pourquoi nous avons voulu, au-delà d'une logique démocratique, que les citoyens, les entreprises montrent les usages qu'ils ont faits des données. De même, autoriser la société civile à partager des données sur le portail, parce que l'Etat n'a pas le monopole de leur fabrication, a permis de créer une saine émulation : la dynamique sociale du site est à cet égard très prometteuse et contribuera à améliorer la qualité des données.
Nous avons considéré qu'Etalab ne devait pas devenir le réceptacle de l'ensemble des données publiques existantes : le site est un point d'entrée central pour les recherches ; il héberge les données des administrations qui n'ont pas de portail et déclare les données de celles qui possèdent le leur. Il est pour ces derniers un apporteur de trafic. De très nombreux organismes sont venus spontanément s'y déclarer, notamment des collectivités locales. Tout producteur de données publiques doit les partager afin de nouer un dialogue fécond avec ceux que ces données intéressent.
Nous sommes également saisis de nombreuses questions relatives à l'open data : l'année dernière, le cadre juridique et règlementaire a été revu ; nous avons notamment été associés à l'élaboration de la directive européenne « information du secteur public » et de la charte du G8. De très nombreuses lois parlent de données publiques et nous veillons à la cohérence en la matière.
Nous nous concertons avec le Coepia et nos référents open data. Nous avons constitué un réseau d'experts très pluraliste de la société civile qui apporte beaucoup d'idées novatrices. Avec des collectivités locales, nous sommes membre fondateur de l'association OpenData France. Nous suscitons et accompagnons des débats thématiques : il y aura sans doute une politique de la donnée ouverte pour les transports, qui ne sera pas la même que pour la santé ou l'énergie.
Le débat sur l'open data en santé était, il y a un an, très idéologique : les uns considéraient qu'on laissait mourir des patients faute de données, tandis que les autres estimaient que la vie privée des Français était bradée. Personne n'avait une vision exacte des données concernées, en particulier de celles qui portent des risques de réidentification. Nous avons dressé la cartographie la plus exhaustive possible de toutes les données qui existent dans le système de santé et nous l'avons mise en ligne en open data la semaine dernière : il y a plus de 260 systèmes d'information, bases de données et fichiers différents, plus ou moins centralisés, qui portent, ou non, des informations à caractère personnel.
Par-delà cet exercice de factualisation, de données sur la donnée, Etalab anime chaque année plus d'une dizaine d'événements avec les innovateurs afin de rapprocher les chercheurs, les entrepreneurs, les associations de citoyens activistes, de l'administration, ce qui constitue un grand apport à la modernisation de l'action publique.
Il faut également diffuser dans l'administration une culture de la donnée, pour que les politiques publiques soient construites à partir de la donnée, pilotées avec de la donnée, optimisées grâce à de la donnée. La nouvelle culture statistique, - les data sciences -, revue après la révolution numérique, avec par exemple des tests rapides associant l'informatique et la statistique, doit également être diffusée dans l'administration.
Nous relançons nos relations avec nos homologues étrangers qui sont très étroites : dans deux semaines se tiendra à Paris la conférence sur l'open data et le gouvernement ouvert : nos amis britanniques, américains, mexicains et allemands viendront y parler de cette transformation dans toutes ses dimensions. Bien sûr, ces débats seront diffusés sur Internet. Ce sera une étape dans le potentiel que recèle cette politique.
Cette politique naissante dans un monde mouvant est en pleine évolution : nous devons rester à l'écoute de nos homologues étrangers, mais aussi de la société. Pour une fois, la puissance publique est en avance de phase sur le secteur privé. Il ne faut pas faire des silos au sein de politiques de la donnée. Il y a trois ans, l'on tendait à séparer les données accessibles aux citoyens de celles ouvertes aux chercheurs. Or, il est préférable de mettre l'accent sur la fluidité intelligente de la donnée et que l'Etat apprenne à l'utiliser à son profit, à chercher pour lui-même à l'améliorer.
Il y aura un au-delà de l'open data lorsqu'on passera de la donnée au modèle, en ouvrant le code source, et donc en donnant les outils d'une citoyenneté active car les informations ne suffisent pas toujours, par exemple pour comprendre les effets d'une décision fiscale.